Cinéaste hors-norme partagé entre romantisme noir et fantaisie anar, Jean Rollin s’aventure dans un univers érotico-macabre qu’il est seul, en France, à explorer. Également écrivain, le réalisateur de Fascination, Lèvres de sang et La Vampire nue était en mai 2007 au festival des Imaginales d’Épinal pour y présenter ses nombreux romans ainsi que son dernier long métrage, La Nuit des horloges. L’équipe de Khimaira ne pouvait manquer ce rendez-vous avec le gentil maestro ami des belles succubes et des vampires.

Comment avez-vous débuté dans le cinéma fantastique ?
Par un concours de circonstances ! C’était en 1967. J’avais un ami distributeur qui était associé au circuit des cinémas Midi-Minuit (salles parisiennes spécialisées dans le cinéma bis – NdR). Il avait acheté aux USA une série B d’épouvante, Le Vampire, créature du diable. Lorsque la copie du film est arrivée, il s’est rendu compte que c’était un métrage destiné à la double programmation, qui ne durait qu’1h10. Il lui manquait donc 40 minutes de film pour pouvoir constituer un programme. Il savait que j’aimais les films fantastiques, les histoires de vampires, et il m’a suggéré de tourner les 40 minutes manquantes sous la forme d’un moyen métrage qu’il pourrait proposer en complément. C’est ainsi que j’ai tourné mon premier film, Le Viol du vampire. Un film amateur car, hormis un des comédiens, tous les gens qui ont pris part au tournage n’avaient jusque-là jamais travaillé pour le cinéma !

Qui a produit ce film ?
J’ai démarché Sam Selsky, un producteur américain qui vivait à Paris. Il accepta de financer le projet à hauteur de 200 000 francs. Le résultat lui plut tellement qu’il me proposa après coup de tourner 40 minutes supplémentaires, avec un budget équivalent, pour aboutir à un long métrage. Ce ne fut pas facile car à la fin, tous les personnages mouraient, et il m’a fallu trouver un moyen de les faire revenir ! C’est ainsi que j’ai imaginé une reine des vampires, qui ressuscite les morts… La sortie en salles a eu lieu en mai 68, en pleine grève générale, alors que les distributeurs refusaient de sortir leurs films à cause des manifestations. Cette semaine-là, Le Viol du vampire fut le seul nouveau titre à l’affiche et, du coup, tous les critiques allèrent le voir. Et ils n’ont pas été tendres avec moi (rires) ! Je me souviens que l’un d’eux avait même écrit: « Tout, dans ce film, est un défi au bon sens » !

Vous présentez à Épinal un nouveau film, La Nuit des horloges. De quoi parle-t-il ?
C’est une histoire en partie autobiographique car le personnage dont il est question tout au long du film est un cinéaste qui me ressemble. À ceci près qu’il est décédé… Son unique héritière est une jeune femme qui ne l’avait vu en tout et pour tout qu’une seule fois, et qui mène une enquête pour découvrir qui il était. Elle va de place en place et rencontre diverses personnes qui l’ont côtoyé et ont tourné avec lui… À chaque fois qu’elle se retrouve dans un endroit où il est allé, elle a des visions de scènes des films qu’il a tournés. Ces visions sont des extraits de mes films plus anciens.

Dans quels lieux avez-vous tourné ?
J’ai débuté le tournage à Florence, au musée de La Specola (musée de cires anatomiques où sont exposés squelettes et reconstitutions de corps humains – NdR) . Cet endroit étonnant m’a vraiment enthousiasmé et inspiré. J’ai appris son existence grâce à une amie romancière, Serena Gentilhomme, qui est elle-même d’origine florentine et qui apparaît dans le film. C’est en fait là que Ridley Scott aurait aimé tourner Hannibal, mais l’endroit ne pouvait pas accueillir les soixante personnes de l’équipe du film. En ce qui me concerne, j’y ai tourné en équipe réduite, soit sept personnes, pendant une semaine. Le reste du tournage a eu lieu en France, à Limoges.

Qui trouve-t-on dans la distribution ?
Le rôle principal est tenu par Ovidie, ex-comédienne et aujourd’hui réalisatrice de films X, dont la réputation de personnage un peu singulier et intellectuel m’est arrivée aux oreilles. Je lui ai faire lire le scénario et elle s’est montrée tout de suite partante. Sinon, beaucoup de comédiens de mes précédents films ont accepté de participer. Ils apparaissent dans les extraits inclus dans le montage et on les retrouve dans l’histoire, vingt ou trente ans plus tard.

Beaucoup de spectateurs dans les pays anglo-saxons vouent un véritable culte à vos films, plus qu’en France. Regrettez-vous de ne pas être autant reconnu dans votre propre pays ?
Un peu, mais j’ai tout de même un public français de fidèles. Tous mes films sont disponibles en dvd, et je suis régulièrement invité dans divers festivals comme celui-ci. J’y rencontre à chaque fois un petit public de fans qui, d’ailleurs, découvrent souvent à cette occasion que je suis aussi écrivain.

Plusieurs jeunes réalisateurs français se font remarquer dans le domaine de l’épouvante. En 2002, Éric Valette a réalisé Maléfique, puis Alexandre Aja a tourné Haute Tension et un remake de La Colline a des yeux; cette année, Julien Maury et Alexandre Bustillo ont sorti À l’intérieur… Avez-vous parfois des contacts avec ces gens-là ?
Vous savez, dans ce métier, on est souvent très isolé, et je rencontre rarement d’autres cinéastes. Il a fallu que je vienne ici cette semaine, à Épinal, pour faire la connaissance d’Alain Jessua, qui est pourtant de ma génération et a tourné aussi des films fantastiques. Toutefois, je me souviens avoir été approché par Alain Robak, en 1989, alors qu’il s’apprêtait à tourner Baby Blood. Il avait envie de me faire jouer, mais finalement ça ne s’est pas fait.

Baby Blood, qui fut le premier film gore produit en France…
C’est ce qu’on dit, mais Les Raisins de la mort, que j’ai tourné en 1978, fut bel et bien le premier film gore de l’histoire du cinéma français !

Mea Culpa ! Des souvenirs particuliers concernant ce tournage ?
Ce fut une expérience heureuse car c’est un des rares films de ma carrière où j’ai pu bénéficier du travail avec un producteur. Je n’avais à assurer que ma tâche de metteur en scène, sans devoir m’occuper des comptes ni régler des problèmes d’argent. C’était très confortable. Je n’avais connu cela qu’une seule fois, à l’occasion du Frisson des vampires (1973). Par la suite, j’ai tourné Les Deux Orphelines vampires (1997), d’après mon roman éponyme, en collaboration avec Daniel Filipacchi.

Si je devais comparer votre parcours à celui d’un autre metteur en scène français, ce serait sans doute Jean-Pierre Mocky, qui œuvre aussi en marge du système classique de production. À cette différence près qu’il est, lui, très connu du grand public…
Je suis très content que vous me parliez de lui. D’habitude, les gens ont tendance à me comparer à Jess Franco, ce qui me déçoit beaucoup car je ne me sens aucune affinité avec son cinéma ! Mocky est un ami, je le connais de longue date. Disons que c’est quelqu’un qui, par comparaison avec moi, a eu l’avantage de se faire un nom en tant que comédien avant de passer à la réalisation. Je devais même le faire tourner dans La Nuit des horloges, mais son rôle – le seul rôle masculin d’importance – a disparu de l’histoire suite aux réécritures successives du scénario, que j’ai développé sur trois ans.

On murmure que La Nuit des horloges serait votre dernier film…
Au départ, c’est vrai, je l’ai envisagé comme une sorte de film-testament. Quand je me suis lancé dans ce projet, je n’avais pas tourné depuis quatre ans, et je n’étais pas sûr d’arriver au bout: je n’ai pas trouvé de partenaire et le financement s’est une nouvelle fois avéré compliqué. Heureusement, la vente des droits de diffusion de mon précédent film, La Fiancée de Dracula (2002), à la chaîne de télévision ARTE m’a permis d’engager moi-même l’ensemble des fonds nécessaires. Le résultat est donc là, et l’expérience a éveillé à nouveau mon appétit de cinéma…