Portes qui claquent, apparitions furtives, bruits sourds dans la nuit et spiritisme… El orfanato, premier long métrage de Juan Antonio Bayona, respecte à la lettre le cahier des charges du film de maison hantée. Et pourtant… Loin de livrer un simple métrage de série, le jeune réalisateur a offert au genre une œuvre inspirée, parfaitement maîtrisée, qui a terrifié et conquis le public espagnol (le film est resté six semaines en tête des entrées en Espagne !). L’Orphelinat a remporté le Grand Prix du 15ème Festival du Film fantastique de Gérardmer.

Vous avez choisi de réaliser un film de maison hantée. C’est un genre classique, et il n’est pas évident d’être novateur…
Lorsque j’ai lu le scénario (écrit en 2000 par Sergio G. Sánchez — NdR) pour la première fois, je l’ai trouvé en effet de facture classique, mais j’ai beaucoup apprécié sa manière de mêler horreur et émotion. C’est cette approche très « humaine » qui m’a motivé pour tourner le film car elle lui confère une vraie originalité. J’aime aussi l’idée du thème de Peter Pan adapté à un contexte horrifique.

Était-ce ce que vous avez cherché à faire, un métrage qui soit à la fois un conte et un film d’épouvante ?
Les histoires d’horreur et les contes ont beaucoup en commun, vous savez. L’Orphelinat parle en fait de l’importance de l’imaginaire lorsqu’il s’agit pour nous d’affronter les épreuves les plus pénibles de l’existence. La fiction, parfois, nous permet de mieux comprendre la vie. C’est un peu le propre du cinéma, qui n’est qu’une interprétation de la réalité mais permet d’accéder à une certaine forme de vérité… Dans L’Orphelinat, j’ai notamment voulu retranscrire la tristesse que l’on éprouve lorsque, arrivé à l’âge adulte, l’on se rend compte que notre enfance est derrière nous et que l’on doit en faire le deuil. C’est le sujet du dernier chapitre de Peter Pan de James M. Barrie — le livre le plus bouleversant que j’aie jamais lu —, et j’ai cherché à communiquer cette émotion avec mon film.

Outre les allusions aux contes, de nombreux éléments du script ont trait à l’univers enfantin. Les jeux de cour d’école, par exemple…
J’ai adoré l’idée de pouvoir entrer en contact avec l’au-delà par l’intermédiaire du jeu. Il y a comme ça, tout au long du film, des parallèles entre, d’une part, le monde des enfants et celui des adultes, et, d’autre part, celui des morts et celui des vivants. Et la communication entre ces univers se fait par le jeu…

Est-ce difficile de tourner un film d’épouvante avec des enfants ?
Les enfants ne sont pas des comédiens et, quel que soit le genre de film, on ne peut pas exiger d’eux tout ce qu’on demanderait à des adultes dont c’est le métier. J’ai dû me montrer patient, prendre le temps nécessaire pour leur expliquer ce que j’attendais.

Psychologiquement, n’était-ce pas difficile pour Roger Príncep de tenir le rôle de Simón, un petit garçon séropositif ?
Non, car son personnage ignore qu’il est condamné par la maladie. Ce n’est donc pas un sujet que nous avions à aborder chaque jour sur le plateau. Quant aux autres enfants, je me suis gardé de leur dire jusqu’à la fin du tournage que leurs personnages étaient des fantômes, afin d’éviter que leur jeu tombe dans la caricature !

La scène de spiritisme avec Géraldine Chaplin est impressionante. Avez-vous fait des recherches sur la parapsychologie avec de tourner ?
Oui. Pendant les répétitions, les comédiens et moi avons échangé nos impressions sur le sujet, sur les lectures que chacun avait faites. J’ai lu des témoignages passionnants de gens entrés en contact avec les esprits de personnes défuntes: dans chaque cas, ceux qui ont fait cette expérience disent en avoir retiré une sorte de paix de l’âme et ont vu s’évanouir leur angoisse de la mort… Nous avons aussi recontré des médiums. L’un d’entre eux a eu des mots très intéressants en avouant que le seul lieu où morts et vivants se rencontrent vraiment n’est autre que l’inconscient humain. C’est peut-être grâce à cela que les films d’horreur ont tellement d’impact sur les spectateurs…

Comment avez-vous choisi Géraldine Chaplin pour le rôle de la médium ?
C’est une actrice très populaire en Espagne car elle a été mariée au réalisateur Carlos Saura. Ils ont tourné plusieurs films ensemble dans les années 1970, dont Criá cuervos, où il est aussi question d’un fantôme. Le cinéma de Saura est très étrange. Il y règne une atmosphère onirique que j’ai toujours trouvée effrayante et que j’ai cherché à reproduire dans L’Orphelinat.

L’Orphelinat est votre premier long métrage, et vous avez déclaré que c’était aussi le cas pour plusieurs personnes qui ont travaillé sur le projet : le directeur de la photo, le monteur, le compositeur de la musique… Était-ce une coïncidence ?
Non, ce n’est pas le fruit du hasard: j’ai pu réemployer toutes les personnes qui avaient déjà travaillé avec moi sur mes courts métrages. Ce sont des gens qui savent exactement ce que je veux et en qui j’ai une entière confiance car je les connais depuis mes années de lycée. Une équipe idéale, en somme !

Le fantastique espagnol est actuellement en plein essor, grâce à vous et à des gens tels que Jaume Balaguero, Nacho Cerdá, Paco Plaza… Connaissez-vous personnellement ces réalisateurs ? Y a-t-il un lien qui vous unit ?
Oui, je les connais très bien, nous sommes tous liés par une grande estime mutuelle. Paco Plaza parle souvent de la « génération des vidéo-clubs », et nous en faisons tous partie: les uns comme les autres, nous avons grandi en regardant un nombre incroyable de films en VHS. Pour ma part, j’ai aussi beaucoup fréquenté le festival du film fantastique de Sitges. C’est là-bas que j’ai fait la connaissance de Jaume Balaguero, il y a longtemps, à une époque où il avait encore des cheveux (rires) !

Et votre producteur sur L’Orphelinat, le cinéaste mexicain Guillermo Del Toro ?
J’ai rencontré Guillermo il y a 15 ans, à Cannes, alors qu’il y présentait son premier long métrage, Cronos.

Del Toro mène de front deux carrières de cinéaste: l’une en Europe, où il tourne des films en espagnol, et l’autre à Hollywood. Aimeriez-vous suivre son exemple ?
Ce doit être formidable pour un metteur en scène de cinéma de travailler à Hollywood, mais j’aurais tout de même un peu peur, en tournant pour de grands studios, de perdre mon indépendance. Et il faut reconnaître que Guillermo doit surtout son excellente réputation aux films qu’il a réalisés en Espagne… Cela dit, j’ai en effet deux projets de longs métrages, dont un aux États-Unis. Et ce sera de nouveau un travail en collaboration avec Guillermo Del Toro.

Remerciements à Michel Burstein