N’allez pas croire que cette chronique est celle d’une série Z gore allemande tournée en VHS, parce que le film n’a vraiment rien à voir, pas plus que le titre n’est une fantaisie du distributeur français : Je veux manger ton pancréas est bien la traduction fidèle de Kimi no suizô o tabetai, qui, avant d’être le titre d’un film d’animation, était celui d’un roman puis d’un long métrage live, sorti en 2017. Et donc, l’histoire est aussi éloignée qu’on puisse l’être d’une production d’horreur : Sakura, lycéenne de 17 ans, se sait condamnée à court terme par une maladie. À part sa famille, nul n’est au courant, pas même sa meilleure amie Kyoko car elle refuse que celle-ci ne voie plus en elle qu’une morte en sursis. Un jour, pourtant, un de ses camarades de classe, un garçon solitaire qui n’adresse la parole à personne, apprend fortuitement la vérité sur l’état de santé de Sakura. Les deux adolescents sont désormais liés par un secret.

Le thème de l’amour condamné par la maladie n’a rien de nouveau, on a déjà vu cela dans d’autres livres, d’autres films (Love Story, bien sûr, et plus récemment Nos Étoiles contraires). Cependant Je veux manger ton pancréas — l’incongruité du titre disparaît à la vision du film — n’est pas une histoire d’amour. Le temps d’un printemps qu’ils vont traverser comme une vie en accéléré, Sakura et le garçon presque autiste (dont le prénom n’est délibérément révélé qu’à la fin) tissent un rapport privilégié, ni de la romance, ni de l’amitié, mais oscillant entre les deux. Pétillante, rieuse et sociable malgré l’ombre de la mort, Sakura est tombée sur un jeune de son âge qui existe à l’écart de la vie, reclus dans ses lectures et indifférent aux gens autour de lui. Alors elle choisit de consacrer ses derniers mois à cette relation singulière, grâce à laquelle le garçon apprendra à s’ouvrir aux autres et aux sentiments. À vivre, tout simplement.

L’histoire est triste, oui, mais aussi pertinente dans le contexte actuel de la civilisation japonaise, où l’isolement social est un autre mal, qui frappe de très nombreuses personnes. Le garçon taciturne est un « hikikomori » en puissance, et sa relation inattendue avec Sakura le sauve de ce destin d’infortune. Le personnage s’avère à l’occasion assez énervant par son manque d’allant, par son cœur comme engourdi, mais si on éprouve plus d’une fois l’envie de le secouer, c’est sans doute parce qu’on n’a pas la même bonté que la chaleureuse Sakura, sincèrement curieuse de le connaître et de l’apprivoiser (à ce titre, une référence explicite au Petit Prince de Saint-Exupéry apporte au film une dimension poétique supplémentaire). Une entreprise patiente d’autant plus poignante que le temps est justement ce qui manque à Sakura, qui sait qu’elle voit pour la dernière fois la beauté des cerisiers au printemps (« sakura » désigne aussi en japonais les fleurs du cerisier). Les nombreux plans sur les arbres en efflorescence sont magnifiques, ils viennent s’ajouter aux autres trésors du film (la scène des feux d’artifice, quel merveilleux moment !), et le décès de Sakura étant inévitable, le scénario trouve avec tact une solution pour épargner aux personnages, comme aux spectateurs, l’épreuve d’une agonie. Lorsque se met à défiler le générique de fin, attendez un peu avant de vous mettre en quête d’un gros paquet de mouchoirs pour éponger les larmes : une ultime scène arrive en toute fin de projection, et il ne faut pas la manquer.

Initialement prévu pour une sortie en salles en février dernier, Je veux manger ton pancréas ne sortira finalement pas au cinéma mais directement en DVD et bluray, le 24 juin 2020. Dommage pour les feux d’artifices, tant pis pour les cerisiers, que le public chanceux du festival « Les Saisons Hanabi » a quand même pu voir resplendir sur grand écran en mai 2019 (le film a fait l’objet de projections uniques dans des dizaines de petites et moyennes villes à travers toute la France).