Pour créer un monstre, nul besoin de s’appeler Herbert West ou Victor Frankenstein, il suffit de donner naissance, le plus naturellement du monde, et de réserver ensuite à l’enfant le traitement qui, en quelques années de développement, fera de lui un parfait psychopathe. Ainsi débute le troisième et dernier volet du Lys noir, avec deux chapitres terribles, car parfaitement plausibles, consacrés à la venue au monde contrariante (pour sa mère en tout cas) de celui qui deviendra l’artisan de la chute de Bayence, cité devenue « l’enfer » dépeint dans le deuxième tome.

Passionnante et intense, l’introduction en flash-back se déroule dans le théâtre intime d’un cadre familial, ce qui ne sera pas le cas des pages à venir : Melgoth et Baelith, les démons sortis des enfers par les rituels de sorcellerie du marquis de Monzag, peuvent martyriser à loisir la ville et ses habitants. Quant à l’impératrice Yliana, débarrassée de son époux et de la cour, tous passés de vie à trépas, elle se verrait bien en monarque de ce royaume infernal. Faut-il encore faire plier et, au besoin, anéantir les derniers résistants, ceux qui n’ont pas encore succombé à l’invasion des moroïs, les « morts-éveillés ». Au fil des chapitres, nous passons d’un groupe de survivants à l’autre, les héros des précédents volumes, bien entendu, mais aussi les gitans menés par Jarod et, enfin, le peuple de « la Souille », mené par le Grand-Calfat, silhouette hautaine et tout en fourberie régnant sans partage sur l’assemblée des miséreux des bas-fonds de Bayence. Des alliances sont-elles envisageables entre les différentes factions ? L’ultime bataille approche, il serait sage d’oublier les inimitiés et les intérêts privés pour entretenir le mince espoir d’un triomphe face à l’épouvantable armée des morts…

Après L’Enfer, où l’on a dénombré peu d’escarmouches, les épées sortent de nouveau des fourreaux dans ce dernier volume, dès lors que les auxiliaires du mal trouvent comment pénétrer dans « le Sanctuaire », le lieu de retraite jusque-là protégé de Jarod, de sa compagne Naïna et des autres gitans. Les péripéties plairont à tous les amateurs de récits de bataille : tout en prenant soin d’étayer la psychologie et, partant, les motivations des personnages, Le Sanctuaire fait la part belle à l’action, les assaillants débordent, occasionnant dans les rangs de nos amis des pertes tragiques qui ont pour effet, entre autres, de confronter les protagonistes les plus innocents, les enfants, à la violence du monde. À ce titre, parmi les moments les plus forts comptent ceux que l’on partage avec Lila, petite gitane plongée dans la guerre et qui fait montre d’une résistance touchante face à la plus cruelle adversité. Au cœur des échauffourées comme après, le roman s’avère ainsi riche de passages très émouvants, de même qu’il recèle des évocations fortes — de personnages comme de paysages — qui stimulent la lecture autant qu’elles frappent l’imagination. In fine précisons que l’auteur, François Larzem, s’ajoute sans coup férir au nombre des fines lames du récit, non grâce au maniement de la rapière mais à celui de sa plume, d’où sortent des formules qui claquent et, dans la fureur comme dans la douceur, font mouche aussi bien que les estocades et les imparables bottes secrètes du Lys noir.

En librairie depuis le 14 juin 2023.