Baby Blood d’Alain Robak nous conta en 1991 l’horrible histoire de Yanka: écuyère dans un cirque, la jeune femme est investie par une créature embryonnaire qui la somme in utero de s’abreuver de sang humain pour lui assurer la naissance… Le prélude à une errance meurtrière aux excès dignes des films d’Herschell Gordon Lewis ou de Frank Hennenlotter. Dix-sept ans plus tard, Baby a grandi ! Pour notre plus grande joie, le rejeton retrouve aujourd’hui sa maman et, par la même occasion, le chemin des salles très obscures. Voici Lady Blood, premier long métrage de Jean-Marc Vincent. Rencontre avec le grand ordonnateur de cette réunion familiale, aussi affable en interview que sanguinaire armé d’une caméra !

Quel a été ton parcours avant ce premier long métrage ? As-tu toujours aimé le cinéma de genre et le fantastique ?
Le premier film qui m’ait marqué, c’était King Kong. Je l’ai découvert à la télé chez ma grand-mère à l’âge de 6 ans. Ensuite il y a eu la vague Star Wars… Un ami de mes parents a aussi fait mon éducation en m’emmenant au ciné tous les samedis après-midi, et c’était un fan de films de genre. Je me souviens avoir vu Le Convoi de Sam Peckinpah, Les Aventuriers de l’Arche perdue ou Le Bison blanc, avec Charles Bronson. J’ai aussi grandi avec les films de Kevin Connor, notamment Le Sixième Continent, qui fut longtemps un de mes films favoris. Je l’ai revu il y a peu avec mes enfants. Ce n’était pas aussi chouette que dans mon souvenir, mais bon…
Je n’ai pas eu immédiatement envie de faire du cinéma. Je viens de province et mes parents n’ont rien à voir avec ce milieu. Dans le cadre de mes études de lettres, j’ai dû faire un stage dans une entreprise de mon choix. Je me suis tourné vers un magazine dont je collectionnais tous les numéros depuis le premier: Starfix. J’y suis resté près de trois ans. Et je me suis goinfré de films. Sans oublier que j’ai eu la chance d’assister aux débats qui enflammaient la rédaction, composée entre autres de futurs réalisateurs tels que Christophe Gans ou Nicolas Boukhrief.
Après l’arrêt du magazine au début des années 90, j’ai trouvé du travail chez AB Productions comme scénariste pour Hélène et les Garçons et autres sitcoms. Une bonne école ! J’ai aussi travaillé dans les milieux de la pub et du film d’entreprise, puis comme auteur de jeu vidéo pour Sierra. Et un matin, j’ai eu l’idée de Noël et les Garçons, mon premier court. Et comme je n’avais pas envie de voir quelqu’un d’autre le réaliser, je me suis lancé en quête d’un producteur… Quinze ans et trois courts plus tard, je tourne mon premier long, Lady Blood.

Tes courts métrages révèlent un goût pour la comédie et un penchant pour l’action et les effets spéciaux. Des composantes que l’on va retrouver dans Lady Blood ?
Comédie, action et sfx… Des composantes qui fonctionnent très bien dans Shaun of the Dead ou Hot Fuzz (deux films qui m’ont marqué récemment), mais qui marchaient déjà il y a vingt ans dans les Evil Dead, dans Braindead de Peter Jackson ou Street Trash de Jim Muro. Lady Blood mêle comédie noire, drame policier et effets sanglants. Et vu le cinoche qui m’a bercé, c’est normal que certaines des composantes qui ont fait le succès de mes références se retrouvent dans mes films.

Au détour d’un plan de Baby Blood, on remarque une affiche annonçant Baby Blood 2. Il aura fallu près de vingt ans avant de découvrir cette suite. Si longtemps après, qui est à l’origine de ce projet surprenant ? Et toi-même, quand as-tu découvert Baby Blood ?
J’écris des histoires depuis plus de vingt ans. Je travaille parfois en solo, mais aussi en co-écriture. Cela fait par exemple plus de quinze ans que je travaille avec Hubert Chardot, co-scénariste de Wolfpack, de Faux Départ — mes deuxième et troisième courts — et de Lady Blood. Hubert est célèbre dans le domaine du jeu vidéo pour avoir créé la saga Alone In The Dark.
La plupart du temps, les histoires que j’ai envie de tourner sont ambitieuses et donc jugées trop chères par les producteurs. J’ai parlé à Éric Porcher (producteur délégué de Lady Blood — NdR) de mon envie de tourner un premier long qui soit « dans la norme » et il m’a présenté Emmanuelle Escourrou, l’interprète de Yanka, qui lui avait parlé quelques semaines auparavant de son envie de retrouver son personnage pour une nouvelle aventure. J’ai proposé à Hubert de venir sur le projet et tous les trois, Hubert, Emmanuelle et moi-même, nous sommes lancés dans l’écriture de Lady Blood.
Quant à Baby Blood, je l’ai découvert dans les pages de Mad Movies au début des années 90, grâce à un papier signé Christophe Lemaire, que j’avais croisé à Starfix au milieu des années 80. Comme je n’étais pas très accro au gore à l’époque, je ne l’ai pas vu en salles. Je l’ai découvert plus tard en VHS, par curiosité, et j’avoue avoir été surpris par ses débordements sanglants car je ne croyais pas les Français capables de faire cela.

Lady Blood sera-t-il aussi sanglant ?
Oui, mais d’une manière brutale, réaliste, alors que le film d’Alain était surtout outrancier. L’approche est différente, mais que les fans d’effets gore se rassurent: doigts coupés à la meuleuse, genou à la rotule explosée, corps transpercé par un croc de boucher, machoire dézinguée à main nue, visage comprimé par des barbelés, oreille arrachée à pleines dents… et j’en oublie ! Je crois que ce n’est pas mal pour un seul film, non ?

D’un point de vue esthétique, Lady Blood se situera-t-il dans le prolongement du travail d’Alain Robak ?
Lady Blood est à la fois un film d’horreur et un polar. C’est à dire que l’on va suivre l’enquête menée par Yanka pour découvrir qui ou quoi laisse derrière lui des corps mutilés. Elle découvrira que les meurtres ont un rapport avec ce qu’elle a engendré dans le premier opus. Amener le film sur le terrain du polar permet de l’ancrer dans une réalité sociale (Yanka a un métier, une famille, des collègues) tout en restant dans le film de genre. Et d’un point de vue esthétique, j’avais envie de travailler une ambiance nocturne et maritime. C’est pourquoi les extérieurs ont été filmés à La Rochelle. La lumière très douce et naturellement diffuse de cet endroit me semblait propice à notre intrigue.

Alain Robak a-t-il été impliqué dans Lady Blood ?
J’ai tenu à rencontrer Alain avant de me décider à me lancer dans l’aventure. D’abord par correction, car je reprends quand même son bébé. Puis nous nous sommes revus deux ou trois fois. Je lui ai montré mes courts, et il m’a assez vite « adoubé ». Alain Robak est un garçon très gentil et totalement fou… du genre ! Mais il n’a pas été impliqué dans Lady Blood. Il avait de son côté un projet à écrire et, d’autre part, il m’avait dit: « C’est ton film, je te fais confiance ! » Je regrette juste une chose: il devait apparaître dans une séquence d’hôpital psychiatrique, mais je n’ai pas eu le temps de la tourner. Il devait jouer un malade au comportement masturbatoire comme l’un des fous que croise Jodie Foster dans Le Silence des Agneaux

Comment tes co-scénaristes et toi avez-vous fait évoluer le personnage de Yanka ?
À la fin de Baby Blood, Yanka et son « bébé » étaient victimes d’un accident d’autocar, et les dernières images montraient les empreintes du bébé sur le sable qui retournaient vers la mer. Nous avons imaginé que Yanka avait survécu, qu’elle avait été internée dans un hôpital où elle a fait la connaissance de Paul, son futur époux. Désormais mariée, la Yanka de Lady Blood a une vie normale. Elle est Officier de Police et maman d’une petite fille. Mais une série de meurtres va la faire replonger dans son passé. En effet, tout porte à croire que le meurtrier qui mutile ses victimes cherche à se rapprocher de Yanka. La vérité, c’est que son rejeton a grandi et qu’il veut se reproduire avec la seule qui soit compatible avec lui: Yanka elle-même.

On remarque dans le casting la présence de gens très connus mais qui ne sont guère familiers des productions de ce genre. Je pense à Serge Riaboukine et Bruno Solo…
Je connaissais déjà, avant de tourner, la plupart des comédiens qui sont dans Lady Blood, et certains, comme Bruno Solo, sont des amis depuis longtemps. Bruno était dans Noël et les Garçons, que j’ai réalisé il y a dix ans. Serge a tenu le rôle-titre de Mesrine pour la télé, et c’est son réalisateur, Arnaud Sélignac, qui me l’a présenté.
Bruno est un fan de films en tous genres. Il est doté d’une culture incroyable et d’une grande curiosité. C’est un régal de travailler avec des gens comme lui ou Serge. Les autres acteurs, Antoine Coesens, Shirley Bousquet, Christopher Buchholz, Bruno Slagmulder, Matthias Van Khache… n’ont peut-être pas beaucoup tourné pour le cinéma de genre, mais ils ont su mettre leur talent au service de mon film. Tout comme les comédiens luxembourgeois, Jean-Michel Larre, Serge Wolf, Norbert Rutili, Jean-François Wolff, Luc Shiltz, qui se sont prêtés au jeu sans se poser de questions. Difficile de tous les nommer. Il y a 57 rôles dans mon film.

On retrouve aussi Philippe Nahon, que les fans de cinéma extrême connaissent pour ses prestations dans les films de Gaspar Noé, dans Haute Tension d’Alexandre Aja et Calvaire de Fabrice Du Welz…
Philippe est un ami d’Éric Porcher. Nous avons déjeuné ensemble plusieurs fois et il a accepté d’interpréter le supérieur de Yanka dans le film. Et paradoxalement, il n’a aucune scène violente ou malsaine dans Lady Blood. Mais je voulais Philippe car c’est un immense acteur autant qu’une icône pour les fans de cinéma de genre.

Peu de monde aujourd’hui a vu Baby Blood, dont le public est très ciblé et qui avait connu en salles une sortie confidentielle. As-tu souhaité avec Lady Blood viser un public plus vaste ? Et a-t-il été délicat d’aboutir à un métrage autonome, qui ne fonctionne pas uniquement par son lien avec le premier film ?
C’est toujours délicat de reprendre tout ou partie du travail de quelqu’un d’autre. Et dans le cas de Baby Blood, en raison de son statut de film culte pour les afficionados du gore, je savais que je serais attendu au tournant. De plus, même si le film est doté d’un petit budget, les temps ont changé depuis Baby Blood: il y a une obligation de résultat liée au fait que c’est une chaîne de télé — en l’occurrence Canal+ — qui commande un tel projet. Donc il fallait que Lady Blood soit indépendant du premier film tout en assurant la continuité. C’est le personnage de Yanka qui va servir de lien, mais son histoire dans Lady Blood est totalement originale et peut être vue indépendamment du premier film.

 

Remerciements à Denis Planat