Une allumette dans la poche peut parfois changer le cours des choses et de la vie de bien des gens.  Prenez une presqu’île avec un phare, et plus loin, là-haut, la maison de l’amiral, la maison noire qui, dit-on, abrite un monstre. Prenez ensuite une petite fille, celle du jardin du phare, la petite Emilia, dite Loupiotte. C’est elle qui tous les soirs allume le phare qui guide les navires. Ce jour-là, elle n’a pas eu le temps d’aller chercher des allumettes et c’est aussi ce jour-là que se déclenche une tempête alors que le phare reste désespérément sombre et aveugle. Ce détail, cet oubli va provoquer des réactions en chaîne. La suite ressemble à un roman anglais du XIXe siècle, au moins dans son début avec le shérif venu demander des comptes à Augustus, le gardien du phare, accompagné de l’institutrice, la redoutable Mlle Amalia. 

C’est ainsi que la pauvre Loupiotte est séparée de son père et emmenée dans la maison noire pour sept ans au moins, comme son père est lui-même enfermé dans le phare. Dans cette maison inquiétante où tout semble abandonné et triste, du jardin désolé aux fenêtres hostiles à force d’être noires, tout est bien trop grand et puissant pour la petite Loupiotte. Martha et son fils Lennie, deux gros chiens, un autre gardien qui meurt bien vite et là-haut dans une chambre où personne ne doit rentrer : l’autre, le monstre, celui qu’on ne doit pas voir. Mais qui est-il, d’ailleurs ? Loupiotte va peu à peu vaincre ses peurs et faire la connaissance de celui qui pour d’autres raisons est comme elle orphelin de mère et bien seul. Deux solitudes qui vont se toiser, s’apprivoiser, et on glisse peu à peu dans une histoire fantastique, de celles qu’on se raconte en attendant les marins le soir alors que le vente souffle fort et que la mer se déchaîne. Des histoires d’amour, de découvertes, de surprises, de voix dans les têtes, de sirènes et de pirates. Peu à peu le livre et son histoire prennent leur envol, avec comme guide la petite Loupiotte, merveilleuse petite lumière dans la nuit et la tristesse ambiante. Peu à peu la vie reprend, gagne du terrain et la maison noire semble elle-même surprise de reprendre vie et d’entendre de nouveau des voix chaleureuses et les cris d’enfants résonner dans son parc et ses couloirs. 

C’est une histoire dense et belle que nous raconte ici Annet Schaap, celle de deux petits perdus dans une vie trop grande et trop compliquée pour eux et qui en s’apprivoisant vont reprendre le dessus et retourner la situation. Les illustrations très réussies de l’autrice, qui émaillent le roman, apportent un petit supplément d’âme et de plaisir à l’histoire. Étonnant et  merveilleux, c’est un  roman généreux qui s’apprivoise et qui finit par nous emporter. À faire découvrir.