Les Chroniques des Féals est une nouvelle super production des éditions Sans Détour basée sur une série de romans de Mathieu Gaborit. Super production vous dites? Impossible en effet de qualifier autrement le travail qui se cache derrière cet ouvrage !

Sur la forme déjà. La première partie de l’ouvrage – soit les deux tiers environ – est consacrée à l’univers. Sur le plan esthétique, il s’agit rien de moins que l’une des plus belles sections background proposées dans un jeu de rôle ces dernières années. Illustrations et mise en page étale un style bien marqué à nul autre pareil. La seconde partie, qui contient les règles de jeu, est en noir et blanc mais offre les mêmes qualités de présentation.

Ce plumage ne cède le pas qu’à la qualité d’écriture des textes. Et pour cause : Mathieu Gaborit lui-même à mis la main à la pâte dans la conception de ce livre de base, marquant de son empreinte l’écriture raffinée et complexe. Complexe : voilà bien qui définit, globalement, les Chroniques des Féals, tant dans ses qualités que ses défauts.

Mais de quoi parle-t-on exactement?

Le monde des Féals est un univers médiéval-fantastique crépusculaire. Les Féals, créatures mythiques, ont façonnés chacun un peuple. Loin tous de suivre aveuglément leur guide, nombreux sont ceux qui revendiquent une certaine indépendance. Quoique louable en apparence, ils ont sans le vouloir amené le Fiels et l’Oubli et favorisé l’expansion de la Charogne. Nous sommes en 995 du calendrier local, et peut être à l’aube de catastrophes qui pourraient conduire à la fin du M’Onde – l’orthographe est reprise telle quelle de l’ouvrage.

Ici, tout l’univers est théorisé, ramené à des concepts bien définis. C’est un puzzle dont les pièces n’auraient pas été découpées au hasard mais suivant une logique très précise. Ce qui sous-entend d’une part, que tout s’emboite à merveille, mais que d’autre part, la reconstitution de l’ensemble est un travail ardu qui commence dès la lecture de l’ouvrage. Il est ainsi impossible de ramener l’ensemble à quelques concepts forts qu’un simple feuilletage ou la lecture du quatrième de couverture permettrait de saisir. La lecture des romans dont il est tiré est une étape quasi-obligatoire – ce qui n’est pas forcement un défaut en soit, mais mérite d’être signalé.

Les différents peuples de Féals, dont le choix constitue l’une des premières étapes de création de personnage, forment heureusement une grille de lecture de premier niveau. Mais s’ils suivent effectivement certains archétypes, la diversité des factions et des personnalités qui les composent ne les rendent pas complètement monolithiques. Le résultat se trouve à mi-chemin entre les clans du Livre des 5 Anneaux ou les clans de Vampire, simples à comprendre mais presque caricaturaux, et un monde complètement ouvert.

En apparence, les règles ne payent pas de mine et n’occupent qu’une centaine de pages, y compris une section de conseils destinée au MJ et deux scénarios. Elles sont pourtant bien plus complexes que leur taille ne le laisse supposer.

La résolution des actions reposent sur trois dimensions. La compétence du personnage détermine le nombre de d10 à lancer. Sa caractéristique, le seuil à ne pas dépasser sur chaque dès. La difficulté, le nombre de réussites à obtenir pour réussir l’action. Le tout est complété par un système de dons de plusieurs origines. Ceux obtenus par le Féal tutélaire du PJ suivent un arbre de progression pouvant être abordé par le haut ou par le bas. De nombreuses valeurs dérivées parachèvent l’ensemble.

Le tout forme un enchevêtrement difficile d’abord. Côté pile, cette complexité est déroutante, voir inutile. La fiche de personnage mélange par exemple des valeurs devant être élevées et d’autres devant au contraire être aussi basses que possible. Côté face, chaque élément semble parfaitement à sa place faisant écho à un concept de l’univers. D’ailleurs, les règles sont rédigées comme un traité scientifique du monde des Féals qui déchiffrerait les lois sous-jacentes de l’univers pour le symboliser au travers de valeurs chiffrées et d’interactions.

Ce mode d’écriture où les règles sont elles mêmes un composant existant de l’univers qu’elles décrivent, n’est pas sans rappeler Château Falkenstein, l’un des premiers jeux de rôle écrit de la sorte. Il facilite l’implication du lecteur tout en distillant des éléments d’univers et son ambiance.

Pour mieux mettre le pied à l’étriller des joueurs, deux scénarios assez complémentaires sont proposés. L’un est relativement court, l’autre à la fois long et très ouvert. Tous deux sont complexes et leur résolution dépend en grande partie de la capacité des joueurs à assimiler les concepts à la base des Chroniques des Féals. Autrement dit, ils présentent l’énorme qualité d’exploiter véritablement l’espace ludique offert par les Féals, tant sur le plan de l’univers que sur le plan des règles.

Ces scénarios sont à l’image de l’ensemble du jeu. Les Chroniques des Féals est un jeu exigeant pour joueurs pointus et capables de s’investir. Du pur Mathieu Gaborit, en somme.