Un cadavre de femme atrocement mutilé est découvert dans le quartier des « love hotels » de Tokyo. Les organes génitaux ont été découpés et plusieurs parties du corps, dont la tête, sont manquantes. Une inspectrice de la criminelle, Kazuko, est chargée de l’enquête. Flashback : Izumi, bientôt 30 ans, est l’épouse de Yukio Kikuchi, romancier célèbre. Les relations amoureuses passionnées que l’écrivain dépeint dans ses romans sont à l’opposé de la vie de couple aseptisée qu’il impose à sa femme, pour lui simple domestique. Se mourant à petit feu, Izumi trouve un peu d’oxygène en dégottant un job de démonstratrice en supermarché. Un jour, une rabatteuse l’aborde et lui propose de devenir modèle pour des photos célébrant la « beauté féminine ». Izumi est du genre nunuche, mais son désir contrarié a raison de sa timidité. Débutant par des séances de photos soft, elle enchaîne bientôt avec des prises de vues plus osées, puis des tournages porno. La double vie d’Izumi lui fait croiser un soir le chemin de Mitsuko, une prof d’université qui passe ses nuits à faire le trottoir… 

Par le biais de ses héroïnes, Sono Sion, issu de la scène japonaise underground, dresse une allégorie noire de la société nippone. Apparaissant en tenue traditionnelle au côté de son célèbre mari lors de ses apparitions en public, Izumi est au départ la victime symbolique du système social rigide de mise au Japon, pétri de règles castratrices. De même, Yukio, le mari, apparaît à nos yeux comme l’incarnation de ce système et, surtout, de son hypocrisie, comme des révélations finales à son sujet viendront le démontrer. Mitsuko, tapineuse lettrée, va devenir le Virgile d’Izumi dans sa traversée des enfers.  Un double périple : le voyage est à la fois intérieur (l’exploration de la féminité contrariée d’Izumi via la pornographie et la prostitution) et extérieur (les strates interlopes de la capitale japonaise). On croise dans les quartiers rouges des silhouettes étranges, comme issues d’un délire onirique, par exemple ce proxénète à manteau blanc et chapeau melon adorant faire éclater des balles de peinture rose sur les filles. La voie choisie par l’épouse frustrée est-elle le chemin de la libération, du paradis, ou Izumi court-elle tout droit à sa perte ? L’ouverture a donné à l’histoire un ton tragique, on sait que la mort attend l’une des deux femmes à une croisée de chemins…

Récit initiatique captivant, Guilty of Romance est distribué en France dans un montage international d’1h54. Une version d’une demi-heure plus courte que celle diffusée au Japon, laquelle propose non plus un double mais un triple portrait de femmes, les trente minutes supplémentaires étant consacrées à Kazuko, la fliquette enquêtant sur le meurtre. On y apprend que la jeune femme mène aussi une vie de couple qui ne la satisfait pas et qu’elle s’est engagée dans une relation extraconjugale. Découvrira-t-on un jour en France ce montage intégral ? Peut-être. Quoiqu’il en soit, même dans sa version tronquée, Guilty of Romance propose une collection de scènes sidérantes. Sono Sion demande beaucoup à ses merveilleuses comédiennes (quel duo !), Makoto Togashi (Mitsuko) et Megumi Kagarazaka (Izumi), souvent dénudées. L’histoire des deux femmes réserve de nombreux passages érotiques, il donne lieu également à des séquences dialoguées assez incroyables, comme un échange autour d’une tasse de thé qui tourne à un invraisemblable jeu de massacre verbal. Une manière pour Sono Sion de célébrer avec fracas le pouvoir des mots, lorsqu’ils sont vraiment porteurs de sens et ne servent pas de véhicules au discours imposé par la norme. Voilà une autre question abordée par le métrage, passionnante quoique source d’écueils pour le réalisateur, qui fait des allusions répétées, et donc un peu pesantes, à la littérature, la poésie, notamment à l’œuvre de Kafka. Mais cette réserve mineure n’entame en rien la fascination suscitée par ce film intense, exceptionnel.

Sorti le 25 juillet 2012 dans seulement 16 salles. Un circuit restreint, mais les copies devraient tourner assez rapidement. Surveillez les affiches des cinémas d’Art et Essai à côté de chez vous…