Depuis maintenant cinq ans, les Allemands de Lord of the Lost accomplissent le grand écart entre rock et classique en sortant un album acoustique entre deux productions metal. Un changement radical de style et d’ambiance, si l’on excepte la voix toujours rauque et profonde du chanteur et leader du groupe Chris Harms. L’album Swan Songs, volume 3, enregistré avec un ensemble de dix musiciens classiques, sera disponible le 7 août chez Napalm Records. Rencontre avec Klaas Helmecke, alias Class Grenayde, le bassiste de la formation de Hambourg.

Khimaira : Depuis quelques années, Lord of the Lost alterne les albums metal et les albums acoustiques enregistrés avec une formation de musique classique. Est-ce un rythme que le groupe a décidé de suivre dorénavant ?

Class Grenayde : Il n’est pas dit qu’on continue ainsi, en tout cas pas forcément. Nous sortons des albums à une cadence plutôt élevée, et prendre le temps d’enregistrer ces « Swan Songs » en formation acoustique donne plus d’espace aux albums metal. Depuis 2015, la formule fonctionne, mais ce n’est pas pour autant une règle qu’on aurait décidé de suivre.

Est-ce que les musiciens classiques ont participé à l’écriture des morceaux de ce troisième Swan Songs ?

Non, la composition des morceaux classiques revient à Chris, Corvin et Gerrit. Corvin, c’est un peu le membre secret du groupe depuis une dizaine d’années. Il fait partie des musiciens qui nous accompagnent sur scène, il joue du piano et des claviers, tout comme Gerrit. Et ce sont ces gars-là, et en particulier Corvin, qui s’occupent des arrangements. Chris écrit l’essentiel des chansons, et Corvin les transpose dans un environnement musical classique. Après, le reste du groupe et l’ensemble acoustique suit la direction qu’ils ont donnée. Du point de vue de l’écriture, ce n’est donc plus tellement le travail d’un groupe, plutôt celui d’une ou deux personnes.

Ce type de projet vous permet de jouer d’instruments très différents de ceux des albums metal. Pourrais-tu nous dire deux mots de la basse acoustique que tu as utilisée (photo ci-dessus) ?

Oui, bien sûr : j’utilise une Stanford à cinq cordes, un bel instrument, de création assez récente, et pour cet album, une contrebassiste m’a rejoint pour approfondir les lignes de basse grâce à son jeu à l’archet. À chaque album acoustique, nous rencontrons des musiciens supplémentaires qui apportent chacun une part de nouveauté. C’est très agréable.

Dans l’orchestre, j’ai reconnu l’altiste et les deux violonistes du quatuor à cordes Eklipse…

En effet, ça fait quelques années maintenant qu’elles jouent avec nous.

Concernant les autres musiciens classiques, est-ce vous qui les avez réunis ou bien avaient-ils déjà l’habitude de jouer ensemble ?

Il y a un peu de tout cela. En 2015, quand nous nous sommes mis en quête d’un ensemble classique — au départ juste un quintet à cordes —, nous sommes passés par des amis, par Facebook, par le bouche-à-oreille… et c’est à ce moment-là, il me semble, que Maline, une des deux violonistes d’Eklipse, nous a rejoints. Et depuis, chaque musicien qui, pour diverses raisons, a dû quitter la formation s’est arrangé pour se trouver un remplaçant. Et pour en revenir à la contrebassiste, Julia, nous la connaissons depuis que nous l’avons croisée un jour dans un festival rock, car elle joue également de la basse dans un groupe de pirate metal.

Y a-t-il des bassistes que tu admires particulièrement ? Tous styles confondus…

Oui : Les Claypool, je l’ai toujours trouvé super cool, avec un style qui n’appartient qu’à lui. Je dirais aussi le bassiste de Mudvayne, un groupe américain qui n’existe peut-être plus mais que j’ai vu sur scène à Hambourg, dans les années 2000, dans une toute petite salle de deux cents places. Un concert et une soirée fabuleux ! J’adore aussi écouter le jeu de Mark King, de Level 42, qui a une super technique de slap, très funky et typique des années 1980. Et plein d’autres noms que je pourrais sûrement citer, mais il y a tellement d’excellents bassistes !

Le dernier clip en date de Lord of the Lost, c’est A Splintered Mind, que vous avez tourné juste avant la période de confinement.

A Splintered Mind et A One-Ton Heart, en fait : les deux clips ont été filmés au même endroit en deux journées consécutives. Je me souviens que quand nous sommes arrivés à la salle de concert, le concierge nous a confié tout son trousseau de clés sans plus s’attarder dans les lieux car il se sentait patraque ce jour-là, il avait peur d’avoir contracté le coronavirus et de nous contaminer ! Il s’est avéré que ce n’était pas le cas, tant mieux. Et en effet, une semaine ou deux plus tard, le confinement débutait.

Dirais-tu que ces mois de réclusion ont été profitables pour le groupe en termes d’inspiration et d’écriture musicale ?

On peut dire ça, oui. Quand on a d’ordinaire l’esprit très occupé au quotidien, on passe sans doute à côté de plein d’idées créatives, et pendant cette période d’isolement, on a pu cultiver calmement des idées chacun de son côté, qu’on a ensuite mis en commun en se réunissant quelque temps après la fin du confinement. Nous mettrons tout cela à profit lors de l’écriture du prochain album metal.

Donc vous n’avez pas juste tué le temps en torturant des instruments de musique, comme on vous voit le faire dans la vidéo de A One-Ton Heart ?

Non, bien sûr ! Pour les besoins de ce clip, on a détruit des instruments qui avaient l’air normaux mais qui étaient, disons, en fin de vie. On pouvait toujours en tirer des sons, mais impossible de jouer quoi que ce soit avec. Cela dit, je tiens à préciser que ça nous a coûté de passer à l’acte, ce n’est pas le genre de geste qu’on accomplit sans réticences. La vie est triste mais ainsi faite : il faut parfois se résoudre à détruire des choses qui ne sont plus utiles.

Les paroles de la chanson A Splintered Mind ne sont pas très joyeuses non plus : il est question de maladie dégénérescente, de perte des facultés intellectuelles… Qui a eu l’idée d’aborder un sujet aussi grave ?

Je vais devoir demander un joker ! Il faudrait que je questionne à mon tour Chris sur ses intentions : c’est lui qui écrit la majeure partie des paroles avec le concours d’un ami britannique, Anthony J. Brown, qui est de Sheffield. C’est un parolier, et il nous aide en apportant sa patte. Non pas qu’on soit mal à l’aise avec l’anglais, simplement Anthony veille à ce que les formulations sonnent authentiques aux oreilles d’un locuteur natif.

Dans Swan Songs III, il y a un duo avec Joy Frost, une autre amie du groupe…

Tout à fait, pour la chanson Dying On The Moon, qu’elle a co-écrit avec Chris. J’aime énormément sa voix, un timbre très soul qui me donne des frissons et la chair de poule à chaque fois que je l’entends. Pour un chanteur, ce n’est pas évident de se lancer dans un duo en compagnie d’une voix comme celle de Joy Frost. À l’origine, Joy est américaine, elle s’est établie en Europe avec son mari. Il y a quelques années, elle suivait des cours en Ingénierie du son à l’Université de Technologie de Hambourg, et Chris a été son professeur dans cette faculté. Au fil des mois, ils ont fait connaissance. Chris s’est rendu compte de ses talents de chanteuse et de parolière, et elle en est venue tout naturellement à collaborer avec nous.

Dans le boîtier de Swan Songs III, il y a un second CD qui ne contient pas de nouvelles chansons mais des reprises de titres antérieurs du groupe. Cela m’a étonné de tomber sur Letters To Home, une chanson qui, dans sa version d’origine en 2012, bénéficiait déjà d’arrangements acoustiques. Pourquoi l’avoir choisie pour une reprise ?

Letters To Home sonne très bien lorsque nous la jouons accompagnés de l’ensemble classique, et si nous l’avions écrite plus tardivement, elle aurait sûrement figuré sur un des albums Swan Songs plutôt que sur un album metal. Nous l’avons, je pense, améliorée, perfectionnée en la reprenant avec les musiciens classiques.

L’album va sortir le 7 août et le lendemain, vous donnerez un concert en streaming avec l’ensemble classique. Que penses-tu de ce type de concert sur Internet ? Ce sera sûrement une soirée agréable mais tout de même un peu frustrante car vous jouerez sans public devant vous…

Un peu frustrant, oui, mais je suis quand même content de pouvoir donner un concert acoustique. Un concert rock, c’est cinq gars sur scène qui donnent tout ce qu’ils ont et reçoivent en retour l’énergie du public. Une prestation acoustique, ça n’a rien à voir : on joue assis, bien habillés, on est nombreux sur scène et pendant le concert on intériorise davantage, on est plus avec soi-même. Donc l’absence de public, dans ce cas précis, est moins dommageable à la qualité du show. Il me tarde d’y être parce que ce ne sera pas une soirée ordinaire, nous jouerons dans une grande salle de concert avec de belles lumières et une belle mise en scène. C’est aussi la raison pour laquelle on ne peut pas proposer ce concert gratuitement aux spectateurs devant leur écran. On ne joue pas pour soutirer de l’argent aux fans, au contraire : en général, on essaie de donner au public encore plus que ce qu’il est en droit d’attendre après avoir acheté un billet. Mais on a beau jouer pour l’amour de l’art, chacun doit prendre conscience que la musique coûte cher, avec la location de la salle, le travail des techniciens, etc. En tout, l’organisation de cette soirée nous coûtera pas moins de 15.000 euros.

Au départ, avant les annulations en pagaille, vous aviez en tête un autre concert pour marquer la sortie de l’album…

Oui, nous aurions dû jouer notre « release show » à la mi-août à M’era Luna, un des nombreux festivals qui n’auront pas lieu cette année. C’est aussi pour cette raison que nous tenions à organiser en remplacement quelque chose de mémorable.

De son côté, Chris a entamé l’an dernier un projet parallèle en allemand, Die Kreatur, en duo avec Dero du groupe Oomph. Peut-être pourrais-tu nous en dire un mot ?

Chris et Dero se sont découvert une bonne alchimie créative, et Chris nous a annoncé la nouvelle simplement, en disant qu’il aimerait faire de la musique avec Dero. Au début, ils y sont allés pas à pas, et puis leur idée a commencé à prendre forme… Ils nous tenaient régulièrement informés, Pi et moi, car ils nous ont demandé de les accompagner quand ils joueront sur scène. Et j’aime beaucoup ce qu’ils font. Ils ont écrit de très bonnes chansons, très « heavy ».

À Khimaira, on ne parle pas que de musique mais aussi d’horreur, de S.F. et de fantasy, au cinéma, dans la littérature, la BD… Est-ce que tu as des titres préférés dans ces différents genres et supports ?

Je verse volontiers dans Star Wars ! Chez moi, j’ai même une grande figurine de Darth Vader et une réplique de sabre laser. Sinon, concernant la BD, je n’accroche pas tellement aux séries de comics parce que les histoires ne finissent jamais… Cela dit j’aime assez les personnages Marvel — Deadpool est vraiment cool — ainsi que Batman, chez DC Comics. Je suis en plein dans la série The Batman Who Laughs de Scott Snyder et Jock, une version complètement folle du personnage avec un graphisme qui rappelle presque Hellraiser.

Une dernière question, en deux parties : en musique, quel est le dernier album que tu as découvert ?

Deux titres me viennent à l’esprit, je ne sais plus exactement dans quel ordre je les ai écoutés : le dernier album de Katatonia, City Burials — très lourd, très sombre, comme tout ce que fait ce groupe — et Fracture de Bleed From Within. Il n’y a pas longtemps, ma copine m’a aussi fait écouter Slaughter To Prevail, un groupe russe de deathcore. Leur chanson Demolisher est complètement folle !

Et quel est le dernier album que tu as adoré, de la première à la dernière note ?

Hum… (temps de réflexion) En tant qu’auditeur, je ne suis pas du genre à piocher un titre par-ci, un titre par-là, j’aime écouter les albums dans leur continuité. Donc pour répondre à ta question, je pense là aussi à deux titres : le dernier album de Sepultura, Quadra, qui est sorti en février. Un style de musique très lourd avec de nombreuses touches de folk. Je l’ai découvert comme si on me racontait une histoire… Et puis le dernier CD de Soilwork — le titre est en suédois : Verkligheten. Ces gars-là, Sepultura et Soilwork, sont vraiment des pointures, ils s’y connaissent vraiment pour composer des albums d’un niveau homogène et très élevé. J’ajouterai aussi Human Target du groupe australien Thy Art Is Murder — dix chansons fantastiques ! Voilà, cela nous fait trois albums sortis en 2019-2020 que je recommande sans hésiter, de la première note jusqu’à la dernière.

Propos recueillis par Skype en juillet 2020. Danke schön à Class Grenayde pour sa disponibilité et sa conversation des plus sympathiques. Bises virtuelles à Magali Besson de Sounds Like Hell Productions, sans qui cet entretien n’aurait pas été possible.

Site officiel du groupe