Brève anthologie des fantômes, spectres et revenants au cinéma…

Sleeping with ghosts
À la recherche de fantômes, un scientifique et ses invités posent leurs valises dans un manoir au passé chargé… Ce pitch en apparence anodin – il a depuis beaucoup resservi – est celui de l’effrayante Maison du diable (1963), Citizen Kane du film de maison hantée dans lequel Robert Wise relève haut la main le défi de mise en scène imposé par le genre: transfigurer un décor de home sweet home protecteur pour en faire un haut lieu de la terreur. À jeu égal avec Wise, Jack Clayton a tourné deux ans plus tôt Les Innocents, dont le scénario, co-signé par Truman Capote, dépeint les tourments d’une gouvernante frustrée en proie à des visions d’amants maudits dans l’enceinte d’une grande propriété. Quarante ans plus tard, ce chef-d’œuvre à l’ambiance délétère influencera par son style et son décor une superproduction hype, Les Autres (2001), dans laquelle Alejandro Amenábar cloître la star Kidman dans un lugubre manoir.
Moins prestigieux, La Maison des damnés (1973, John Hough), adaptation d’un roman de Richard Matheson, convainc encore malgré une réalisation très seventies à base d’optiques grand angle. Également un peu daté mais très étrange, Le Cercle infernal (1977, Richard Loncraine), avec une Mia Farrow cadavérique (elle ne joue pourtant pas un fantôme !), est une œuvre à redécouvrir. Son ambiance lourde et son final iconoclaste pourraient lui valoir autant de notoriété qu’Amityville (1979, Stuart Rosenberg), carton commercial sorti peu après, mais qui ne fait plus peur à personne.
 
Terreurs enfantines
En 1982, les revenants quittent les manoirs pour investir les pavillons de banlieue dans Poltergeist (Tobe Hooper). Célèbre production Spielberg, ce film doit en partie son impact au personnage singulier de Carol Ann, gamine à l’extrême blondeur visitée par les esprits, et s’inscrit dans une longue lignée d’œuvres où les enfants deviennent vecteurs de la peur en assurant le lien entre le monde des morts et celui des vivants. Le fantôme de Fragile (2005, Jaume Balaguero) se manifeste par les fractures qu’il inflige aux enfants, et les revenants de Shining (1980, Stanley Kubrick) nous apparaissent à travers les yeux de Danny, rejeton flippé d’un Jack Nicholson hanté par le démon de la bouteille. La présence des défunts est aussi une réalité pour le jeune Jake dans Hypnose (1999, David Koepp), ainsi que pour Cole, à peine dix ans et compagnon des âmes en souffrance à cause de son Sixième Sens (1999, M. Night Shyamalan)… Et il arrive bien sûr que de malheureux gosses passent à leur tour de l’Autre Côté. Échappés de l’Hadès, les petits anges deviennent alors esprits vengeurs, comme Melissa, blondinette homicide d’Opération Peur(1966, Mario Bava). Ou ils viennent réclamer reconnaissance et justice, tels Joseph, L’Enfant du diable (1979) de Peter Medak, et les petits orphelins sacrifiés des excellents L’Échine du diable(2001) de Guillermo del Toro et Saint-Ange (2004) de Pascal Laugier.
 
Fantômes asiatiques
Après les Histoire de fantômes chinois (1987-91, Chin Tsiu-Tung), série de trois films à effets spéciaux qui n’étaient pas vraiment destinés à effrayer, la donne change en 1998 avec la sortie au Japon de Ring(Hideo Nakata). Ce bijou d’angoisse à la mise en scène minimaliste va donner naissance à la grande vague des kwaidan eiga. Parmi la foultitude de titres produits, il faut absolument voir Kaïro (2001, Kiyoshi Kurosawa), Ju-On (2002, Takashi Shimizu) et bien sûr l’imparable Dark Water (2002) d’Hideo Nakata, également auteur d’un Ring 2 (1999) très apprécié. Dernier titre de la trilogie, Ring 0 a été tourné en 2000 par Norio Tsuruta.
À l’étroit sur l’archipel, les revenants ont gagné le reste du continent asiatique. Deux sœurs (2003, Kim Jee-Won) et Memento mori (1999, Kim Tae-Yong & Min Kyu-Dong) comptent parmi les meilleurs titres réalisés en Corée du Sud. Basés à Hong-Kong, les frères Pang ont tourné The Eye en 2002, puis The Eye 2 en 2004 avec la belle Shu Qi. Pour finir, même le subcontinent indien s’y est mis avec la sortie de Fantômes (2003, Ram Gopal Varma), surprenant choc culturel, à mi-chemin entre les gimmicks du kwaidan et les productions made in Bollywood.
 
Même pas peur !
Spectres et fantômes savent aussi amuser et, pourquoi pas, émouvoir. Ainsi, la famille Zorba hérite en 1960 d’une grosse bâtisse et de 13 Fantômes(William Castle). Pour ce film sympathique, les spectateurs devaient mettre des lunettes spéciales afin de distinguer à l’écran les revenants, invisibles autrement ! En 2001 est sorti Thir13en Ghosts (Steve Beck), seconde version décevante où ce sont cette fois les personnages qui chaussent les binocles magiques. Autre production Castle, La Nuit de tous les mystères (1959) a également inspiré un remake – cette fois réussi –, La Maison de l’horreur (1999) de William Malone.
Humour et fantômes ont fait aussi bon ménage chez Tim Burton, qui a imaginé les 90 minutes de délire non-stop de Beetlejuice (1988), puis exploré le magnifique monde des morts dans Les Noces funèbres (2005). Le néo-zélandais Peter Jackson a signé son premier film US avec la chouette comédie d’épouvante Fantômes contre fantômes (1996). Quant à Brad Silberling et Ivan Reitman, ils ont réalisé respectivement Casper (1995), d’après la série animée, et bien sûr Ghostbusters (1984), foire aux ectoplasmes au succès planétaire.
Les comédies romantiques ne sont pas en reste. Gros succès de 1990, Ghost (Jerry Zucker) est un pur produit mainstream au discours manichéen sur le bien et le mal, auquel on préférera, sur un sujet voisin, l’émouvant Truly Madly Deeply (1991), tourné par Anthony Minghella. Enfin, L’Aventure de Mrs. Muir (1947, Joseph L. Mankiewicz), plus de cinquante ans après sa sortie, reste la référence du genre et ravira à coup sûr, pendant des décennies encore, tous les fantasticophiles amoureux et les grands romantiques.
 
Horreur et putréfaction
À l’origine simples esclaves des sorciers dans le folklore vaudou, les zombies sont aujourd’hui le pendant organique et charnel des fantômes et sont devenus des figures incontournables du cinéma d’horreur.
Le responsable de cette évolution ? George A. Romero, pour qui les cadavres, avides de chair humaine, s’animent et s’extirpent de leurs tombes au cours de La Nuit des morts-vivants (1969), film-événement au réalisme cru et au discours politique contestataire. La Nuit… engendrera trois suites inégales, signées du même auteur: produit par Dario Argento, l’excellent Zombie sort en 1978, suivi en 1985 d’un troisième opus faiblard, Le Jour des morts-vivants, puis de Land of the Dead, produit vingt ans plus tard. Signalons également les bons remakes des deux premiers films de la série: La Nuit des morts-vivants(1990), tourné par Tom Savini, et L’Armée des morts (2004) de Zack Snyder.

Si le thème du mort-vivant a donné lieu à certains des films d’épouvante les plus lugubres qui soient, par exemple Simetierre (1989, Mary Lambert), d’après Stephen King, il a aussi été décliné sur un mode comique. Les deux premiers Evil Dead (1981, 86) de Sam Raimi, Re-Animator (1985, Stuart Gordon) et le très rock’n’roll Retour des morts-vivants (1985, Dan O’Bannon) ont réussi l’équilibre parfait entre humour noir et méchant gore qui tache. Un peu plus fleur bleue, l’épatant et so British Shaun of the Dead (Edgar Wright) a été vanté l’an dernier comme "la première comédie romantique avec des zombies", mais fut tout de même précédé en 1994 de Dellamorte Dellamore, joyau érotico-macabre au titre évocateur de Michele Soavi. Et n’oublions pas non plus les mésaventures de Lionel et Paquita, tourtereaux en lutte contre une tripotée de macchabées dans Braindead (1992, Peter Jackson), à ce jour film le plus gore de l’Histoire.