« Je voulais écrire un livre réconfortant comme un câlin », révèle la romancière américaine Sarah Beth Durst dans sa postface. Alors même si le récit débute par un peu de bruit et de fureur, cela dit entendus de loin, hors-champ (c’est la révolution : dans la capitale Alyssium, des insurgés se soulèvent contre le gouvernement de l’Empire des Îles du Croissant), La Petite Boutique des sortilèges n’est pas un roman de fantasy guerrière. L’héroïne se nomme Kiela, elle a vécu pour ainsi dire toute sa vie dans la Grande Bibliothèque, parmi les livres — ses meilleurs amis. Lorsque les troubles éclatent, elle remplit à la hâte quelques caisses de bouquins (pas n’importe lesquels, des livres de magie) pour les préserver de l’incendie qui commence à ravager le grand édifice. La jeune bibliothécaire à la peau bleue met les voiles pour Caltrey, la petite île d’où ses parents étaient originaires…
Pas de grandes batailles ni de duels au fil de l’épée, donc, mais une histoire de découvertes, d’apprentissage et d’intégration dans une petite communauté insulaire. Quand Kiela débarque avec ses grimoires et son petit compagnon Caz (une plante-araignée sentiente et parlante !), Caltrey souffre de bien des maux qui rappellent beaucoup notre monde actuel (notamment des dérèglements climatiques à l’origine de fréquentes et violentes tempêtes, qui rendent la vie dure aux habitants). Il n’empêche que l’endroit a tout d’un petit paradis utopique, où les gens se soutiennent les uns les autres. À leur contact généreux, Kiela, qui jusque-là n’envisageait pas de vivre ailleurs que dans les livres, apprend toute la valeur des relations humaines, de la solidarité, de l’empathie. Et c’est avec beaucoup d’intérêt que l’on voit comment elle arrive à trouver sa place. L’histoire aborde des questions cruciales — la nécessité des échanges, le partage des savoir-faire et des connaissances — pour brosser le portrait d’une société solidaire, harmonieuse et, partant, heureuse. Présenté ainsi, le roman a tout d’une suite de chapitres à thèse, mais pas du tout : malgré ses enjeux sérieux, le récit est enlevé, plein d’humour cocasse et d’images colorées qui charment l’esprit et le cœur autant que les sens (il est aussi beaucoup question de confiture de framboise, de thé bien chaud et de pâtisseries à la cannelle). Et la galerie de portraits protéiformes (sur l’île cohabitent humains, centaures, sirènes…) nous ferait presque regretter de ne côtoyer dans nos rues qu’une population uniforme de bipèdes. La très bonne traduction française (confiée à Clémentine Curie) laisse passer quelques anglicismes (dans les dialogues, surtout) mais ce n’est pas bien grave.
En librairie depuis le 9 avril 2025.