Le futur. Une prison spatiale où l’on mène d’étranges expériences, des détenus au crâne rasé et un mystérieux arrivant, Saint-Georges (Lambert Wilson), autour duquel va s’organiser la rébellion… Après Immortel: ad vitam (2004) d’Enki Bilal, Renaissance (2006) de Christian Volckman et juste avant Babylon A.D. de Mathieu Kassovitz, Marc Caro fait claquer haut et fort l’étendard de la science-fiction française.

La Cité des enfants perdus (1995) est le dernier film signé « Caro & Jeunet ». Depuis, Jean-Pierre Jeunet a tourné de son côté trois longs métrages (Alien: Resurrection, Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain et Un Long Dimanche de fiançailles — NdR), mais il aura fallu patienter jusqu’à 2008 pour enfin voir votre première réalisation solo. Pourquoi une si longue attente ?
Depuis La Cité… j’ai tenté de mettre en chantier plusieurs films, qui sont hélas restés à l’état de projets. Il s’agissait à chaque fois de choses assez complexes, nécessitant beaucoup de préparation — et donc beaucoup de temps. J’ai enchaîné scripts et storyboards en collaboration avec Alejandro Jodorowski, avec le romancier Pierre Bordage — avec qui j’ai ensuite réussi à faire Dante 01 — ou encore Caroline Thompson, l’auteur des scénarios d’Edward aux mains d’argent et de L’Étrange Noël de Monsieur Jack. Malheureusement, aucun producteur en France n’a osé se lancer avec nous dans ces aventures.

Avez-vous essayé du côté des États-Unis pour trouver un financement, ou même un scénario qu’un producteur aurait été prêt à vous confier ? C’est ce qui est arrivé à Jean-Pierre Jeunet avec le quatrième Alien
J’ai traversé l’Atlantique, mais aucun projet qui me touche ne m’est passé entre les mains. On m’a proposé des trucs pleins d’effets spéciaux et dont le scénario me laissait indifférent. Or j’ai besoin qu’une histoire me tienne à cœur pour m’y consacrer, d’autant que les tournages de cette envergure vous accaparent facilement pendant plusieurs années. Maintenant, je n’ai rien contre le fait de réaliser un film de commande, mais tout est affaire d’opportunités. Je trouve formidable que Jean-Pierre ait tourné Alien: Resurrection. Pour un réalisateur fan de S.F., ce projet relevait du fantasme et il l’a abordé comme il le fallait, en saisissant le film à bras-le-corps, au premier degré.

Au final, qui a eu le culot de miser sur Dante 01 ?
Il s’agit d’Eskwad, la compagnie qui a produit Enfermés dehors (2005) d’Albert Dupontel et Saint-Ange (Pascal Laugier, 2004). Ils ont commencé par refuser un premier scénario, qui aurait été trop cher pour eux, avant de donner leur feu vert pour celui-ci, beaucoup plus à leur portée: le décor unique et le petit nombre de personnages a dû plaider en ma faveur, c’est certain ! Dante 01 est un film très à part compte tenu du reste de la production française : c’est de la vraie science-fiction, avec un côté série B clairement revendiqué et une intrigue qui se déroule dans l’espace.

L’unité de lieu et l’atmosphère confinée renvoient un peu à votre court métrage Le Bunker de la dernière rafale (1981)…
C’est vrai, c’est un peu un retour aux sources. Le Bunker... s’inscrivait d’ailleurs dans le prolongement de ce que je faisais à l’époque en bande dessinée. Mais c’est déjà loin ! C’est un film qui remonte à près de trente ans, maintenant.

Luc Besson a débuté en tournant ce genre de film. Le Dernier Combat (1982), c’était un peu son Bunker à lui…
Exactement, mais il l’a fait après nous ! Il a d’ailleurs avoué un jour à Jean-Pierre que c’était après avoir vu notre film qu’il avait eu envie d’explorer ce type d’univers post-apocalyptique. Après coup, nous avions nous aussi envisagé de faire un long métrage à partir du Bunker, mais étirer ce sujet sur une durée plus grande risquait d’être fastidieux. Et puis, il fallait qu’on avance, qu’on passe à autre chose.

Y a-t-il des aspects de la réalisation dont se chargeait plutôt Jeunet lorsque vous travailliez en duo et que vous avez découverts à l’occasion de Dante 01 ?
Sur les courts et longs métrages que nous avons tournés, la direction d’acteurs relevait entièrement du domaine de Jean-Pierre. Avec Dante 01, j’ai donc découvert le travail avec les comédiens, tout simplement ! Pour cette première, j’ai choisi des gens au physique assez « marqué »: Dominique Pinon, Gérald Laroche, François Levantal, Bruno Lochet… et je leur ai à tous rasé la tête, y compris à Linh Dan-Pham et Simona Maicanescu, les deux interprètes féminines du film !

Le tournage a eu lieu courant 2006 mais n’a pas fait beaucoup de bruit. Vous vous êtes montré très discret…
Je trouve qu’on parle des films beaucoup trop longtemps à l’avance. Souvent, avant même qu’un tournage soit terminé, l’histoire est rendue publique, des images circulent dans la presse ou sur Internet, et les gens se font des idées fausses. En tant que spectateur, je préfère en savoir le moins possible sur un film pour l’accueillir avec l’esprit ouvert, sans idée préconçue. Il n’y a pas très longtemps, j’ai découvert comme ça Norway Of Life (Jens Lien, 2005, Narcisse d’Or au NIFFF 2006 et Grand Prix à Gérardmer 2007 — NdR), un film original, sympa comme tout, dont je ne savais rien et qui m’a vraiment surpris.

Vous avez tourné Dante 01 en français, ce qui n’est pas courant pour un film de genre, qui plus est de science-fiction. Beaucoup auraient choisi l’anglais pour s’assurer des ventes sur les marchés étrangers…
Si on avait tourné en langue étrangère, le film n’aurait pas pu être de nationalité française, et on n’aurait eu droit à aucune aide au financement. Cela dit, on n’a rien reçu du CNC ni touché d’avance sur recettes, et pas une chaîne de télé française n’a souhaité s’engager, alors… Mais pour ce qui est des ventes à l’étranger, il y a effectivement un vrai problème: en France, on a peu de volonté d’exportation de nos films, en tout cas pas en ce qui concerne le cinéma de genre. C’est dommage car ce serait un vrai moteur pour la création d’œuvres très diverses, comme cela a pu exister en Italie. Dans les années 1960-70, la production italienne avait vocation à s’exporter, et elle était extrêmement riche: on voyait aussi bien des films d’auteur — comme ceux de Comencini, Pasolini, etc. — que des westerns-spaghetti, des films d’épouvante, des gialli… Le cinéma français n’a jamais été aussi riche, mais il y a quand même eu, par le passé, des polars ou des films de cape et d’épée. Ça revient un peu, et il y a de nouveau une offre avec des productions comme Renaissance qui, même si elles ne sont pas toutes abouties, ont le grand mérite de contribuer à la diversité de notre cinéma.

Est-ce que vous envisagez de refaire de la bande dessinée, votre premier mode d’expression artistique ?
Dans l’absolu, oui, je referais volontiers de la bédé, mais le cinéma prend énormément de temps et il faut bien faire des choix. En fait, j’aimerais beaucoup exploiter à fond les univers mis en place dans les films, c’est à dire les décliner sur plusieurs supports comme la bande dessinée ou les jeux vidéo. C’est ce que j’ai voulu faire à l’époque de La Cité des enfants perdus avec Jean-Pierre, mais ça n’a pas été possible car c’est une pratique qui n’est pas courante en France. Aux États-Unis, un comic ou un jeu vidéo peut facilement générer un film — ou l’inverse. Au Japon, un manga peut déboucher sur un animé, un film live… Chez nous, il n’existe pas de structure appropriée pour ce type de projet. C’est assez frustrant.