En optant pour un style graphique particulier, Hippolyte nous offre une adaptation de Dracula qui restitue nombre d’éléments présents dans le roman de Bram Stoker. Le monstre, l’atmosphère, l’étrangeté du récit se retrouvent ici intelligemment gravés. En deux tomes, Hippolyte réussit un pari difficile en réalisant une des adaptations les plus fidèles depuis 1897, date de sortie du célèbre roman vampirique. Une rencontre que Khimaira se devait de réaliser.

Khimaira : La première chose qui frappe à la lecture de votre adaptation de Dracula est l’emploi de la carte à gratter comme technique principale. Est-ce l’envie de cette technique qui vous a amené au chef d’oeuvre de Stoker ou l’inverse ?

Hippolyte :
En fait c’est un peu plus l’envie de cette technique qui m’a amené vers «Dracula», sachant que je travaillais déjà avec ce médium depuis deux, trois ans. Comme je faisais principalement de l’illustration et que je souhaitais me diriger vers la bande dessinée, ce chef d’œuvre s’est presque imposé de lui-même, vu que je me voyais mal démarrer sur un scénario original pour un premier album. De plus la relation carte à gratter/Dracula me semblait tellement évidente, au niveau de l’atmosphère, qu’il n’y avait pas tellement à chercher plus loin…

K : Votre adaptation débute avec «L’invité de Dracula». Pourquoi avoir mis cet épisode, retiré par les éditeurs du roman de Stoker ?

H : Mon envie première, en me penchant sur le roman de Stoker, était de l’adapter de la manière la plus fidèle possible. Et cet épisode était pour moi non seulement indispensable à la compréhension du récit, mais également une des parties les plus fortes de l’œuvre, car elle permet d’entrer tranquillement dans l’histoire et d’installer les premières peurs chez le lecteur. Elle a une dimension très mystérieuse et le cocher est un personnage assez incroyable, c’est un peu le garde-fou de Jonathan qui, lui, le considère comme un simple illuminé aux croyances ancestrales, pour se
rendre compte un peu plus tard de son erreur…

K : Que pensez-vous de l’adaptation de Dracula par Francis Ford Coppola ?

H : Personnellement, je l’ai trouvée assez fantastique. Au niveau visuel, il y a des trouvailles admirables. Il a vraiment réussi à moderniser l’image de Dracula, tout en conservant ce côté mythique qui fait la richesse de l’œuvre. Et les costumes sont merveilleux. Maintenant, il y a quelques libertés par rapport au scénario de Stoker, ce qui est un peu dommage. La première partie, L’invité de Dracula, n’apparaît pas dans le film. Et puis, cette histoire d’amour entre Mina et le Comte, même si elle fonctionne très bien et permet de grandes scènes inédites, n’était peut-être pas indispensable. Reste maintenant à savoir si c’est un choix délibéré ou une commande du studio. S’il s’agit réellement de la volonté de Coppola, de la vision qu’il a du récit, alors c’est très bien. Le film fonctionne parfaitement en l’état. Après, au niveau des films de vampires, j’ai quand même une petite préférence pour le Nosferatu, de Werner Herzog, qui possède une dimension onirique incroyable, laissant planer un malaise constant avec des plans parfois aux limites de l’abstraction. Et, dans un autre registre, il y a Le Bal des Vampires de Polanski, qui fut pour moi un véritable choc.

K : Votre vampire apparaît comme insaisissable. Il est fort proche de l’idée d’un fantôme. Est-ce là votre conception, votre «image» du vampire ?

H : Je ne voulais pas d’un vampire omniprésent; d’ailleurs on ne le voit que très peu dans le premier tome. L’idée était qu’en ne le montrant pas, on suggérait toujours sa présence; il pouvait être partout et arriver à tout moment. Du coup, Jonathan paraît toujours surveillé et cela crée, à mon avis, plus d’intensité que si j’avais réellement défini la place de Dracula. Donc oui, on est assez proche de l’idée d’un fantôme, même si on se dit que c’est un fantôme qui peut être à divers endroits à la fois, voire même à l’extérieur, dans un nuage, une forêt… En regardant bien les images, on peut même le découvrir dans des éléments de décor, mais là c’est au lecteur de chercher, et de s’y perdre.

K : Pensez-vous retravailler sur des thèmes fantastiques ?

H : Je dirai oui, mais a priori je n’en sais rien. En tout cas, pas dans l’immédiat. Je vais déjà rouvrir mes rideaux, ranger mon cercueil au placard, aller voir ce qui se passe dehors et prendre un bain de soleil ! Sérieusement, il y a beaucoup d’histoires très intéressantes à adapter dans le domaine du fantastique et il y en a aussi sûrement beaucoup à écrire… Mais c’est vrai qu’il est toujours intéressant, en adaptant un texte fantastique en bande dessinée, de lui donner un nouvel élan, une nouvelle exposition et, si possible, une nouvelle vision.