Hercule, Zorro, Superman, même combat: celui du preux combattant, voire du surhomme, qui délivre l’humanité de ses angoisses. De la littérature aux comics, la figure du héros a peu à peu évolué vers celle du super-héros, dont les pouvoirs extraordinaires ont envahi les salles obscures pour donner naissance à un genre cinématographique à part entière.

Héros des origines
Le personnage du super-héros puise très loin ses racines dans les récits mythologiques peuplés de surhommes accomplissant de hauts faits sous le regard des Dieux. Le cinéma leur a rendu hommage à maintes reprises et surtout dans les années 1950 et 1960, via une multitude de films consacrés à Hercule, Samson ou Maciste. Plus près de nous, Zorro, le renard masqué, a inauguré la figure du redresseur de torts à l’identité secrète. Créé en 1919 en bande dessinée, le personnage a investi les salles obscures dès 1920 campé par Douglas Fairbanks (La Marque de Zorro, Fred Niblo). Lui ont succédé Tyrone Power (La Marque de Zorro, Ruben Mamoulian, 1940), Alain Delon (Zorro, Ducio Tessari, 1975), et encore Anthony Hopkins et Antonio Banderas (Le Masque de Zorro, 1998, La Légende de Zorro, 2005, Martin Campbell).
 
Les typiques-men d’une époque
Mais la plupart de nos super-héros actuels tirent leur origine des comics, ces bandes dessinées apparues entre la Dépression et la Seconde Guerre Mondiale pour répondre à une inquiétude populaire en forgeant des mythes destinés à protéger l’Amérique. Le cinéma s’en est emparé pour continuer à tisser une histoire et une représentation d’un pays en crise, et pour mettre en avant le statut de superpuissance des USA au sortir de la Seconde Guerre Mondiale. L’époque sert d’ailleurs de cadre à Rocketeer (Joe Johnston, 1991), où un jeune passionné d’aviation se lance dans la lutte contre l’ennemi nazi, ainsi qu’à Captain America (Elmer Clifton & John English, 1944, Albert Pyun,1991), dont le héros au costume taillé dans la bannière étoiléese fait le symbole de la force de frappe alliée.
Si les super-héros se multiplient au cinéma, c’est pour continuer à véhiculer cette image des USA en costume de bon samaritain. Ainsi, dans le célèbre Superman (Richard Donner, 1978) et ses trois suites, Christopher Reeves incarne un symbole rigide et solennel de la bonté à l’état pur. On retrouve cette image d’Épinal du héros – ou de l’héroïne – sans peur et sans reproche dans des titres tels que Supergirl (1984), niaiserie tournée par Jeannot Swzarc, ou l’ultra-kitch Flash Gordon (1980) de Mike Hodges. Des titres qui, par leur ton et leur discours, se trouvent aux antipodes de la démarche infiniment plus nuancée et originale d’un titre comme Incassable (M. Night Shyamalan, 2000), réflexion sur la genèse d’un super-héros dans un univers très réaliste. Que les temps se durcissent, et le héros se fait même très noir et violent: ainsi The Punisher (Mark Goldblatt, 1989, Jonathan Hensleigh, 2004) apparaît comme le reflet brutal et ambigu d’angoisses liées à la fracture sociale.
 
Des super-effets visuels
Les principaux déclencheurs de la vague des films de super-héros depuis les années 1990 furent Batman (1989) et Batman, le défi (1992), tous deux signés Tim Burton. Le réalisateur y met en scène l’homme chauve-souris dans une atmosphère pop-gothique, et renouvelle le genre sur grand écran. Burton brouille même les pistes avec bonheur en exploitant le côté torturé du héros, et en le confrontant à des super-vilains hauts en noirceur qui lui volent la vedette(le Joker, puis le tandem grandiose Pingouin/Catwoman). Sans profondeur ni originalité, les suites tournées par Joel Schumacher en 1995 (Batman Forever) et 1997 (Batman et Robin) ne rendront pas hommage à Tim Burton, dont l’influence se fera plutôt sentir en 1994 chez un jeune réalisateur alors inconnu, Alex Proyas. Son The Crow, adapté du comic de James O’Barr, est porté par une esthétique sublimement glauque et reprend l’image du héros tourmenté en croisade contre le crime.
Les trilogies X-Men (Bryan Singer, 2001 et 2003, Brett Ratner, 2005) et Blade (Stephen Norrington, 1998, Guillermo del Toro, 2002, David S. Goyer, 2004) conjuguent avec un talent inégal effets spéciaux à profusion et scènes d’action époustouflantes, mais frappent très fort au box office et encouragent les maisons de production à relire les grands classiques de Marvel et EC Comics. Les plus grands réalisateurs s’y collent: Ang Lee passe ainsi des combats de sabre de Tigre & Dragon à un exercice typiquement hollywoodien avec Hulk (2003), qui respecte l’œuvre originale de Stan Lee en utilisant habilement cadrages et découpages très BD. Guillermo del Toro, à peine revenu d’entre les vampires de Blade 2, livre un Hellboy (2004) sympathique à double titre: il offre un grand rôle au génial Ron Perlman, qui campe avec délices un diablotin drôle et furieusement mélancolique, et nous présente un exercice de style jouissif qui fait honneur au comic à l’esthétique si particulière de Mike Mignola.
L’esthétique « super-héros » déborde sur d’autres univers, comme les cartoons de The Mask (Chuck Russel, 1994) ou les vampires et loups-garous de Van Helsing (Stephen Sommers, 2004). Elle sera par la suite caricaturée dans le film d’animation Les Indestructibles (2004), où Brad Bird met en scène une famille de super-héros sous un jour très humain, plus ordinaire. Au-delà de la lutte contre des méchants abominables aux machines extraordinaires, on suit avant tout l’histoire d’une famille avec ses bonheurs, ses peines et ses conflits.
 
A grands pouvoirs, grandes responsibilités
C’est sans doute cet aspect profondément humain du super-héros qui a été le plus creusé ces dernières années, et qui le rend touchant. Il en est ainsi du travail exceptionnel de Sam Raimi autour des trois Spider-Man (2002, 2004, 2007). Raimi donne une réelle densité à son super-héros en suivant sa « création » et son développement. À l’instar de Shyamalan et Incassable, il pose au centre de son film une réflexion sur l’acceptation d’un statut (de super-héros, de jeune homme devenant homme), et double cette base d’une connaissance absolue du comic et d’un sens visuel extraordinaire. Cette trilogie d’un apprentissage (celui de la vie et d’un pouvoir) est certainement la meilleure, la plus belle et la plus fine adaptation de comic à ce jour. Batman Begins (Christopher Nolan, 2004) pose une question semblable: Batman, super-héros ou héros ordinaire ? Christian Bale révèle le côté attachant de Batman, qui se forge seul sa carrure de héros, progressivement, grâce à une discipline de fer et des moyens coûteux. La mise en scène simple et efficace de Nolan reflète la dualité et la confusion intérieure du héros, sur fond d’un Gotham prisonnier de conflits moraux et d’une destinée qui le dépasse.

Malheureusement, à super-pouvoirs, super-recettes mais pas forcément super-films, et plus d’un metteur en scène s’est cassé les dents en échouant dans sa mission d’adaptation. Spawn (Mark AZ Dippé, 1997) est l’exemple parfait du comic intéressant qui se transforme en film mièvre et sans intérêt artistique. Si certains films restent honnêtes, comme le Superman Returns de Bryan Singer (2006) ou Les Quatre Fantastiques (Tim Story, 2005), d’autres sont de vraies déceptions: Ghost Rider (Mark Steven Johnson, 2006) est répétitif, assommant et scandalisera les fans de Nicolas Cage; Halle Berry, malgré sa démarche féline et sa tenue super-sexy, incarne une Catwoman (Pitof, 2005) sans envergure comparée à celle campée chez Burton par Michelle Pfeiffer. On passera aussi rapidement sur les médiocres Daredevil (Mark Steven Johnson, 2003) et Elektra (Rob Bowman, 2005) pour mieux se moquer de La Ligue des gentlemen extraordinaires (Stephen Norrington, 2003), au scénario digne d’un épisode de L’Agence tous risques ! Espérons que les prochains super-héros, qu’ils se présentent au gré des suites ou des nouvelles adaptations, sauront tenir leurs promesses et nous préserver de tous les désastres cinématographiques…