Mine de rien, cela fait déjà plus de 10 ans qu’Olivier G. Boiscommun nous régale de ses scénarios oniriques et de ses planches travaillées. S’il travaille parfois en collaboration avec d’autres scénaristes (Troll avec Jean-David Morvan et Joann Sfar, Le livre de Jack avec Denis-Pierre Filippi…), c’est aussi un auteur complet qui se charge lui-même des couleurs. Ses thèmes de prédilection? L’enfance, la mutation, les créatures fantastiques… Toute ressemblance avec Halloween n’est pas fortuite, l’une de ses BD portant ce nom. L’occasion était parfaite pour le rencontrer et visiter sous sa direction son univers si prenant.

Khimaira : Commençons par votre BD la plus directement liée à Halloween. Pourquoi avoir justement placé l’action pendant une fête plus américaine qu’européenne ?
O.G.Boiscommun : Comme souvent dans l’élaboration d’une histoire, celle-ci traînait dans un coin de ma tête depuis longtemps, mais je ne voulais pas reproduire une ambiance que j’avais déjà utilisée. J’attendais le petit plus qui me permettait d’inscrire cette histoire dans un univers qui lui donnerait sa propre identité. Cela m’est apparu comme une évidence en observant les gens un soir d’Halloween où pour la première fois, je me suis maquillé pour sortir. L’univers visuel très riche de la fête d’Halloween apportait du même coup une passerelle légitime avec le monde des morts.

K : Halloween parle de la mort ; c’est un sujet qui vous préoccupe ?
OGB : La mort est celle que tout le monde concerne, et par laquelle tout le monde est concerné.
J’ai longtemps cherché à la défier, je l’ai longtemps provoqué. Je cherchais à lui faire mal. Il faut dire que je lui en voulais beaucoup. Mais elle m’a balayé, comme une vulgaire poussière. Elle m’a tout pris, et une fois assurer que je ne lutterais plus, elle m’a tout rendu.
Pourquoi chercher à l’oublier puisqu’elle ne nous oubliera pas ? Mieux vaut apprendre à l’accepter ; les moments qu’elle nous accorde n’en sont que plus paisibles.

K : Vous avez une vision religieuse de la mort ?
OGB : J’ai reçu une éducation catholique, mais je n’adhère à aucune religion établie. Je me suis toujours méfié des hommes et de leurs convictions, surtout lorsqu’ils cherchent à les imposer aux autres. Mais je crois en beaucoup de choses ou plus exactement, je ressens beaucoup de choses, des intuitions qui me donnent envie d’y croire encore, malgré un constat très négatif sur les choix que les hommes font.

K : Vous voyez Halloween comme une fête permettant de faire le deuil ?
OGB : Les morts vivent encore avec nous bien après leur départ, à travers nos souvenirs, l’amour qu’ils avaient pour nous ou le savoir qu’ils nous ont transmit. Mais également par leurs fautes et leurs erreurs, c’est de notre responsabilité de ne pas les reproduire.
Aujourd’hui nous sommes tellement tourné vers le futur que nous finissons par en oublier le passé, et la richesse des leçons qu’il nous accorde.

K : Les enfants sont souvent au centre de vos histoires, comme dans Halloween. Y a t il une raison particulière ?
OGB : Ces histoires s’adressent à tous. Aux enfants, mais aussi aux adultes qui peuvent encore se souvenir. Seule la vie est capable de nous toucher dans ce que nous avons de plus pur. Et quoi symbolise mieux la vie qu’un enfant ?

K : Comme beaucoup de vos scénarios, Halloween se tisse sur des éléments fantastiques ; quel rapport entretenez vous avec ce genre ?
OGB : Je ne suis pas sûr d’être réellement attaché au fantastique pur et dur. Mais je me sens intimement lié a tout ce qui se trouve à la lisière du concret, à la bordure du savoir, tout ce qui touche au ressenti.

K : Sous quelles influences avez vous construit votre bestiaire ?
OGB : Toutes, et aucune a la fois…

K : Est-ce que cela signifie que vous êtes à un stade de votre vie artistique où vous avez complètement digéré vos influences ?
OGB : Je n’ai pas le sentiment d’être à un stade plus important qu’un autre de ma vie artistique.
Il me semble que je me nourris tous les jours. J’ai totalement digéré les influences d’hier, comme je digère celles aujourd’hui. Et je me régale d’avance de ce que l’on me proposera demain.
Ce qui me semble important, c’est que je fais ma propre cuisine depuis toujours, et que je n’ai jamais cherché à ce qu’elle ressemble à celle de quelqu’un d’autre.

K : Déguisements et transformations occupent une place importante dans votre œuvre ; c’est essentiellement pour la métaphore ?
OGB : Effectivement ces thèmes interviennent régulièrement dans mes histoires.
La construction de soit et de son destin est une chose a laquelle j’accorde beaucoup d’importance. Nous sommes en constante mutation, à condition que l’on accepte de se remettre en question. Dans notre société, le doute, la réflexion et la sensibilité sont souvent perçues comme des signes de faiblesse qu’il faut à tout prix cacher. Beaucoup se déguisent afin de ne pas révéler ce qu’ils sont vraiment, ils se barricadent derrière un tas de certitudes et de faux-semblants. Leur couverture est souvent beaucoup plus parlante qu’ils ne le pensent. La mutation, la transformation ne sont que les conséquences de l’évolution. J’ai toujours eu le sentiment que l’on est ce que l’on décide d’être. C’est sans doute cette pensé qui m’a permis de continuer sur les routes que je me suis choisis plutôt que celles qu’on a souvent chercher à m’imposer.

K : Les thèmes que vous abordez dans vos scénarios sont personnels, ou est-ce que vous pourriez les aborder dans une collaboration avec un autre scénariste ?
OGB : Ils sont souvent très personnels, mais ils ne sont abordés que pour être partagés. D’abord avec le lecteur à qui je confie mes histoires, mais également dans différentes collaborations, comme sur « Le livre de Jack » dont le scénariste s’est inspiré de « L’histoire de Joe » ou sur la série « Anges » sur laquelle j’ai également participé à l’écriture.

K : Vos couleurs sont une part importante de l’ambiance de vos BD ; comment constituez-vous votre palette lorsque vous commencez une BD ?
OGB : Pour « Halloween » je suis parti sur une base d’orange qui rappelle la couleur de la citrouille que j’ai relevée de noir pour le côté sombre. Mais chaque album ou série est abordé de manière indépendante des autres. J’essaye juste de m’approcher le plus possible des besoins de l’histoire.

K : Est-ce pour cela que vous vous occupez toujours vous-même des couleurs (le 3e tome de la série « Ange « doit être la seule exception)? Vous n’avez jamais pensé les déléguer pour mieux vous concentrer sur le dessin ?
OGB : La couleur est un élément essentiel à la construction d’un univers. Elle permet d’agir sur les ambiances, de créer une référence à un lieu, une époque, ou un personnage que le lecteur reconnaîtra immédiatement. Ou encore d’influencer sur ses émotions et sa perception de l’histoire.
La réalisation d’un album comprend beaucoup d’étapes, mais aucune n’est plus importante qu’une autre. Je mène chaque phase à terme en accordant tout le temps et la concentration nécessaire à sa bonne réalisation, avant de passer à la suivante que je réalise avec le même soin et la même attention.

K : Quels sont vos prochains projets ? Allez vous continuer à explorer cet univers fantastique ou aimeriez vous aborder d’autres genres ?
OGB : Il n’y a pas un genre auquel je m’intéresse plus qu’un autre. J’ai d’ailleurs de multiples projets dans des univers très différents. Mais ce à quoi je suis attaché pour le moment, c’est le prochain album. Il se nomme « Pietrolino ». C’est une histoire écrite par Alejandro Jodorowsky en vue d’un mimodrame destiné au mime Marcel Marceau. Je travaille d’après le texte originel pour en faire l’adaptation. C’est un drame magnifique, qui raconte le parcours et le destin insolite d’un homme qui a voué sa vie a l’art du spectacle. Cette histoire mêle, amitié, amour, passion de l’art et de la vie dans le contexte douloureux de la seconde guerre mondiale. « Pietrolino » sortira aux Humanoïdes Associés en novembre 2007.