« La vérité, c’est que nos vies tout entières sont gouvernées par les morts ». Ainsi parlait de façon sibylline le vieil antiquaire Kazanian, misanthrope et tueur de chats dans Inferno de Dario Argento. La sentence lugubre s’applique tout aussi bien au cinéma de James Wan. Les scénarios des films de Wan (qui, soit dit en passant, se réclame ouvertement de l’œuvre d’Argento) sont en effet hantés par les figures blêmes de l’Hadès : l’intrigue et la mise en scène de Saw tournent autour d’un mystérieux cadavre allongé face contre terre ; le héros de Death Sentence, joué par Kevin Bacon, entreprend une quête vengeresse meurtrière suite à l’assassinat de son fils ; entre le décor d’un vieux cimetière et celui d’un théâtre abandonné, les protagonistes de Dead Silence en décousent avec le spectre d’une ventriloque. La gentille famille de ce nouvel opus, Insidious, subit de semblables turpitudes, tourmentée dans son nouveau foyer par un cortège d’esprits malfaisants, sitôt ouverts les cartons de déménagement…

Si James Wan avait stupéfait son monde, il y a six ans, avec la machinerie ludique et diabolique de Saw, il n’en va pas de même avec ce quatrième long métrage qui fait office de quasi-remake de Poltergeist (1982), reprenant un à un les ingrédients du célèbre film de Tobe Hooper. Comme dans Poltergeist, les esprits défunts d’Insidious jettent leur dévolu sur un des trois enfants de la famille, le jeune Dalton succédant, dans le rôle de la victime, à la petite Carol Ann. Après l’intervention d’une équipe de parapsychologues un peu geek sur les bords, menée par une voyante extra-lucide (Tangina chez Hooper, Elise chez James Wan), le père de famille lui-même s’aventurera dans l’au-delà pour porter secours à son enfant et le ramener parmi les vivants… Il serait fastidieux de poursuivre ce recensement des points de comparaison entre les deux œuvres. La tâche serait même vaine, étant donné que dans le cinéma récent, les exemples de remakes (officiels ou non) abondent. En somme, on n’en est plus à un pompage près et, de ce côté-là, on pourrait même chercher des poux à Tobe Hooper et à Steven Spielberg (producteur et scénariste de Poltergeist), leur film s’inspirant lui-même de façon évidente de La Petite Fille perdue, épisode de 1962 de La Quatrième Dimension écrit par Richard Matheson.

Alors mettons de côté le manque d’originalité du scénario. La question à se poser serait plutôt la suivante : en dépit de son lourd parfum de déjà-vu, Insidious, film de trouille auto-proclamé, fait-il bien peur ? Par intermittences seulement, et en employant des stratégies éprouvées : lorsque les pleurs de bébé se font entendre dans le baby-phone, accompagnés de chuchotements intrus, on ne peut s’empêcher de frémir, et le cœur fait un bond lorsque la mère de famille gravit l’escalier quatre à quatre pour se précipiter dans la chambre du chérubin. Idem lorsqu’une silhouette menaçante glisse furtivement à l’arrière-plan, à demi dissimulée par un voilage. Mais la mise en scène se casse la gueule dès qu’elle devient démonstrative. Les apparitions grimaçantes du bad guy de l’au-delà, bien que furtives, ne provoquent pas la terreur escomptée, et il en va de même pour la dernière demi-heure de métrage, gâchée par un onirisme de foire : la dimension parallèle fouillée par le père à la recherche de son fils est censée constituer le point d’orgue du film, mais Wan s’égare dans une esthétique de train fantôme. Et une fois de plus, des effets numériques malvenus gâchent le climax en soulignant la nature factice de l’ensemble.

Un petit mot, pour conclure, sur la comédienne Lin Shaye (photo ci-dessus), impeccable dans le rôle du médium venant en aide aux héros. Si son nom ne vous dit rien, son visage vous sera familier : pouvant se vanter d’une filmographie longue comme le bras, Lin a contribué à de nombreuses productions fantastiques remarquées telles que Les Griffes de la nuit (1984), Critters (1986), Hidden (1987) ou Running Man (1988). Plus récemment, on l’a vue dans Des Serpents dans l’avion et dans Dead End, l’excellent B-movie des français Jean-Baptiste Andrea et Fabrice Canepa. Et n’oublions pas non plus qu’elle a joué à la méchante dans le rôle de Granny Boone, dans le rigolo 2001 Maniacs de Tim Sullivan, où elle donne la réplique à Robert Englund. Autant de films intéressants à divers égards, qui valent davantage le coup d’œil que cet Insidious sentant un peu trop le réchauffé.

Sortie aujourd’hui dans les salles.

La bande annonce est visible ici.