Fabrice du Welz est un garçon heureux. Venu présenter son premier long métrage Calvaire à Gérardmer, il repart avec pas moins de trois récompenses, dont le Prix spécial du Jury et le Prix de la Critique internationale. Entretien avec le réalisateur belge au lendemain de la présentation du film au public et au jury.

Il y a quelques années, tu as remporté le Grand Prix de la compétition courts métrages de ce festival avec le film Quand on est amoureux, c’est merveilleux
Comme Calvaire, c’était un film très controversé qui a provoqué beaucoup de réactions. Recevoir cette récompense a donc été un grand moment pour moi et me retrouver de nouveau ici, à Gérardmer, pour présenter mon premier long me fait très plaisir. En fait, le parcours de Calvaire va bien au-delà de mes espérances au moment de la conception du film. Il a même été projeté au dernier festival de Cannes dans le cadre de la Semaine de la Critique.

Comment définis-tu Marc Stevens, le personnage principal ? Il tient le rôle de la victime dans cette histoire.
En fait, ce n’est pas vraiment une victime dans la mesure où l’on n’éprouve jamais de compassion ni de sympathie pour lui. Lors des différents festivals où le film a été projeté, beaucoup de spectatrices m’ont avoué qu’à leurs yeux, il n’était même pas un homme mais un personnage pitoyable qui ne fait que se plaindre, réclamer de l’aide et pleurnicher. On le prend au début pour le « héros » mais on n’apprend finalement rien de lui. On se rend compte, peu à peu, qu’il n’est qu’une coquille vide qui va devenir le réceptacle de la folie des autres.

Il y a plusieurs références à la religion dans Calvaire, à commencer par le titre. Comment faut-il les interpréter ?
J’ai cherché à créer du sens à partir de ces symboles, un peu à la manière de Buñuel. Pour Marc Stevens, le film est un long et douloureux cheminement vers la rédemption. Au début, c’est un personnage froid incapable d’aimer. Puis son calvaire va le transformer, jusqu’à en faire une sorte de bête dénuée de parole mais qui, finalement, arrivera à prononcer ces mots : «Je t’ai aimé». J’ai également joué avec l’iconographie religieuse de façon à souligner la foi qui habite les personnages. Ces hommes recherchent désespérément l’amour et veulent croire aveuglément à cette illusion qui fait que Marc Stevens devient, à leur yeux, Gloria, la femme qu’ils ont aimée.

Tu évoques Buñuel mais j’ai aussi remarqué d’autres références dans ton film. Délivrance de Boorman vient tout de suite à l’esprit, ainsi que Massacre à la tronçonneuse.
Il y a plein de références comme celles-là. J’adore le cinéma, je vois énormément de films et j’ai donc accumulé un grand nombre de références que je n’hésite pas une seconde à placer sous forme d’hommages. Quand on a tourné la scène du repas de Noël, tout le monde m’a dit que j’étais cinglé, que c’était, ni plus ni moins, la scène du dîner de Massacre à la tronçonneuse. Et alors ? Je ne veux pas avoir de complexes. Ce qui est important, c’est la capacité, petit à petit, de s’affranchir de ses références ou bien de savoir les réutiliser à sa manière. Je suis encore un jeune metteur en scène qui a besoin de trouver sa voie et, pour l’instant, mon but est de provoquer des réactions fortes dans le public, de susciter des émotions, même si c’est de la colère. J’ai à cœur de ne laisser personne indifférent tout en tournant des films que j’aurais, moi-même, envie de voir en tant que spectateur.

Aux côtés de Jackie Berroyer et de Laurent Lucas, on retrouve dans la distribution Philippe Nahon, un vrai « bad guy » habitué des films très noirs de Gaspar Noé et qui a aussi tenu le rôle du tueur dans Haute Tension.
Philippe Nahon, je l’avoue, est un peu l’archétype du sale bonhomme, mais c’est ainsi que j’ai voulu Calvaire dont la trame, simple et basique, a déjà servi dans je ne sais combien de films. Mon but a été de faire un survival plein de stéréotypes qui, peu à peu, acquièrent une nouvelle dimension. Bartel, par exemple, qui est joué par Jackie Berroyer, finit par susciter un sentiment d’attraction mêlé de répulsion, et on peut éprouver pour lui une certaine sympathie car c’est quelqu’un qu’on devine fragile. Cela rend d’autant plus intense la peur qu’il inspire car il n’est jamais hystérique et se comporte toujours normalement, même lorsqu’il commet des actes horribles. Mais il y a d’autres « icônes » dans mon film, à commencer par Brigitte Lahaie qui est l’emblème du porno français des années 1970 et à qui je rends également hommage. Et malgré sa poitrine superbe, elle peut aussi avoir une allure inquiétante, notamment grâce à son regard et ses expressions.

Mais Brigitte Lahaie n’apparaît qu’au début de Calvaire. Dès qu’on quitte l’hospice, on pénètre dans un étrange territoire peuplé d’hommes. Comment justifies-tu l’absence totale de femmes dans cette micro-société ?
En fait, il n’y a pas que cette contrée habitée par les hommes. Trois mondes co-existent dans le film. Le premier est celui dépeint dans l’hospice. C’est la réalité, la civilisation. Puis on pénètre dans l’univers de Bartel qui est à la lisière du fantastique. Enfin, il y a la nature au milieu de laquelle vivent Bartel et les autres, mais qui va finir par reprendre ses droits et avaler les humains, les annihiler et en effacer toute trace. À la toute fin, il n’y a plus que cette réplique, «Je t’ai aimé», qui résonne comme un écho.
Concernant le monde de Bartel, il me fallait à tout prix dépeindre un monde sans affection, d’où l’absence de personnages féminins. Les hommes, dans Calvaire, sont des êtres humains et ils ont besoin d’amour. Or il n’y a pas de femmes et les choses vont forcément mal tourner. Pour moi, Calvaire est donc une histoire d’amour, même s’il s’agit d’un amour pervers et malade.

Il y a eu tout de même une femme autrefois : Gloria…
Oui mais Gloria a-t-elle seulement existé ? Peut-être est-elle juste un fantasme, une partie du cauchemar global que constitue le film. C’est aussi cet aspect qui fait que de nombreuses personnes rejettent le film alors que d’autres le prennent comme une comédie noire.

L’humour, c’est vrai, est très présent, notamment dans une scène étrange, celle du bar, où tout le monde, soudain, se met à danser à la manière de pingouins.
C’est un hommage à André Belvaux et à son film Un soir, un train. Dans ce film, Yves Montand et Anouk Aimée traversent eux aussi la campagne et débarquent dans un cabaret flamand à la fois très rococo et bourgeois où tout le monde boit. Et puis apparaît une superbe serveuse qui symbolise la mort et les invite à entrer dans une sorte de danse macabre. J’avais envie de refaire cette scène qui, en fait, a été improvisée sur le tournage. Je l’aime beaucoup car elle équilibre le film. Après avoir vu ça, on se dit que tout est possible, que tout peut arriver. En même temps, je trouve qu’elle dépeint la solitude de ces types d’une façon assez poétique.

Est-ce que tu vas poursuivre dans le genre fantastique ou bien va-t-on te voir prochainement tourner une comédie romantique ?
(Rires) Je ne crois pas. Je ne suis pas la personne qu’il faut pour faire ces films-là. Non, je pense que je vais poursuivre dans le fantastique.

 

Remerciements à Michel Burstein