Quelque part aux frontières entre le genre fantastique et la fantasy est né un courant littéraire particulier connu aujourd’hui sous le nom de fantasy urbaine. Née de l’envie de bouleverser l’ordre trop bien établi du paysage urbain contemporain, cette littérature assouvit notre besoin d’un monde merveilleux tout en se faisant le porte-parole de la critique de la société moderne. Découvrez le parcours enchanteur d’un genre qui mêle éléments fantastiques et réalité contemporaine pour le plus grand plaisir de nos imaginaires avides de nouvelles sensations…
           
Aux origines de la fantasy urbaine…
Au départ : des créatures féeriques ou mythologiques, une ville ou un centre urbain parfaitement tangible et un niveau technologique se situant quelque part entre la fin du XIXe et le XXIe siècle. La magie et la technologie se côtoient dans cet environnement urbain, même si certains auteurs du genre ont préféré des cadres plus « nature » (forêt, campagne…) pour leurs intrigues. C’est d’ailleurs pour cela que les Anglo-Saxons préfèrent parler de fantasy contemporaine, la fantasy urbaine devenant ainsi un sous-genre de ce courant. La fantasy urbaine revêt d’ailleurs bien souvent un aspect « underground » : la féerie ne peut être découverte ou comprise que par des marginaux ou des enfants, des gens évoluant en-dehors du cadre du politiquement correct.
            Aux origines de la fantasy urbaine ou urban fantasy, on retrouve donc le fantastique avec la présence du surnaturel, et la fantasy avec la présence d’éléments magiques (créatures, monde…). Lorsque l’horreur s’en mêle, on parle alors de dark fantasy urbaine. Ex : Le Labyrinthe de Pan (Guillermo Del Toro), Mulengro (Charles de Lint)…La fantasy urbaine est un genre ouvert puisqu’il peut être combiné à tous les autres sous-genres sauf à l’héroic-fantasy, à la fantasy historique et à la science fiction, étant donné que le cadre temporel de ces genres n’est pas contemporain.
            Il n’est pas aisé de situer avec précision l’éclosion du genre de la fantasy urbaine, car une part importante d’œuvres considérées aujourd’hui comme appartenant à ce courant ont été rédigées bien avant l’apparition de cette appellation. Certains spécialistes considèrent que le romancier et dramaturge écossais James Matthew Barrie (créateur du personnage de Peter Pan) fait partie des inspirateurs du courant (1902), ainsi que le célèbre écrivain Howards Phillips Lovecraft, l’un des pères de la littérature fantastique et d’épouvante du XXe siècle (années 1919-1936). On parle également de Roger Zelazny (1970) et de Michael Ende (1979), l’auteur de l’Histoire sans Fin. Avant 1984, on citera des précurseurs du genre comme Fritz Leiber avec son Ballet de Sorcières en 1943, ou Roberta Ann Mac Avoy avec Tea with the Black Dragon en 1983. Ces auteurs sont considérés comme des écrivains de urban fantasy avant l’apparition du genre.
 
La naissance d’un courant littéraire
1984 marquerait la naissance de la fantasy urbain (aux Etats-Unis) en tant que courant littéraire et sous-genre distinct de la fantasy classique. Devant l’influence croissante de la fantasy à la Tolkien, des écrivains ont voulu essayer un nouveau concept en transposant des éléments merveilleux dans notre monde contemporain urbain. Dans sa Cartographie du Merveilleux, André-François Ruaud situe Moonheart de Charles De Lint comme l’œuvre fondatrice de la fantasy urbaine. Cet auteur, qui n’hésite pas à mêler les mythes celtiques, gitans ou amérindiens avec le monde urbain,  devient l’un des grands maîtres du mariage entre la féerie et la ville avec notamment son cycle Newford Series (œuvre comprenant dix huit romans). Les années 80-90 marquent le développement du genre grâce notamment aux Scribblies de Minneapolis, un regroupement d’auteurs tels que Steven Brust, Robin Hobb ou Will Shetterly. Sans oublierNeil Gaiman, l’un des piliers du genre qui s’illustre d’abord en Bande Dessinée avec la série Sandman.
Le XXIe voit l’apparition de la fantasy urbaine en France, plus particulièrement avec la traduction de plusieurs œuvres du genre telles que Neverwhere de Patrick Martel ou Or not to be, Les Enfants de la Lune et Arcadia de Fabrice Colin. S’en suit, en 2002, la publication de l’anthologie Traverses de Léa Silhol qui réunit les virtuoses du genre (Charles De Lint, Bull, Neil Gaiman, Fabrice Colin, Gary Kilworth…). Les éditions Mnémos contribuent également largement à l’éclosion de cette littérature avec la traduction de l’œuvre de Megan Lindholm (alias Robin Hobb), Le Dernier Magicien (2003), ainsi que Le Royaume de L’Eté de James A. Hetley en 2004 et Nécromancien et La Nuit du Prédateur de Robert Holdstock 2006. Il faut également mentionner les éditions Bragelonne qui ont traduit des célèbres séries de dark fantasy urbaine telles que les dossiers Dresden de Jim Butcher.
Parmi les œuvres incontournables de la urban fantasy, il faut également noter Le Roi des Rats de China Miéville (guerre urbaine entre animaux fantastiques), Harry Potter de J.K. Rowling, Faërie de Raymond Feist (un classique du merveilleux terrifiant), Faëries Hackers de Johan Heliot (où le héros teste un jeu de réalité virtuel et découvre qu’un puissant démon a été réveillé par le massacre de la Shoah), La Fée et le Géomètre de Jean-Pierre Andrevon (le Pays Vert, monde de féerie doit faire face à l’arrivée des humains) , Imagica  (périple aux frontières de la folie, au croisement de quatre mondes parallèles) et le Royaume des Devins  (la propriétaire d’un tapis dans lequel se sont réfugiés des devins persécutés par le Grand Fléau est sur le point de mourir) de Clive Barker, La Ménopause des Fées (Monsieur Merlin, avec la disparition de la forêt de Brocéliande s’est réfugié dans la station du métro du même nom, dans le XVIIIe arrondissement de Paris) de Gudule, Musiques de la Frontière de Léa Silhol, un recueil de nouvelles sur le mythe de Frontier et le statut des fays au sein de notre société, Plasma (sur un monde devenu une immense ville, le précieux plasma permet d’assouvir les rêves les plus fous) de Walter John Williams, entre autres.
 
Réalité et féerie, une bonne recette
Pour mieux comprendre la fusion du merveilleux et de la réalité contemporaine ou urbaine dont résulte la fantasy urbaine, on peut citer des œuvres comme la nouvelle de Neil Gaiman, Chevalerie : dans cet ouvrage, une vieille dame très british habitant une petite ville anglaise entre en contact avec le chevalier Galaad après avoir découvert le Saint Graal dans une friperie.
La fantasy urbaine, c’est cela : l’effet de décalage indubitable engendré par l’opposition entre le quotidien monotone d’une vieille femme de tous les jours et la vie palpitante d’un héros mythique. L’ordre bien établi du quotidien urbain tel que nous le connaissons est renversé afin d’y réintroduire la magie et le merveilleux. On retrouve le même phénomène dans l’œuvre de Peter S. Beagle, Julie et sa Licorne, où ce même effet de décalage naît grâce au contraste entre une licorne, créature féerique par excellence, et la technologie moderne. Un autre exemple des plus parlants est la nouvelle de Mike Resnick, La Révolte des Fées Dragées, dans laquelle des lutins franchissent les portes de notre monde, mécontents de l’image déformée que les studios Disney donnent de leur race. Ici, le choc entre le merveilleux et un monde régi par le capitalisme entraîne un combat féroce duquel la magie sortira vainqueur.
Dans une interview de Neil Gaiman, l’auteur rappelle que « les villes sont plus que de simples endroits dans lesquels vivent beaucoup de gens, elles sont une accumulation de coutumes, d’histoires, de mythes, de temps ». Rien n’est plus vrai en ce qui concerne la fantasy urbaine.
 
Au croisement de la réalité et de l’imaginaire, la fantasy urbaine est un genre qui offre de fantastiques possibilités littéraires, des explorations sans fin au sein d’une réalité empreinte d’imaginaire. Quelque part entre notre besoin de merveilleux et nos esprits terre-à-terre, elle nous permet de mêler magie et féerie à un quotidien parfois par trop effrayant. Dès lors, pourquoi se priver d’une littérature qui nous offre ce dont nous avons le plus besoin ?