Alors qu’un remake pointe le bout de son nez et débarquera dans les salles américaines le 9 octobre prochain (cliquez ici pour en savoir plus), l’heure est venue de faire le point sur La Nuit des démons de Kevin Tenney. Cette fantaisie Z jouit outre-Atlantique d’une réputation de classique mineur de l’épouvante, mais elle demeure méconnue en Europe et n’est même jamais sortie en France… Séance de rattrapage express en quelques scènes-clés pour ne pas avoir l’air idiot aux prochaines festivités d’Halloween !

 

L’histoire
Night of the Demons suit les aventures d’une dizaine d’ados partis pour fêter Halloween dans la sinistre Hull House, un funérarium désaffecté au passé trouble (un thanatopracteur y aurait jadis étripé femme et enfants). L’idée vient d’Angela (Amelia ‘Mimi’ Kinkade) : la brune goth entend faire flipper toute sa bande d’amis, une brochette de stéréotypes comme on n’oserait plus en filmer ! Parmi eux, il y a Judy, la vierge sage déguisée en Alice pour la soirée, et son petit copain Jay, très clean lui aussi avec ses manches de blazer blanc retroussées (c’était l’époque de la gloire de Don Johnson et de Miami Vice !). Plus destroy, Suzanne (Linnea Quigley) n’est pas avare de ses charmes, elle espère bien se faire croquer par les garçons avec sa tenue rose aux allures d’emballage de bonbon géant. Rodger, c’est le Noir cool, Frannie représente la communauté asiatique et Stooge est un gros lard élevé à la Bud pour qui toutes les filles méritent l’appellation "crazy fuckin’ bitch"… Ce petit monde va débouler dans Hull House, bâtisse hantée où un démon les attend de pied ferme.

Le générique

Un générique rigolo donne le ton en jouant avec les clichés de l’épouvante à la manière d’un train fantôme. Des esprits baladeurs grimaçants glissent sur un fond noir jusqu’à un cartoon représentant Hull House. Des éclairs zèbrent le ciel d’encre alors que le cadre se resserre sur la sinistre baraque. Une manière d’annoncer que le film ne sera pas à prendre très au sérieux et qu’on ne doit pas s’attendre à une odyssée au pays de la Grande Trouille… La légèreté potache de la scène d’ouverture, dans laquelle un senior au pas traînant se fait chahuter par les jeunes, poursuit sur cette lancée mais se double quand même d’un humour noir assez vachard, car le papy n’est pas si inoffensif que ça ! Parmi le contenu répandu à terre de son sac à provisions, le vieux yankee ramasse en effet des lames de rasoirs dont il projette de truffer quelques pommes rouges à destination des gamins faisant leur quête d’Halloween ! Hé, hé…

    

L’arrêt au drugstore

 

Suzanne et Angela font une entrée en scène remarquée, dans le décor d’une supérette : alors que la première fait diversion en captant l’attention des deux nerds qui tiennent la caisse, Angela, tout de noir vêtue, fourre bouteilles d’alcools et sucreries dans un énorme sac avant de mettre les voiles. La scène, pas crédible une seconde, se conclut par un échange d’anthologie entre Suzanne et les deux gars : "Do you guys have sour balls?" — "Why, sure we do!" — "Too bad. I bet you don’t get many blow jobs!". Une fois dehors, Suzanne s’attire les moqueries de sa copine à cause de son obsession pour son maquillage, et notamment le rouge à lèvres. Une caractéristique qui aura son importance plus loin dans le métrage…

L’arrivée à Hull House

La voiture des amis s’arrête en bord de route. Au loin, Hull House est révélée par la lumière de la pleine lune. La longueur du plan trahit la supercherie (ce n’est qu’une maquette), mais l’image est belle, elle évoque les grandes demeures maudites du cinéma d’épouvante, de la terrifiante Maison du diable filmée par Robert Wise à The House on Haunted Hill de William Castle.

Spiritisme

  

  

Dans le hall de la bâtisse abandonnée trône un cercueil, ce qui impressionne la gentille Judy, mais très vite, la bonne humeur s’installe et tout le monde danse, boit, fait la fête, jusqu’à ce qu’Angela ait l’idée d’une séance de spiritisme. Le temps de dégotter un miroir, indispensable au rituel, et la petite troupe met le doigt dans un terrible engrenage : le cérémonial occulte se résume à peu de choses, mais il suffit à réveiller le démon tapi dans la maison. Son image apparaît dans le miroir, qui se renverse et se brise en mille morceaux. Suit un des plans les plus marrants du film, dans lequel les éclats reflètent les personnages en pleine discussion, comme autant d’yeux maléfiques scrutant les faits et gestes des intrus. L’effet n’a pas dû être évident à mettre en place, et Kevin Tenney, qu’on imagine content de lui, a sans doute cautionné la longueur de son utilisation dans le montage, soit près de 40 secondes en plan fixe !

  

La possession démoniaque
Le démon sort de sa cachette (un des fours du crématorium), mais c’est surtout l’esprit de Sam Raimi qu’on sent planer sur la séquence. La sortie de l’entité invisible se fait en caméra subjective et courte focale, copiant la mise en scène à la steadycam d’Evil Dead 2 (1986). Malheureusement le rendu n’est pas aussi convaincant, et l’on sent bien que les images saccadées du plan-séquence sont dues à une caméra portée par un opérateur courant à travers pièces et couloirs jusqu’à arriver à hauteur des personnages. Le « démon » profite alors de la bouche ouverte de Suzanne (elle est en train de s’appliquer du rouge à lèvres !) pour s’introduire. Quelques minutes plus tard, Suzanne, d’un baiser saphique, insufflera l’esprit malin à Angela…

  

La danse d’Angela
À son tour investie par le Mal, Angela va se lancer dans une choré arachnéenne de trois minutes sur l’air de Stigmata Martyr de Bauhaus, sous le regard d’un des garçons de la bande (voir la vidéo en haut de page). Le clou du film ? Oui, même si la performance de Mimi Kinkade sent un peu l’improvisation. Indisposé par le spectacle (au départ lascive, la danse d’Angela se fait de plus en plus agressive), le gars finit par s’éclipser et cède la place à Stooge, qui passait par là. La séquence se clot par un baiser de la mort au terme duquel Angela arrache la langue du gros buveur de bière. Le plan où elle recrache le morceau de viande, les lèvres barbouillées de sang, a été censuré dans plusieurs pays où le film a été distribué !

  

  

Le bâton de rouge à lèvres
Interprète de Suzanne, Linnea Quigley est passée à la postérité du cinéma d’horreur rock’n’roll grâce à son strip-tease de minuit en plein cimetière dans Le Retour des morts-vivants (1985) de Dan O’Bannon. La comédienne a par la suite conforté sa notoriété en apparaissant dénudée dans plus d’une production fantastique, dont Night of the Demons et la fameuse scène du rouge à lèvres.

  

  

Mue par une attirance quasi fétichiste pour son lipstick, Suzanne, toujours possédée, s’est peinturluré le visage de rose. Dans une sorte de transe érotico-narcissique, elle fait sauter les boutons de sa robe de Barbie et entreprend de se graffiter aussi la poitrine. Après avoir fait le tour de son sein gauche, elle plonge le bâton dans le mamelon, où il finit par disparaître corps et bien !

      

L’effet, qui a nécessité la confection d’une fausse poitrine, est amené de façon habile : en son milieu, la scène est brièvement entrecoupée de quelques plans où l’on retourne auprès des autres personnages, puis le montage revient sur Linnea Quigley, cette fois équipée de la poitrine factice. La substitution passe ainsi inaperçue et l’effet frappe les esprits bien qu’il s’avère, bien sûr, complètement gratuit. Est-ce Kevin Tenney qui a eu pareille idée ? Ou bien le responsable des effets de maquillage, Steve Johnson ? Le mystère est entier. Pour la petite histoire, apprenez que Steve Johnson eut le coup de foudre pour Quigley, qu’il épousa quelque temps plus tard (mais ils sont aujourd’hui divorcés, c’est la vie !).
La séquence se prolonge avec l’arrivée de Jay. Éconduit par Judy, il se laisse tenter par Suzanne. Mal lui en prend : la brève scène de sexe qui suit se conclut par l’explosion des globes occulaires du bellâtre sous la pression des pouces de la possédée !

  

Démons, zombies and Co
À partir de là, Night of the Demons mêle l’héritage de L’Exorciste à celui des films de vampires et des histoires de morts-vivants de George A. Romero. Les possédés présentent des faciès démoniaques (yeux jaunes, crocs acérés, rides et veines apparentes), ils se jettent sur les humains toutes griffes dehors et leurs victimes reviennent sous la forme de zombies. Il reste alors une vingtaine de minutes de métrage, consacrées à une partie de cache-cache entre bons et méchants. Quelques péripéties retiennent l’attention…

Fuyant les démons, Judy court à travers les couloirs de Hull House seulement armée d’une lampe-torche. L’image est évocatrice : dans son costume, elle donne l’impression d’une Alice non pas au pays des merveilles, mais au pays des cauchemars. Elle ressemble à une fée luminescente égarée dans une mer de ténèbres. Ses déambulations sont un peu longuettes, mais les images sont jolies.

  

Judy se retrouve peu après en mauvaise posture. Coursée par les créatures, elle débouche sur le toit et finit suspendue au-dessus du vide. Depuis la cour, Rodger fait ce qu’il peut pour l’aider, mais elle finit par lâcher prise… Cette bagarre au sommet de Hull House est la grande scène d’action du film. Quelques personnages s’écrasent en contrebas. Le plan moyen où Judy tombe de cinq ou six mètres droit sur Rodger (qui va amortir sa chute) est franchement réussi et restitue la sensation de chute. Cependant il s’intègre mal dans le montage (Judy ne tombe pas dans la même position selon l’angle de prise de vue).

  

Sains et saufs, Judy et Rodger s’enfuient et finissent au sous-sol, dans le crématorium. La jeune femme se contentait jusque-là de hurler de peur plutôt que d’agir, et voilà qu’elle se transforme tout à coup en héroïne courageuse et volontaire. Ne pouvant empêcher les démons de pénétrer, elle arrache un tuyau d’arrivée de gaz et, avec un briquet, s’en fait un lance-flammes (personnellement, je ne tenterais pas le coup !). Quand ils entrent, Stooge-zombie et Angela sont transformés en torches vivantes. Cela ne suffira pas à réduire les créatures à néant, mais Judy et Rodger gagnent de précieux moments de répit…

Miroir, miroir…
Le dernier chapitre conclut l’aventure en faisant habilement écho à la scène du toit. De retour à l’extérieur, Judy et Rodger sont dos au mur (au sens propre) : les démons les talonnent et, pour sortir, il va falloir escalader la paroi qui entoure Hull House. Le garçon passe le premier (il faut s’accrocher à un fil barbelé pour se hisser au sommet). Puis c’est au tour de l’héroïne. La séquence de la chute du toit et celle-ci sont ainsi construites en miroir : dans la première, Judy doit descendre aidée par Rodger, qui se trouve en bas ; dans la seconde, Rodger aide Judy à le rejoindre au sommet du mur alors qu’en contrebas, les mains des créatures tentent d’agripper la robe de la jeune femme. Une fois tirés d’affaire de l’autre côté, les deux personnages voient le soleil se lever de manière opportune : suivant l’exemple des films de vampires ou, encore une fois, d’Evil Dead 2, la lumière solaire est fatale aux démons, qui disparaissent dans d’épais volutes de fumée. La Nuit des démons s’achève ensuite sur un ultime effet de miroir avec la réapparition surprise du vieil homme acariâtre de la scène d’ouverture, dans une pirouette rigolote et gore qui ferme le métrage sur une note appréciable d’humour noir.

  

  

  

In fine
Une ambiance nocturne, des effets gore réussis et violents, de l’érotisme… sans oublier cette thématique du miroir filée avec imagination d’un bout à l’autre du métrage. Night of the Demons ne manque donc pas d’atouts mais laisse tout de même un goût d’inachevé un peu désagréable. La faute à une réalisation tantôt inspirée, tantôt hésitante, à un rythme défaillant et, surtout, au manque de profondeur du scénario : comme annoncé par son générique, le film n’est qu’un train fantôme, et les monstres n’y surgissent que pour faire sursauter personnages et spectateurs. Un spectacle superficiel, donc, inférieur à d’autres films d’épouvante beaucoup plus maîtrisés et qui, sortis à la même époque, ont connu des succès retentissants (c’est le cas du Retour des morts-vivants et d’Evil Dead 2, que j’ai déjà cités, mais aussi des Griffes de la nuit de Wes Craven, de Re-Animator de Stuart Gordon, voire de House de Steve Miner…).
La Nuit des démons engendrera quand même deux suites tournées en 1994 et 1997. Night of the Demons 2 de Brian Trenchard-Smith, de meilleure facture que l’original, assume un côté cartoon très stimulant qui fera des émules (l’idée de pistolets à eau bénite pour éliminer les démons sera même reprise en 1995 par Robert Rodriguez dans Une Nuit en enfer, avec Keytel, Clooney et Tarantino). Le scénario ré-emploie par ailleurs le personnage d’Angela (toujours jouée par Amelia Kinkade) qui, toujours possédée, devient la méchante emblématique de la série. Elle revient une dernière fois dans Night of the Demons 3 de Jim Kaufman, décevant malgré une entrée en matière efficace où un arrêt dans une station-service prend des proportions dramatiques inattendues. En France, Night of the Demons 2 sortira en vidéo sous le titre Demon House. Night of the Demons 3 suivra le même chemin, réintitulé Demon House 2 !