Remontons les siècles, en des temps où la fée électricité ne pouvait adoucir nos craintes, où les petits gens croyaient en la parole des érudits. Là, au cœur de la nuit, entendez ce cri qui déchire le silence, voyez ces yeux étincelants qui vous suivent. Il est là, le premier de son espèce…

Nous sommes dans la région d’Arcadie, à l’ouest du Péloponnèse. Le roi Lycaon et ses cinquante fils sont réputés pour leur impiété. Sous les traits d’un pauvre paysan, Zeus leur rend visite. Lycaon a l’effronterie de lui servir de la chair humaine. Zeus, indigné, foudroie les fils et métamorphose Lycaon en loup, incapable d’assouvir sa faim ou d’oublier son ancienne condition d’homme. Lycaon, l’homme loup, le lycanthrope.

Le garou n’est pas toujours un loup
André-François Ruaud rappelle, dans son Dictionnaire Féerique, que le garou est avant tout un homme qui se transforme en bête. Ainsi, plusieurs formes existent : le Nahual du Mexique se change en coyote, le Lagahoo des Caraïbes devient mi-homme mi-âne. Il y a des chacals-garous au Congo, des ours-garous dans l’Europe du Nord, des tigres-garous en Chine où l’on connaît aussi un cas de hibou-garou. En ce qui concerne les hommes-loups, ceux-ci changent d’appellation suivant leur pays ou leur région. En Argentine, le lobisón est, en général, le 7ème fils d’une famille. Au début du XXe siècle, devant la multiplication des infanticides, le gouvernement a édicté une loi selon laquelle chaque 7ème fils aurait, pour parrain, le Président. En Finlande, le vironsusi est mélancolique car il est transformé pour le restant de ses jours sauf si on l’appelle par son prénom. Alors, il ne conservera, en souvenir de sa métamorphose, que sa queue.

Le mythe devient réalité
Déjà à l’Antiquité gréco-romaine, Hérodote, Strabon, Pomponius Mela ou Virgile rapportent des récits de garous. Les légendes celtes, franques et européennes y font référence. Cette croyance s’accroît au Moyen-Âge où des sorciers terrorisent la populace en courant dans les champs, les nuits de pleine lune, couverts de peaux de loups. Au XVe siècle, l’empereur Sigismond réunit un collège qui conclut à leur réalité. Durant 3 siècles, près de 100’000 européens sont brûlés vifs. Jacques Auguste Simon Collin de Plancy, dans son Dictionnaire Infernal (1863), indique que des dizaines de milliers d’autres ont péri sans procès. Ces monstres avaient, dit-on, la faculté de dévorer les astres, causant ainsi éclipses de lune ou de soleil. Leurs pouvoirs se renforcent à la nouvelle lune, à la lune noire, durant la période de l’Avent, à Noël ou à la Chandeleur.
Dans La Petite Encyclopédie du Merveilleux, Edouard Brasey nous révèle que, de la fin du Moyen Âge à la Renaissance, soit en un peu plus de 100 ans, on instruit 30’000 procès en France. L’un des exemples les plus fameux est celui de Gilles Garnier, accusé d’avoir dévoré plusieurs enfants dont un garçon, agressé le vendredi suivant la Saint-Barthélemy, ajoutant à ses méfaits « […] d’avoir tenté de manger gras un jour défendu […] » Il est condamné à être traîné à revers sur une claie jusqu’au tertre de Dôle où on le brûle vif le 18 janvier 1573. Son comportement ne pouvait être imputé qu’à une « mal bête ». Cette personnification du mal devient, chez certains missionnaires, le signe d’une punition divine. Les agressions trouvent ainsi un sens plus général dans une religion où la transformation d’homme en bête apparaît comme le comble de l’horreur, un affront à l’égard de Dieu qui a créé l’humain à son image.
La condition de loup-garou est héréditaire ou acquise (les enfants « nés coiffés », ceux sevrés puis remis au sein, ceux conçus la veille d’un dimanche ou les jours saints). Elle survient après la malédiction d’un sorcier ou d’un prêtre, en trinquant avec un loup-garou qui prononce une formule voire grâce à des objets magiques. Contrairement au vampire, le loup-garou appartient au monde des vivants, et la transmission par morsure est une invention du cinéma, une juxtaposition des deux mythes.

Folie ou maladie ?
Il faut attendre un édit de Louis XIV, en 1682, pour que la lycanthropie soit reconnue comme une maladie. Les « loups de la pleine lune » deviennent des « lunatiques ». Cette affection existait bien avant, puisque les premiers cas ont été recensés au temps des Grecs et des Romains. Lors des crises de disette, des affamés se jetaient sur des troupeaux ou des hommes. Ils ne sortaient qu’à la nuit, se terraient dans des cimetières. L’on parle désormais de lycanthropie clinique, pathologie associée à des schizophrénies. Certains individus, isolés pendant des années, peuvent développer une thérianthropie clinique. C’est le cas des enfants sauvages. Sans oublier l’hypertrichose, un dérèglement hormonal qui se manifeste par une pilosité envahissante. Petrus Gonsalvus, né à Ténérife en 1556, dont la maladie fut étudiée et peinte au XVIe siècle, est probablement le plus célèbre d’entre eux.

Des cas étranges
Il y a eu, en France, plusieurs affaires de loups anthropophages. Or tous les zoologistes s’accordent à dire que cet animal ne s’attaque presque jamais à l’homme. Jean-Marc Moriceau recense et analyse celles-ci dans son Histoire du méchant loup – 3’000 attaques sur l’homme en France du XVe au XXe siècle. À chaque fois, les mêmes faits troublants reviennent : le manque d’efficacité des armes, la rapidité et la distance des déplacements, les attaques diurnes ou au cœur des villages, les décapitations, l’acharnement meurtrier. Tout désigne l’homme loup. En 1664 – 1665, le Gâtinois est en proie à ses exactions. Mais le drame le plus avéré se déroule au sud-ouest de Versailles. Dans un vaste quadrilatère, entre 1673 et 1683, plus de 500 paroissiens sont dévorés. En 1690, l’on répertorie 200 victimes autour d’Orléans. De février 1693 à septembre 1695, c’est le règne de la bête de Touraine. Un animal d’une hardiesse et d’une férocité inouïes qui dédaigne le bétail pour agresser ses gardiens. Le clergé multiplie les prières et, au bout de quelques mois, le carnage cesse. La bête aura fait près de 200 victimes. Cette période néfaste donne matière à Charles Perrault pour brosser le portrait de son grand méchant loup dans Le Petit Chaperon Rouge (1695).
Au cœur d’une autre région de bocage, une malbête va devenir la plus célèbre d’entre toutes : la bête du Gévaudan . Du 30 juin 1764 au 19 juin 1767, on dénombre quelques 250 attaques, dont plus de 100 mortelles. D’immenses battues, réunissant jusqu’à 20’000 hommes, font chou blanc. C’est une balle bénite qui la tue enfin. Outre le nombre considérable de victimes, l’on relève certains détails curieux : les paysans, accoutumés aux loups, l’ont directement désignée sous le terme de bestia . Des décapitations, des vêtements disposés avec soin auprès des cadavres, la faculté de se tenir debout sur ses antérieures achève de convaincre en la présence d’un homme loup. Puis une autre se manifeste, aussi insaisissable et effrayante. Pendant plus de sept ans (1809 – 1817), la Bête des Cévennes sème la terreur à une vingtaine de kilomètres du foyer initial. Plus audacieuse qu’en Gévaudan, elle n’hésite pas à pénétrer à l’intérieur des maisons. Elle est décrite comme un loup de la taille d’un âne, avec un pelage brun, une crinière noire et de grosses mamelles. 29 personnes périssent, dont 6 sont décapitées. Elle n’a jamais été capturée ou tuée.
En 1925, dans un village alsacien proche de Strasbourg, l’on accuse un garçon d’être un loup-garou. Une bête mystérieuse ravage une réserve navajo en 1946. En 1949, à Rome, la police mène une enquête à ce sujet et en 1957, à Singapour, une série d’agressions pose une énigme jamais éclaircie : des loups-garous s’attaquent aux pensionnaires d’un foyer d’infirmières. Plus proche de nous, les journaux anglais de 1975 révèlent la tragique histoire d’un jeune homme de 17 ans qui croit se transformer. Pour mettre un terme à ses souffrances morales, il se plonge un couteau dans le cœur. De 1977 à 1988, dans le massif des Vosges, sur un territoire de 150 km2, une bête massacre plus de 300 animaux en 9 mois. Sa mobilité, son apparition brutale inquiètent. Elle échappe aux pièges, au poison, aux battues. L’on fait venir des chiens, mais ils refusent de lui donner la chasse. La créature adopte une stratégie : elle attend que les rabatteurs arrivent sur elle pour se couler entre leurs lignes. Un témoin parle d’un animal de 60 kilos aux oreilles droites et à la queue pendante, à la robe gris jaune, plus grand qu’un berger allemand. Les poils retrouvés permettent de conclure à un canidé, sans plus. Ses empreintes ne sont pas identifiables, les photos trop mauvaises pour tirer une conclusion. Puis la bête disparaît mystérieusement.
En 2003, un quotidien suisse rapporte ces propos insolites tenus devant le tribunal où un homme est poursuivi pour le meurtre de son épouse : « J’ai vu ses canines pousser. Elle dégageait une odeur étrange. Comme celle d’un loup-garou. » Selon l’expert psychiatrique, l’accusé n’a pas perdu tout contact avec la réalité.

Comment arrêter un loup-garou ?
Il faut attendre qu’il se transforme pour le tuer avec une balle en argent, de préférence bénite, car l’épaisseur de sa peau le met à l’abri des armes ordinaires. En Bretagne, on doit le décapiter et jeter sa tête dans une rivière. On peut le forcer à reprendre sa forme humaine en lui donnant un coup de fourche entre les yeux, en brûlant son pelage, en le frappant avec une clé ou en faisant couler quelques gouttes de son sang. Dans d’autres régions, l’amputation d’un membre le délivre. Mais l’ancien garou conserve la faculté de comprendre le langage des loups, ce qui le conduit souvent à devenir chef de meute.

LITTERATURE
Les contes abondent dans la littérature médiévale : on y trouve la double influence de la littérature antique (en particulier le Satiricon de Pétrone) et du folklore. Deux livres illustrent bien les croyances de l’époque : Discours de la lycanthropie ou de la transmutation des hommes en loups (1599) de Sieur de Beauvoys de Chauvincourt et De la Lycanthropie, transformation et extase des sorciers (1615) de Jean de Nynauld. Parmi nos contemporains, on peut citer Hughes-le-loup, d’Erckmann-Chatrian (1859). Jean Giono, avec Un roi sans divertissement (1947), raconte l’histoire d’un tueur en série qui sévit dans un village de montagne, perpétrant ses meurtres à la manière d’un loup. Claude Seignolle offre de nombreuses variations sur ce thème, par exemple dans Le Gâloup (1960) et Comme une odeur de loup (1966). Boris Vian raconte, dans Le Loup-Garou (1947), la vie d’un pauvre loup contraint de se transformer en homme lors des nuits de pleine lune. Sous le même titre, Hermann Löns parle d’une confrérie secrète qui, pour se défendre des pillards, s’identifie aux loups-garous. Il y a L’Année du Loup-Garou (1983) où Stephen King s’ingénie à faire coïncider les apparitions de sa bête (calendrier lunaire) avec les dates symboliques du calendrier américain (Independence Day, Thanksgiving). L’amateur appréciera Wolfen – dieu ou diable (1982) de Whitley Strieber. Le seul, à notre connaissance, qui reprend le thème du garou : La Féline – Cat People (1982) de Gary Brander. Dans un autre genre, Laurell K. Hamilton propose une série de romans (1993-2008) dont l’héroïne, Anita Blake, vit dans une Amérique où la population cohabite avec vampires, loups-garous et autres monstres qui ont, pour certains, acquis une existence légale. Dans Les loups de la pleine lune (2005), Edouard Brasey relate l’effroyable destinée d’un homme, victime de la plus ancienne des malédictions. De nos jours, peu de romans reprennent le thème du garou, plus prisé, semble-t-il au cinéma. On trouve quelques anthologies intéressantes comme celle présentée par Claude Lecouteux : Elle courait le garou – lycanthropes, hommes-ours, hommes-tigres, une anthologie ou bien encore celle d’Alain Pozzuoli intitulée Les morsures du loup-garou.

Et maintenant, si nous allions nous balader ? La forêt est tranquille, la nuit est belle et la lune est si pleine…