Lana et Andy Wachowski sont de retour deux ans après Cloud Atlas, film qu’ils ont coréalisé avec Tom Tykwer et dont la narration s’étendait sur des siècles et des siècles. Les frangin-frangine n’ont pas perdu leur goût de l’épopée : voici à présent Jupiter Ascending, où une jolie héroïne (Jupiter, jouée par Mila Kunis), menant une vie misérable de Cendrillon, reçoit un beau jour la révélation de la véritable marche de l’univers ! Eh oui, rien que ça… Sachez donc que nous autres, pauvres terriens, ne sommes que du bétail entre les mains d’une dynastie extraterrestre attendant dans l’ombre que nous arrivions à maturité pour nous « moissonner » et faire de notre biomasse un élixir d’immortalité.

L’histoire fait figure de copier-coller des trois Matrix (signés des mêmes Wachowski), avec une entité néfaste exploitant à son insu la race humaine, et un personnage central qui reçoit d’un coup la révélation de cet aspect insoupçonnable de la réalité. Mais là s’arrête la comparaison avec la trilogie où triomphait Neo/Keanu Reeves, car Jupiter Ascending s’avère être un spectacle d’une maladresse stupéfiante. Étonnamment, Jupiter (une immigrée clandestine qui survit en récurant les chiottes de l’Amérique) digère vite et bien ladite révélation, qui l’amène pourtant à reconsidérer le sens même de la vie sur Terre. Il faut dire que l’information lui est apportée par un beau gars musclé et qui a du chien, d’autant qu’il est censé être le fruit d’une hybridation homme-loup (il a du coup les oreilles pointues). Caine — c’est son nom — débarque dans la vie de Jupiter pour lui sauver la mise car elle est, à son corps défendant, au centre d’une conspiration pour la possession de la planète. Des figures antipathiques sont aux trousses de la nénette, qu’il s’agit donc de sauver. Grosso modo, Caine passe les deux heures de métrage à s’activer en ce sens : Jupiter tombe (x fois), Caine la ramasse, elle est kidnappée (x fois aussi), il vole à son secours… Tout cela n’est pas très féministe, sans compter que Jupiter, lorsqu’elle n’est pas à crier dans les bras du bellâtre, passe son temps à changer de toilette (petite robe noire, grande robe blanche, mousseline rose, bottes et marcel… une vaste gamme de panoplies).

Impossible, donc, de prendre au sérieux l’histoire à la Disney de la princesse Jupiter et de son chevalier servant. Par-dessus le marché, les méchants de l’histoire (la dynastie précitée, la famille Abraxas) sont une ribambelle de silhouettes attifées comme au carnaval et menée par Eddie Redmayne (vu en moinillon dans le bon Black Death de Christopher Smith), dont le jeu et la diction affectés rendent chacune de ses scènes in-sup-por-tables (et je pèse mes mots). L’existence de cette fameuse famille sous-entend du reste qu’une société plus vaste est à l’œuvre dans l’univers, mais on n’en verra rien, à l’exception — allez, quand même — d’une excursion rigolote dans les entrailles administratives d’une cité spatiale. La séquence est le prétexte à une attaque à la Brazil contre les pesanteurs de la bureaucratie, et, du coup, à une apparition-gag de Terry Gilliam en personne. D’accord, le clin d’œil fait sourire, mais la comparaison, automatique, avec ce bijou visionnaire qu’est Brazil se fait illico au détriment du film bêta des Wachowski. Ces derniers ont sinon un autre message à livrer, une charge d’éléphant contre le consumérisme et le capitalisme sauvage soutenue par des répliques édifiantes dans la bouche des salauds de l’histoire telles que « certaines vies ont plus de valeur que d’autres », et j’en passe. Le B-A BA de la réflexion contestataire. Il est incroyable qu’un tel scénario ait pu recevoir le feu vert des producteurs de la Warner, qui ont tout de même investi 176 millions de dollars dans l’affaire ! Jupiter Ascending est un exemple frappant des errements absurdes dont se rendent régulièrement coupables les majors américaines pourvoyeuses de blockbusters.

Film sorti le 11 février 2015 dans les salles françaises.