L’Angleterre victorienne et sa bonne ville de Londres, aux ruelles mal éclairées et aux pavés toujours humides, redeviennent le théâtre d’horribles faits criminels dans Les Coulisses, deuxième volume des Arcanes de la Maison Fleury. La soirée avait pourtant commencé sous des auspices ordinaires dans les salons cosy du bordel tenu par la belle Marianne F., et voilà qu’une pauvresse prénommée Esmeralda, mortellement blessée à l’arme blanche, vient agoniser sur le perron de l’estimable maison de passe. Toujours sur la piste du « Tueur de Vénus », le commissaire Barnes et son adjoint l’inspecteur Reid s’attaquent à cette nouvelle affaire tandis que la troublante Pearl, vierge à la chevelure de jais, poursuit, souvent en petite tenue, sa vie de résidente « protégée » du bordel.

Portant toujours la double casquette de scénariste et dessinateur, Gabriele Di Caro ne démérite pas dans ce nouveau volet qui voit l’intrigue prendre une séduisante ampleur. Période qui vit l’essor des sciences et techniques (l’auteur ne néglige pas de mentionner les découvertes de Darwin et leur retentissement dans la société d’alors), le dix-neuvième siècle fut aussi celui du mysticisme et de l’ésotérisme. Les sulfureuses sociétés secrètes fondées par les notables et aristos férus d’occultisme ont déjà été dépeintes en bande dessinée, notamment dans l’imposant From Hell d’Alan Moore et Eddie Campbell, et elles le sont à nouveau dans ces Arcanes…, où des messieurs masqués se réunissent pour se livrer à des cérémonies orgiaques nocturnes. L’homme est une bête, nous alerte Di Caro, une menace mue à la fois par ses pulsions et sa défiance à l’égard de la gent féminine. Présenté ainsi, le message est sérieux, alors précisons que la BD, outre l’intrigue policière captivante, sait aussi rester légère en conservant toute sa place à l’érotisme. Autant que dans le premier volume, le récit prend des détours charnels avec un trait qui rend parfaitement justice aux courbes voluptueuses des corps (avec une prédilection pour les gorges exubérantes telles que Rimbaud put en décrire en esquissant le portrait de l’accorte fille de salle du « Cabaret-Vert »). La conclusion nous fait miroiter une promesse, celle de voir la superbe Pearl, ici encore au second plan, prendre une importance capitale et venir s’installer sur le devant de la scène à la faveur du prochain volet. Attendons Utopie, le troisième et dernier épisode…

En vente à partir du 25 janvier 2022, « pour les lecteurs avertis » (comme précisé en quatrième de couverture — autrement dit, si vous avez moins de 18 ans, ne soyez pas surpris si le personnel vous fait les gros yeux au comptoir de la librairie !).