Faire le tour des incursions policières dans la bande dessinée fantastique s’avère impossible tant l’aventure qu’appelle le média implique souvent enquêtes et poursuites. Mais quelques séries semblent tout spécialement rejoindre le thème de ce dossier. Voilà donc certaines pistes à suivre… et nombre d’énigmes à résoudre !

Une plongée en plein fantastique

Si la science-fiction compte elle aussi sa part d’enquêteurs sous forme d’agents spéciaux à la Nävis (Sillage, Morvan, Buchet, Delcourt)
et nous entraîne parfois dans des péripéties labyrinthiques comme dans Vortex (Stan, Vince, Delcourt), il faut bien avouer que l’image même du détective de l’étrange est attachée bien plus au genre fantastique. Déjà, le détective en soi appelle en nous la figure de Sherlock Holmes ou bien celle de cet homme porté sur la boisson forte, dans un bureau enfumé d’un New-York des années 30. Typiquement le genre d’atmosphère que nous offre Xoco (Mosdi, Ledroit, Pama, Vents d’Ouest). Qu’il soit agent spécial travaillant pour le gouvernement comme dans l’équipe de W.E.S.T (Dorison, Rossi, Dargaud), véritable policier comme dans Rapaces (Dufaux, Marini, Dargaud) où l’inspecteur Vicky Lenore et l’agent Benito Spiaggi feront face à leur destin et à d’étranges vampires ou encore garde du corps flanqué d’une tueuse à gages comme Kevin Nivek et L’Ombre du Chant des Stryges (Corbeyran, Guérineau, Delcourt), le « détective de l’étrange » peut revêtir nombre d’apparences et de métiers qui le conduisent sur la piste de créatures immortelles ou de faits sanglants, rompant avec la tranquillité de notre quotidien. Ce héros, traqueur intrépide, est l’emblème du Bien, ultime recours lorsque l’espoir semble se dissoudre dangereusement. Ainsi dans Le Méridien des brumes (Juszezak, Parras, Dargaud), c’est bien un chasseur qui donnera la traque à un serial killer alors que dans Dexter London (Léo, Garcia, Dargaud) nous suivons un aventurier des plus originaux. Mais au cœur du genre frontière entre le policier et l’insolite, c’est bien à l’enquêteur, fut-il privé ou assermenté que l’on voit confier la majorité des énigmes à résoudre. A l’image du commissaire Picon et de l’agent du gouvernement Renoir, plongés dans des affaires teintées de surnaturel dans un Paris début de siècle (L’Ombre de l’Echafaud, Masbou, Cerqueira, Delcourt).

Des enquêteurs de l’étrange

Les grands détectives de la littérature ont bien évidemment trouvé place dans la bande dessinée et engendré nombre de héros dérivés. Si le Sherlock Holmes (Claude Lefrancq éd.) d’André-Paul Duchâteau dessiné par nombre de crayons différents restera proche des aventures du héros de Conan Doyle, l’autre Sherlock Holmes (Croquet, Bonte, Soleil) s’aventurera beaucoup plus loin dans les mondes des ténèbres. Il affrontera ainsi des sectes sataniques, des fantômes, une malédiction égyptienne, un secret templier ou encore l’inévitable Dracula.Harry Dickson trouvera également son adaptation en bande dessinée aux éditions Dargaud. Christian Vanderhaeghe et Pascal Zanon lui feront vivre une série d’aventures empreintes de mystère. Le même détective poursuit aujourd’hui ses enquêtes au sein des éditions Soleil (Nolane/Roman). Du côté des détectives issus du neuvième art, signalons le célèbre Dylan Dog. Véritable révélateur de la BD italienne en 1986. Le créateur, Tiziano Sclavi et ses nombreux dessinateurs allaient débarquer en France sous la bannière Glénat. Edmund Bell, jeune esprit vif et curieux mènera l’enquête dans la série éponyme (Follet, Stoquart d’après John Flanders, Dargaud) alors que Carland Cross (Oleffe, Grenson, Soleil) nous plonge avec un délice plus adulte dans un univers encore davantage fantastique. Une série qui a pris récemment un second souffle, après seulement deux albums, dans Les Nouvelles Aventures de Carland Cross (Oleffe, Wens, Soleil). Petit détour par une série signée Arleston, Latil et Manini, bien évidemment chez Soleil. Mycroft Inquisitor, ce sont les enquêtes de Mycroft, Inquisiteur privé au look très holmésien flanqué d’une top biche, Morgane. Situez ces péripéties dans la galaxie et vous obtenez une série assez déroutante…
Mais la palme d’or des enquêteurs de l’étrange à ne pas manquer revient sans aucun doute à Mic Mac Adam. La série fut d’abord publiée dans le journal Spirou à partir de 1978, puis éditée chez Dupuis, mais aussi Fleurus avec, au scénario, Stephen Desberg et au dessin, Benn. Puis elle nous est revenue depuis 2001 sous les Nouvelles Aventures de Mic Mac Adam aux éditions Dargaud avec cette fois, Luc Brunschwig au scénario. On prend beaucoup de plaisir à suivre ce petit détective en kilt qui traverse nombre de contrées et flirte avec l’autre côté du miroir. Humour, dessin rondement
sympathique et histoire bien ficelée donnent à la série toute sa qualité.

D’étranges enquêteurs

Lorsque l’enquêteur devient aussi étrange que l’objet de son enquête, on trouve, en tant que lecteur féru de fantastique, un attrait supplémentaire. Le fait de placer un détective pas ou plus humain est bien entendu un bon prétexte à l’humour. Private Ghost (Carrère, Crisse, Soleil) et Scott Zombi (Gabrion, Zidrou, Casterman) ne s’y sont pas trompés. Pour le premier, Sam Dasher est un détective privé, mort depuis près de 50 ans. Son âme, enfermée dans une bouteille de whisky, sera délivrée par deux détectives en herbe, Savanah et Maximilien, qui trouveront en Sam un précieux allié. Scott Zombi, vous l’aurez deviné, met en scène un flic mort-vivant… Toujours dans la catégorie humour et étrangeté, Les Enquêtes de Goirïd et Leôdhas (Corbeyran, Laouer, Delcourt) se promènent, elles, plus du côté Héroic-Fantasy, avec un détective privé très spécial et son assistant, un Hibbot, affublé du nom difficilement prononçable de Goirïd. Une série à suivre de près…

Trois incontournables en guise de conclusion

Tout ceci nous mène aux grands gagnants de ce tour d’horizon du polar fantastique en bande dessinée. A ce jour, un seul album pour Maxime Murène (Jarry, Nouhaud, Delcourt), mais quel album ! Un dessin complètement adapté au récit, une atmosphère qui vous cueille dès la première planche et un détective original puisque venu des enfers. Si les auteurs parviennent à maintenir la série dans l’univers réel présenté tout en poursuivant l’histoire mise en place, on se trouve là en face d’un bijou en devenir et d’un détective de l’étrange qui prendra très vite place parmi les plus grands.

Quand un excellent conteur rencontre un dessinateur de génie, on peut s’attendre à un morceau de choix. Et les éditions Delcourt ne se sont pas trompées en publiant Algernon Woodcock de Mathieu Gallié et Guillaume Sorel. A la base, un duo digne d’Holmes et Watson en la personne du Docteur Algernon Woodcock et du Docteur William McKennan. L’un est de petite taille et possède quelque atout indiscutable lorsqu’il s’agit de résoudre une énigme en lien avec le peuple des Fées. L’autre, plus terre à terre, faire-valoir judicieux complète un tableau où le lecteur prendra ses marques facilement. Ensuite, on nous plonge dans les brumes d’outre-manche, là où vivent les légendes et à force de cadrages savants et de mots bien choisis, on pénètre pleinement dans des histoires fabuleuses.

Troisième et dernière série à emporter avec soi sur une île ou au fond de son lit avant de s’endormir, Les Arcanes du Midi-Minuit (Gaudin, Trichet, Soleil). Certes à l’ambiance plus légère que les deux premières mais au postulat de départ qui amusera le lecteur. Jim Mc Kalan est un agent des services spéciaux du Roi. Il est aidé dans ses enquêtes par sa cousine Jenna. Fait étrange, personne, absolument personne n’est parvenu à voir les deux cousins en même temps… Vous avez deviné ? Non ? Réfléchissez bien… Une série qui vaut surtout par son côté délassant et son graphisme plaisant autant que par un univers steampunk qui n’est pas pour déplaire.

Voilà ce tour d’horizon terminé, il ne tient désormais qu’à vous de suivre ces quelques pistes et bien entendu d’en ouvrir d’autres. Chaque album ouvert est une aventure qui se doit d’être vécue. Alors revêtez imperméable et casquette, et dirigez vous pipe en bouche et loupe en poche chez votre libraire. Bonne chasse !