Le vampire est une figure représentative du fantastique mais également comme nous allons le découvrir, de la mythologie. Mythologie classique mais aussi mythologie moderne c’est-à-dire des mythes qui sont encore « vivants » aujourd’hui.

De la mythologie…

Le vampire dans sa vision contemporaine n’est pas à proprement parler une figure des mythologies antiques. Du moins pas dans la forme qu’on lui connaît.
Pourtant, de nombreux êtres surnaturels peuplant les récits mythologiques ont certaines ressemblances avec nos vampires. Les êtres maléfiques se nourrissant de sang humain (symbole de la vie) ont toujours existé. Plus encore que chez Lilith (Isaïe, XXXIV, 14) première femme répudiée par Adam selon la tradition juive, chez qui certains voient l’origine des incubes, succubes et vampires, c’est en Egypte avec les goules et surtout en Grèce avec les lamies, ces êtres fabuleux qui effrayaient les enfants que l’on reconnaît une origine mythologique du vampire. Lamia était une femme qui fut aimée de Zeus et dont la jalouse Héra tua tous les enfants. Jalouse des femmes avec enfants, Lamia enlevait ces derniers pour les dévorer. Les lamies devinrent ensuite des démons féminins qui recherchaient les jeunes gens pour leur sucer le sang. Ces croyances se transmirent de Grèce à l’empire de Rome et sont très certainement à l’origine des croyances slaves.

Mais cette croyance en des êtres suceurs de sang se retrouve partout ailleurs : l’empuse de Corinthe, les broucolaques grecs, les Vampyrs roumains, etc.

…au genre fantastique

Très tôt le vampire fait son apparition dans la littérature fantastique. Il fait ses premiers pas dans la poésie, les plus célèbres textes étant Lenore de Bürger (1773) et La fiancée de Corinthe de Goethe (1797). En 1819, John William Polidori, le médecin de Byron, publie sous le nom de ce dernier, une nouvelle intitulée Le vampire. Le thème alors allait être repris par une multitude d’auteurs et connaître un succès grandissant (Nodier, Gautier, Tolstoï, Féval, Sheridan Le Fanu, etc.).

Mais en 1897, est donné à lire au public victorien, assoiffé de mystère, d’occulte et d’érotisme latent, un roman encore aujourd’hui inégalé : Dracula. Le créateur du plus célèbre des vampires, Bram Stoker, va s’inspirer des récits qui précèdent son Dracula, y ajoutant des éléments de folklore et croyance des pays de l’Est. Son œuvre transforme en partie la figure du vampire en un véritable mythe moderne. Mais la transformation fondamentale du vampire en mythe ne va pas se faire immédiatement, un élément nouveau va venir renforcer le phénomène : le cinéma.

D’abord avec le Nosferatu de Murnau (1922), qui va montrer pour la première fois l’inimaginable monstre. Mais surtout, avec l’interprétation de Bela Lugosi (acteur devenu lui-même un mythe à part entière) dans le Dracula de Tod Browning (1931). Les cheveux gominés, le pouvoir hypnotique, la cape et sous la cape le smoking, c’est à lui qu’on les doit. Ne voit-on pas apparaître là la représentation commune que l’on se fait lorsqu’on évoque le mot « vampire » ? Un élément manquait à la panoplie du « parfait » vampire: ses canines longues et pointues. C’est encore le cinéma qui va apporter ce dernier élément avec le Horror of Dracula de Terence Fisher (1958) avec dans le rôle du Comte, l’inoubliable Christopher Lee. Terence Fisher va accentuer également le côté érotisé du personnage, si Bela Lugosi ressemble déjà à un séducteur, faisant oublier l’image monstrueuse originelle et autre Nosferatu, Christopher Lee, dans la dizaine de films où il interpréta le rôle, donne quant à lui au personnage bien plus qu’un charme certain. Mais malgré cette évolution, le vampire reste au-dessus des sentiments humains d’amour. Il n’est pas romantique. Aucune parole n’est sensuelle, c’est l’acte érotique qui est recherché avant tout. En cela, le vampire est et reste un « monstre », incapable de remords ou autre sentiment. Il se nourrit du sang de ses victimes, recherchant le plaisir égoïste que lui procure cet acte.

 


La Figure du Vampire comme reflet profond de nos angoisses

Le vampire comme toutes les figures mythiques est le symbole de sentiments profonds qui animent l’homme, de ses questions, de ses angoisses. Nous en avons retenu trois: la Mort, l’Amour dans ses dimensions de séduction et d’érotisme et l’altérité comme peur de l’inconnu.

Figure de Mort

« La mort est naturelle – Néanmoins, elle apparaît comme une agression : elle se vit ou se perçoit comme un accident arbitraire et brutal qui prend au dépourvu : la mort est « inhumaine », irrationnelle, insensée comme la nature lorsqu’elle n’est pas domestiquée » (THOMAS Louis-Vincent, La Mort, Paris, P.U.F., 1988, p. 16). Il est étonnant de voir dans cette phrase reprise à Louis-Vincent Thomas combien la mort et le vampire ont des points communs. Inhumaine, irrationnelle, insensée comme la nature lorsqu’elle n’est pas domestiquée. Ainsi est le vampire : un animal sauvage, inhumain que la raison ne peut accepter tout comme nous ne pouvons accepter la mort. Même aujourd’hui, alors que de nombreux débats et publications parlent ouvertement de la mort, nous devons admettre qu’elle reste un tabou. Il y a une « contradiction entre le souhait de clarté qu’on formule dans l’absolu, et le blocage qui se retrouve, très fort, au niveau de ma propre mort » (VOVELLE Michel, La Mort et l’Occident de 1300 à nos jours, Paris, Gallimard, 1983, p. 694.). A un niveau individuel, lorsqu’on pense à notre propre mort ou à celle d’un proche, nous la refusons purement et simplement. C’est la raison pour laquelle la médecine, son progrès et toute autre science visant à combattre la maladie, la mort, nous sont précieuses. C’est notre quête de l’immortalité. Immortalité qui se trouve être la première caractéristique du vampire. Il est cette chose impossible qui a vaincu la mort, notre modèle, notre espoir d’aujourd’hui. Mais il incarne tout aussi bien, ce qu’il représentait pour les gens du XIXème, le symbole menaçant de la Grande Faucheuse. Point commun entre le Dracula de Bram Stoker et certains récits contemporains (Tapineuses vampires de Ray Garton, 1991; Les enfants de la nuit de Dan Simmons, 1992; Le mal des vampires de Norman Spinrad, 1993 ou encore Je suis une légende de Richard Matheson, 1954.), ils mettent en scène, en avant ou arrière-plan, des maladies liées au sang. Stoker avait à son époque la syphilis, aujourd’hui nous avons le sida. Deux maladies qui se transmettent via le sang et aboutissent à la mort. Chose étonnante, les vampires craignent aujourd’hui la mort. Ainsi Miriam (Célèbre vampire des Prédateurs de W. Strieber, 1981) s’intéresse au processus de vieillissement, Carmilla (non pas l’héroïne de Le Fanu, mais celle de Jeanne Faivre d’Arcier dans Rouge flamenco, 1995) a même son propre laboratoire de recherche.

Reste à ajouter que le vampire est figure de mort car il s’attaque à la vie. « La force, la santé de l’homme résident dans le sang. C’est l’élixir de vie, la première nourriture de l’enfant dans le ventre de sa mère. Entre prendre conscience que le sang était nécessaire à la vie et le croire synonyme de celle-ci, il n’était qu’un pas à franchir…Si le sang était la vie, absorber du sang revenait à absorber la vie – et l’âme »( LEATHERDALE Clive, Dracula, du mythe au réel, Paris, Dervy, 1997, p. 26.). En se nourrissant de sang humain, il constitue une menace mortelle pour les hommes, il est symbole de mort.

On le voit, la mort traverse les récits vampiriques, elle transcende la figure du vampire, est au centre de ses actes et aujourd’hui, de ses réflexions.

Séduction et Erotisme

Le vampire a été et est encore toujours utilisé pour braver l’interdit, le tabou jeté sur l’érotisme (bien qu’aujourd’hui on ne puisse plus parler de tabou, quoique le sexe si fortement lié à la mort, dans des représentations perverses où le vampire est bien souvent acteur, peut encore être l’objet d’un certain tabou, du moins d’un interdit moral).

Timidement, par les interprétations de Bela Lugosi et Christopher Lee, la séduction va s’imposer comme un des traits majeurs du vampire. Certes, le rapport érotique était déjà présent dans les textes littéraires du XIXème mais il n’était pas exprimé ouvertement (Dracula de Stoker en est l’exemple parfait : aucune scène n’est explicitement érotique, les « baisers » sont des morsures, les caresses sont des séductions dont le but n’est pas l’acte sexuel mais la recherche d’assouvir sa faim. Pourtant une relecture du roman vient facilement à démontrer le caractère érotique « caché ». Des actes de voyeurisme, pédophilie, inceste, adultère sont facilement repérables), ou s’il l’était, il était condamné, marqué de la perversité et d’une origine démoniaque (rapports lesbiens de Carmilla de Le Fanu).

Les rapports sexuels avec une créature vampirique semblent a priori obscènes et pervers. Qu’on pense seulement que les vampires sont des êtres morts et on voisine avec la nécrophilie. Mais cette perversité est fondée. Et on la retrouve dans toute la déclinaison du thème dans les œuvres pornographiques.
Mais la dimension érotique du vampire est également présente dans des œuvres a priori moins perverses, on peut même aller jusqu’à dire que l’érotisme est devenu inséparable de la figure du vampire (et l’a d’ailleurs toujours été). Sexe et vampirisme sont liés, d’abord parce que l’acte simple du rapport au sang (morsure, succion, don de vie, création de vampires…) est déjà fortement sexuellement marqué, ensuite car autour de ce premier rapport s’en créent d’autres qui bravent quant à eux toute moralité sexuelle s’il en est. Prenons l’exemple des Chroniques des vampires de Anne Rice : relations homosexuelles, incestes et pédophilies parcourent l’œuvre de cette dernière (Jean Marigny en détaille les aspects dans son article « Vampirisme et sexualité dans les Chroniques des vampires » in Phénix n°39, Bruxelles, Lefrancq, 1995, pp. 77-83).
Ainsi, le vampire figure l’érotisme, surtout le côté non admis, l’interdit, le jugé licencieux, pervers… Une question se pose alors. Au XIXème, le sexe était considéré comme péché, et la figure vampirique comme incarnation du mal, on comprend dès lors le lien obligé entre les deux. Mais aujourd’hui, le vampire devenant plus un idéal (immortalité, séducteur aux nombreuses conquêtes, jouisseur privilégié des libertés, etc.) qu’un être immonde et à rejeter, plus un « modèle » qu’une horreur, on voit, dès lors, tout le danger de décrire un vampire sexuellement pervers. A moins que le « modèle » se nourrisse justement des désirs de notre époque. Le vampire serait-il un dénonciateur de notre propre perversité ?

L’Autre, ce Monstre !

Un autre trait essentiel pour cerner l’image du vampire est cette dimension de l’altérité. Le vampire est d’abord autre par sa nature. Animal doté de pouvoirs surnaturels, immortel prédateur de l’homme. Le vampire est un monstre, et le monstre est défini comme un être anormal. Comment mieux définir à son tour le terme d’anormalité comme ce qui est différent des choses jugées normales, ce qui est « autre ». Cette autre chose est apparentée de façon surprenante à l’animal. Le Nosferatu de Murnau est en cela exemplaire: Chauve, oreilles en pointe, mains griffues… Le Dracula de Stoker n’est pas en reste avec ses transformations animales ou plus étrange encore en brumes. Et si des vampires plus récents subissent moins cette animalité, ils possèdent encore de ces étranges pouvoirs qui les rendent autres. Lestat (dans les romans de Anne Rice) peut se déplacer à une vitesse surhumaine et même si Neil Jordan dans son adaptation d’Entretien avec un vampire nous montre Louis sous les traits de Brad Pitt et Lestat sous ceux de Tom Cruise, dont la beauté rivalise avec celles de leurs personnages dans le roman, le maquillage de ces derniers rend toute leur altérité : leur peau est translucide et que dire de ces étranges yeux bleus ?
Bref, si le vampire ressemble de plus en plus à l’homme, par certains détails, il reste, heureusement pour nous, autre.

Mais le vampire est surtout l’Autre. Cet étranger d’où provient le malheur, la cause de nos ennuis, de notre mort. Le responsable d’actes criminels est toujours d’abord l’autre.
L’Autre est également un envahisseur, une menace pour notre famille, notre pays. On retrouve ce propos explicitement souligné dans l’œuvre de Bram Stoker. Dans le roman, le docteur Van Helsing déclare, en parlant de Dracula : « Dans l’esprit d’enfant qui est le sien, il avait depuis longtemps conçu l’idée de venir dans une grande ville…Il est venu à Londres envahir un pays nouveau. » (PELOSATO Alain, « Dracula : portrait des principaux protagonistes du roman » in Phénix, n°39, op. cit.,p. 41)

Mais ce trait du vampire a tendance à diminuer, voire s’effacer. Aujourd’hui, le vampire se confie aux journalistes (Entretien avec un vampire de Anne Rice), ou à de simples personnes (Les confessions de Dracula de Fred Saberhagen). Bref, il parle, témoigne de son existence et de son état de vampire, nous livrant ses secrets, son origine, ses souffrances… Et par ces aveux, le vampire s’éloigne de la figure du monstre, se rapproche de l’homme et de ses problèmes. C’est ce que veut dire Roger Bozetto lorsqu’il affirme :  » Le refus de laisser le vampire parler de soi, en somme de lui donner la parole, est le signe d’une volonté de faire de l’étranger un monstre et donc à le condamner sans l’avoir entendu. » (BOZETTO Roger, « Anne Rice et le secret du vampire, un scoop ? », in Phénix, n°39, Lefrancq, Bruxelles, 1995, p. 63). Ceci n’est plus vrai aujourd’hui, le vampire a la parole, le droit à sa défense. Une certaine compassion naît alors chez le témoin (lecteur ou spectateur) de ce nouveau visage. Qui ne s’est pas pris de pitié ou n’a pas versé quelques larmes pour le Dracula de Francis Ford Coppola (1992), lorsque dans la scène finale, Mina embrasse le Comte mourant, nous apparaissant pourtant sous les traits d’un monstre. Quelle différence d’avec la mort du Comte dans le roman de Bram Stoker où le lecteur ressent plutôt un certain soulagement.

Êtres fantastiques, mythes incontestables, les vampires nourrissent notre imaginaires de par leur extraordinaire richesse. Symboles de mort, d’érotisme (de vie ?), ils expriment des sentiments fondamentaux. Figures de l’autre, ils sont cette part obscure de nous-mêmes, que l’on rejette. Ils sont objet de haine et désir. Répulsion et attirance. Une des plus grandes figures mythiques qui soient.

En complément de cet article nous vous invitons à découvrir le site de référence du monde des vampires, www.vampirisme.com