Les producteurs de la Warner Bros. n’ont pas fini de se frotter les mains: les premières aventures de Harry Potter sur grand écran ont cumulé près de 3,5 milliards de dollars de recettes. Le cinquième film sort cet été, et deux autres restent à tourner pour conclure ce qui pourrait devenir la saga la plus fructueuse de l’histoire du cinéma.

Mais qui allait diriger Harry ?
En 1999, la Warner acquiert pour un million de dollars les droits d’adaptation de Harry Potter à l’École des sorciers. Dans les médias comme chez les lecteurs, les spéculations vont bon train sur l’identité du metteur en scène qui filmera les premiers pas de Harry à Poudlard. Steven Spielberg lui-même songe à se lancer, avant de renoncer: « Tout indiquait que ce film allait connaître le succès, et pour moi, il n’y avait aucun défi à relever. C’était le pactole assuré. »
Le nom de l’heureux élu tombe en mars 2000: il s’agit de Chris Columbus, dont le CV a rassuré la Warner, prête à engager 100 millions de billets verts: à l’actif du réalisateur, des productions grand public (L’Homme bicentenaire, Maman, j’ai raté l’avion, Mrs Doubtfire), mais aussi des scénarios pour le compte d’Amblin, la boîte de prod de Spielberg, notamment celui du Secret de la Pyramide (Barry Levinson, 1985), dont l’argument (les exploits de jeunesse de Sherlock Holmes qui, étudiant, déjoue les plans diaboliques d’un professeur adepte de magie noire) présente de nombreuses similitudes avec cette première aventure de Potter…
 
Tous à Poudlard !
Columbus organise des auditions en respectant un impératif: J.K. Rowling a exigé que tous les rôles soient tenus par des comédiens britanniques. « Beaucoup de gamins très doués sont venus auditionner, mais aucun ne semblait à même d’incarner la personnalité complexe et profonde de Harry« , se souvient Columbus. « Plusieurs fois, nous avons failli nous décourager, jusqu’au jour où Daniel Radcliffe s’est présenté et s’est imposé comme un choix évident.« 
Radcliffe n’a que 11 ans, mais contrairement à Rupert Grint et Emma Watson – choisis pour les rôles de Ron et Hermione –, il a déjà bénéficié d’une expérience professionnelle en tenant en 1999 le rôle-titre d’une version tv de David Copperfield. Pour le scénariste Steve Kloves (qui signera aussi les scripts des trois films suivants), le jeu du garçon convient à merveille: « J’avais écrit le film du point de vue de Harry, qui était donc de toutes les scènes« , explique-t-il. « Lorsque j’ai vu Daniel lire pour la première fois des lignes du dialogue, j’ai su qu’il avait les épaules assez larges pour le rôle.« 
 
Comptes et bilans
Harry Potter à l’École des sorciers sort en 2001, suivi un an plus tard de Harry Potter et la Chambre des secrets, également tourné par Columbus. Dans les salles, la Potter-mania bat son plein et les films totalisent à eux deux plus de 1,8 milliard de dollars de recettes. Ces adaptations à l’écran s’avèrent pourtant très pauvres, tant d’un point de vue artistique que narratif. Harry Potter à l’École des sorciers, film d’exposition, est dépourvu de tout enjeu dramatique, et si Colombus avait annoncé une mise en scène originale, notamment grâce aux décors et aux effets spéciaux, il est loin d’avoir tenu ses promesses. Pour spectaculaires que soient le plafond fantasmagorique du grand hall de Poudlard, l’échiquer géant et le match de Quidditch, ils ne font pas oublier le caractère conventionnel et platement illustratif de cet opus. Heureusement, les choses s’arrangent un peu dans le deuxième volet, avec une réalisation qui ménage davantage de suspense et la mise en place d’une atmosphère inquiétante et énigmatique.
 
¡Viva el prisionero de Azkaban!
Peut-être grisés par le succès, les producteurs de Warner Bros. s’enhardissent et confient à Alfonso Cuarón la mise en scène de Harry Potter et le Prisonnier d’Azkaban. Un choix surprenant pour qui a vu le métrage qui a revélé le cinéaste mexicain, Y tu mamá también (2001), road-movie très sexe tourné en espagnol avec un petit budget. Précisons que Cuarón avait auparavant dirigé Little Princess (1995), conte moderne en anglais sur les mésaventures d’une fillette dans un internat, ainsi qu’une adaptation de Great Expectations de Dickens en 1998.
« Pour moi« , raconte Cuarón, « l’histoire de ce chapitre est celle d’un gamin en quête d’identité, et qui, à présent, ressent en lui le flux d’une énergie héritée de son père – une énergie masculine. » En d’autres termes, Harry va quitter le cocon de l’enfance pour aborder les rives plus tourmentées de l’adolescence… Une thématique plus riche, à même d’affranchir ce troisième volet du statut de simple « film pour enfants », d’autant que Cuarón ne va pas se contenter, à la différence de Columbus, de livrer une plate mise en images du roman: « La première recommandation que m’a faite J.K. Rowling était d’éviter de faire une adaptation littérale de son roman » (Cuarón).
Le cinéaste prend donc ses distances avec le matériau d’origine et aboutit à un métrage étonnant. Les effets spéciaux se font moins voyants, et le fil conducteur, assez ténu, passe au second plan au profit d’une chronique psychologique plutôt sombre au sein d’une atmosphère plus réaliste: à Poudlard, Harry et ses amis tombent la robe de sorcier et sillonnent les corridors en vêtements de ville; à l’extérieur, le temps se fait couvert, humide, et le chef-op Michael Seresin (succédant à John Seale et Roger Pratt) abandonne les tons chauds et dorés des premiers opus pour baigner le film entier dans le noir et les bleus, plus en accord avec la gravité des thèmes abordés (le racisme, à travers les sorciers de sang de bourbe) et l’entrée en scène des funestes épouvantards.
 
 
L’épreuve du feu
Logiquement, Le Prisonnier d’Azkaban se coupe du plus jeune public et réalise au box-office un score inférieur aux deux premiers films. Les recettes restent toutefois astronomiques, approchant les 800 millions de dollars. Harry Potter, en d’autres termes, continue de gonfler les caisses de la Warner tout en gagnant une légitimité artistique.
La mise en scène du quatrième volet, Harry Potter et la Coupe de feu, sera confiée à un autre cinéaste à forte personnalité, le Britannique Mike Newell (le conte Le Cheval venu de la mer, Donnie Brasco, Quatre mariages et un enterrement). David Heyman, l’un des producteurs de la saga, s’explique: « Newell est un grand directeur d’acteurs. Nous savions qu’avec lui, les comédiens seraient poussés dans leurs derniers retranchements et livreraient les meilleures prestations possibles.« 
À l’écran, les jeunes interprètes se révèlent en effet sous leur meilleur jour, livrant une composition débarrassée des tics et mimiques qui parasitaient, notamment, les jeux de Grint et Watson dans les premiers films. Le script, quant à lui, confère au film un rythme plus soutenu que celui du Prisonnier d’Azkaban, grâce à l’argument dynamique du Tournoi des Trois Sorciers, qui donne lieu à des effets spéciaux vertigineux. Le scénariste Steve Kloves n’en continue pas moins de scruter l’entrée dans la puberté du trio-vedette: le feu du titre couve ainsi chez Hermione, qui connaît ses premiers émois amoureux sous les regards mi-fascinés mi-courroucés de ses deux amis…
 
Le frisson du vampire
La conclusion de La Coupe de feu est une apothéose noire. À l’issue d’un rituel nocturne, Voldemort, l’ennemi juré, se réincarne en bipède au faciès blafard. Sous le maquillage, le comédien Ralph Fiennes a l’allure d’un cousin de Dracula, et l’homme de main Pettigrew – qui, dans la scène, s’ampute d’une main – a tout du Renfield grimaçant de la célèbre adaptation du roman de Bram Stoker par Coppola. Pour ces images effrayantes, le film est classé PG-13 aux USA et interdit aux moins de 12 ans au Royaume-Uni. Des restrictions qui n’entament pas l’engouement du public: le film finit en tête des entrées de 2005. Nul doute que les spectateurs, désormais sous le charme du tour sinistre pris par les aventures de Potter, se précipiteront dans les salles cet été…