On connait déjà, depuis plus d’un siècle, la fameuse Clochette imaginée par James Matthew Barrie, et dans le Yorkshire, à Cottingley, les habitants continuent d’entretenir le souvenir des petites fées prétendument prises en photo dans leur jardin par les cousines Elsie Wright et Frances Griffiths. C’était à l’approche des années 1920, et l’affaire fit grand bruit outre-Manche. Bref, entre l’Angleterre et les jolies créatures ailées, il y a toute une histoire à laquelle on peut maintenant ajouter les albums Fées des sixties (Pixies of the Sixties dans leur édition anglaise), certes français et néanmoins étroitement liés à la culture britannique. Cinq albums réalisés par autant de duos/trios d’artistes différents dont voici le premier tome, écrit par Jul’ Marroh et dessiné par le Sicilien Giulio Macaione.

Comme les quatre volumes encore à venir, Les Disparitions d’Imbolc respecte un concept imposé (et défini par le dessinateur belge Jean-François Baudot, alias Gihef) : l’histoire doit être un one-shot et doit avoir lieu dans l’Angleterre des années 1960, en pleine période d’ébullition culturelle et alors qu’est avérée l’existence des Fées et de leur dimension magique. Nombreuses d’entre elles — mâles comme femelles — ont franchi la porte entre les deux mondes et vivent parmi les humains, non sans s’attirer la méfiance, voire l’hostilité d’une partie de la population (et des politiques), aux penchants méchamment xénophobes. C’est dans cette atmosphère agitée que débarque à Londres Ailith Blackwood, jeune Écossaise arrivant dans la capitale pour y entamer une carrière de reporter dans un grand quotidien. Son rédacteur en chef la met aussitôt à l’épreuve : elle ne dispose que de quelques jours pour proposer au journal un article retentissant. Ailith se lance dans l’enquête de mystérieuses disparitions ayant toutes eu lieu en forêt peu auparavant, le jour du 1er février.

Les fées sont « comme des membres de ma famille », déclare le scénariste Jul’ Maroh (autrefois Julie Maroh et désormais auteur « transgenre »), qui poursuit : « je les contacte et les honore à plusieurs occasions du calendrier celte. Je les invoque lors de rituels ou de marches en nature, et leur prépare des offrandes. » Marchant à sa façon dans les pas du romancier Arthur Conan Doyle (qui crut dur comme fer, foi de spiritualiste, à l’authenticité des photos de fées de Cottingley), Jul’ utilise les personnages typiques de la fantasy pour diffuser un message de tolérance envers les marginaux quels qu’ils soient (les fées sont une métaphore de tous ceux qui vivent hors du « système », volontairement ou non) ainsi que certaines minorités sexuelles. Ainsi l’auteur juge que les mondes féerique et païen se rejoignent en étant l’un comme l’autre authentiquement « queer », et l’héroïne Ailith, au départ défiante à l’égard des créatures magiques, rencontre un féetaud au physique androgyne, « en même temps mâle et femelle et, en même temps, rien de cela », dont elle tombe amoureuse et qui lui apportera une aide cruciale dans son enquête.

On ne peut pas nier que tout cela soit démonstratif, d’un didactisme d’autant plus agaçant qu’il sert une idéologie portée, au-delà de la BD, par des théoriciens du « genre » et des activistes. Cela dit, et même si le concept de fantasy uchronique a beaucoup en commun avec le passionnant cycle du Paris des Merveilles de Pierre Pevel, l’intrigue tient la route, les personnages sont fort bien troussés et les qualités du trait et de la mise en scène de Giulio Macaione assurent une lecture très agréable. Quant à l’atmosphère du « Swinging London », elle est aussi joliment reconstituée et réinventée avec, entre autres, des manifestations hippies pleines de fleurs et pleines de fées.

En librairie depuis le 1er février 2023. Le tome suivant, L’Ange de Manchester, sort le 5 avril.