Après une première illustration dans le hors-série Mythes et réalités consacré à l’univers des Stryges, Marc Moreno poursuit sa collaboration avec Corbeyran en nous livrant dernièrement le premier tome du Régulateur. Khimaira, séduit par le dessin époustouflant, a rencontré l’auteur pour lui poser quelques questions…
Khimaira: Qu’est-ce qui vous a poussé à travailler avec Corbeyran?
Marc Moreno: Le mot « poussé » peut induire une notion de contrainte, je préférerais « attiré ». Je connaissais le travail de Corbeyran et je l’appréciais. Le fait de voir la grande diversité de ses écrits me portait à penser qu’il était un auteur très à l’écoute de ses collaborateurs. Pourtant ses histoires ne souffraient pas de concessions absurdes à des caprices de dessinateurs. Autrement dit, dès notre rencontre dons une librairie (Oscar hibou à Bordeaux), avant même de parler du Régulateur je pressentais le plaisir allié au professionnalisme de l’aventure qui naissait. J’attache énormément d’importance au professionnalisme et Corbeyran a une véritable conscience professionnelle… chose rare de nos jour.
Avez-vous pris part à l’élaboration de l’histoire? Y a-t-il eu une synergie entre votre dessin et le scénario de Corbeyran ou chacun travaillait plutôt de son côté dans sa propre spécialité?
M.M.: C’est un peu des deux. Tant que nous en sommes au rêve, à l’envie, au désir de raconter telle ou telle chose nous discutons beaucoup. Corbeyran me fait part des propos qu’il voudrait traiter, des tournants que pourrait prendre l’histoire et moi de mes envies graphiques. Parfois c’est l’inverse. Corbeyran pense look graphique et moi je lui propose tel profil psychologique pour tel personnage. Là, il s’agit d’être d’accord sur le travail qui va naître. Cette étape se passe le mieux du monde car de toute façon nous nous sommes choisis mutuellement parce que nous aimions le travail de l’autre. Après ça. à chacun sa profession. Corbeyran est le scénariste et moi le dessinateur. En ce sens, je
me fait un devoir de laisser mon collaborateur s’épanouir dans sa partie et je tiens à ce qu’on me foute une paix royale quand je dessine. Du coup nos joies viennent souvent de notre capacité à étonner l’autre, à le surprendre dans le cadre que nous nous sommes fixés.
Nyx est un personnage complètement renversant. Comment Corbeyran et vous en êtes arrivés à la représentation physique de ce personnage?
M.M.: Aristide Nyx est le personnage qui m’a donné le plus de fil à retordre. Très complexe de part sa nature que nous avions décidée insaisissable et son passé énigmatique. Nous voulions créer un personnage antipathique à cause de sa profession mais tout de même attachant puisqu’en tant que « héros » il devait pouvoir susciter la projection du lecteur dans sa vie fictive. De plus, quoi de plus moral que le pêcheur repentis, la cécité de Paul, le Christ faiseur de croix de Scorcèse ? Pour arriver à le cerner physiquement j’ai demandé à Corbeyran de m’écrire des « maximes Nyxienne ».
« Je ne suis pas un citoyen. Encore moins un voisin », « Je n’aime personne à part moi, je ne déteste personne à part moi’, ou encore « Croire en la mort ne suffit pas il fout l’espérer, lui tendre les bras » sont entre autres les phrases que Corbeyran à imaginées dans la bouche de Nyx. De là j’ai pu, moi, imaginer ce qu’il y avait autour de ces dires.
La signification de « Nyx’?
M.M.: La nuit. La divinité de la nuit en grec. Aristide est le fils de la nuit. Mais bon, on ne va pas tout vous révéler maintenant.
A un certain moment on aperçoit la « photographie » d’Ambrosia que garde Nyx précieusement. Sur cette photo on voit votre signature? Y a-t-il une raison particulière?
M.M.: Au début de la photographie. il n’existait que des photographes d’art, et on allait se faire tirer le portrait comme chez un peintre sauf que l’opération prenait moins de temps. L’appareil jetable et le lot raté de photos de vacances au camping les flots bleus n’étant pas encore inventés, la photographie était considérée comme une œuvre d’art et les photographes signaient leurs clichés comme des toiles ou des gravures. Tout dans le Régulateur, de l’architecture aux moindres détails devait nous évoquer le XIXè siècle, il me semblait donc que c’était là une occasion à ne pas louper. J’ai signé Moreno parce que c’est moi qui est daguerréotypé Ambrosia!
Votre dessin balaye aussi bien des personnages que des bâtiments ou encore des machines et armes. Quels sont vos approches pour dessiner ces différents objets?
M.M.: Tout passe par le questionnement. Je ne laisse que très peu de choses ou hasard et ou feeling. J’ai établi une solide et précise charte graphique (ça m’a pris du temps!) pour pouvoir toujours rester dons les limites de mes délires afin que ceux-ci paraissent plausibles. Par exemple dans la séquence chez les incinérateurs nous avons un jeune homme et une personne âgée. Bien qu’exerçant la même profession je ne pouvais pas traiter les deux pareillement. Le jeune porte tout son costume d’incinérateur alors que le plus âgé prend des libertés avec le règlement puisqu’il fait partie des meubles et ne porte qu’une partie du costume. De plus, il a son petit service à thé pour bien induire l’idée qu’il est au boulot comme chez lui. Bien sûr ces choix sont arbitraires puisqu’ils sont les miens, issus de mes questionnements. Un autre dessinateur se serait raconté une autre histoire sur ces incinérateurs et le look aurait différé. Mais peu importe le look, l’essentiel étant de donner de la véracité à l’univers.
Le Régulateur est une bande dessinée qui colle assez bien ou Steampunk. Néanmoins on y ressent une forte influence gothique? Est-ce exact?
M.M.: Certainement puisque j’y ai moi-même baigné entre autres courants. Le côté gothique, lui, doit se ressentir surtout dans la note sombre, décadente et « baroque » de certains designs.
Autant dans votre style de dessin que dans votre coloration on ressent des influences artistiques diverses mais toutes portées vers un univers sombre et quelque peu décalé. Pouvez-vous nous parler de vos influences d’abord, ensuite de votre style personnel et où il se situe ou milieu de tout ça?
M.M.: Mes influences viennent de partout. D’un film, d’un ciel d’automne, d’une BD, d’une pièce de viole de gambe, d’un livre… Le plus gros de mes influences me vient de mon bagage « peintres anciens ». J’ai beaucoup copié la renaissance, le classicisme et le romantisme et je ressens tout ça dans mon travail. Ça va être une façon de distribuer la lumière, de répartir mes couleurs ou de composer mon image. Le style personnel dons tout ça? Bof, ça ne m’intéresse guère. Dali disait: « Ne vous préoccupez pas d’être original, c’est bien la seule chose à laquelle vous n’échapperez pas ». Au début de Lanfeust de Troy, Tarquin m’avait confié être un fan de Loisel et je crois que cela se sentait dons son travail. De toute façon, il ne s’en est jamais caché. Des années après, beaucoup de jeunes dessinateurs ont un style « Tarquin » ! Je trouve ça tout simplement magique et merveilleux !
Quels sont vos projets immédiats et dans l’avenir?
M.M.: Rattraper les années de sommeil en retard que j’ai comptabilisé sur le tome 1 du Régulateur. Ça, c’est pour l’avenir. Pour l’immédiat, c’est accumuler les nuits blanches pour ne pas être en retard pour le tome deux. Ah oui, aussi faire la couv du numéro spécial Steampunk de Khimaira! (ndlr: avril 2003).