Malgré l’absence de preuves formelles, Ignatius Perrish (Daniel Radcliffe) se retrouve mis au ban de la société car chacun le croit auteur du meurtre de sa gentille fiancée Merrin (Juno Temple). Or « Iggy » est innocent, mais dans cette ambiance d’hostilité généralisée, il va avoir beaucoup de mal à le prouver… Voilà qu’un beau matin lui pousse une paire de cornes presque dignes de celles d’Hellboy. Des appendices infernaux très décoratifs, mais dont l’apparition s’accompagne surtout d’un pouvoir fort utile dans une affaire criminelle, celui de délier les langues !

Sur le papier, Horns, adapté du roman éponyme de Joe Hill, avait tout pour devenir le parfait divertissement rock’n’roll qu’il aspire à être (le héros est un DJ à barbe de trois jours, il ne quitte jamais son cuir et ses baskets, et son sobriquet Iggy évoque le chanteur des Stooges à chaque fois qu’il est prononcé), et il n’est pas dit que notre compatriote passé à l’Ouest Alexandre Aja n’ambitionnait pas de signer avec ce nouveau métrage son meilleur film. Il faut reconnaître que Les Cornes (pourquoi pas un titre en français ?), mis en scène avec énergie, collectionne toute une ribambelle d’épisodes marquants, à commencer par les séquences de confessions de « damnés » en puissance : en présence du cornu, les concitoyens d’Iggy avouent sans pouvoir s’en empêcher leurs désirs inavoués, leurs pensées coupables. Des passages joliment absurdes à l’humour grinçant, corrosif, et autant d’aveux qui pourraient aussi — et c’est ce qu’on guette — mettre le héros sur la voie de l’assassin de sa bien-aimée. Qui a tué Merrin Williams ? L’intrigue façon « whodunit » est accrocheuse, et on songe à un autre homicide provincial éminemment célèbre, celui de Laura Palmer dans la série Twin Peaks.

Le hic, c’est la morale du spectacle, qu’on a beaucoup de mal à cerner. Alexandre Aja laisse beaucoup de questions cruciales en suspens : avec ses cornes et sa soif de justice, Iggy est-il un ange ou un démon, est-il investi par Dieu, par le Diable ? Ceux-ci ne feraient-ils qu’une seule et même entité ? Ce flou artistique devient très gênant lorsque, la projection terminée, on ressasse l’impression d’avoir vu, peut-être, un film des plus réacs, s’employant à mettre le public dans sa poche au moyen d’une tragédie sentimentale et délivrant dans le même temps un discours antédiluvien qui s’en va exhumer la notion de péché capital (les « damnés » qui vident leur sac face à Iggy apparaissent à nos yeux condamnables car ils versent dans la luxure, ou sont bouffis d’orgueil, rongés par l’envie, etc.). Cette approche archaïque explose visuellement dans la dernière demi-heure de métrage, noyée sous des effets spéciaux au service d’un fatras sulpicien hors d’âge : outre les cornes, on a droit aux ailes d’anges, aux flammes, aux cendres, aux serpents… Quant à la croix du Christ, elle devient sur un pendentif un talisman surpuissant.

Pour peu qu’on se refuse à imaginer les générations futures comme des cortèges de néo-bigots conservateurs, il est désagréable de trouver ce genre de contenu rétrograde dans une production grand public destinée en priorité aux ados. Dommage pour Daniel Radcliffe, parfait de bout en bout dans son rôle d’innocent que tout accuse et qui lui permet d’exprimer une large palette d’émotions. Au fond du trou ou vindicatif, énamouré ou éploré, le comédien trouve dans chaque scène le ton juste pour qu’on le prenne en sympathie et qu’on adhère à sa cause. On comprend que l’ex-Harry Potter ait voulu incarner ce jeune démon mal rasé pour que le public cesse de l’assimiler à son rôle à rallonge de gentil sorcier. Hélas pour lui, Iggy Perrish était un rôle piégé.

Sorti dans les salles le 1er octobre 2014.