Il est bizarre, peut-être, mais sans aucun doute audacieux et louable de se lancer en 2023 dans une nouvelle aventure éditoriale imprimée, d’autant que celle-ci est à destination d’un public lettré et amateur d’insolite, autrement dit une audience restreinte. Nous parlons ici d’Estrange, superbe « mook » semestriel dont le premier numéro est sorti à l’automne dernier. Fondé grâce à une campagne de financement participatif qui a suscité l’adhésion d’un nombre appréciable de curieux (si vous en faites partie, vous avez su trouver votre patronyme dans la liste de quatre pages placée en fin de volume), Estrange a pour vocation d’embrasser l’étrangeté sous ses multiples formes, de porter un regard d’explorateur partout où, dans notre monde actuel, la singularité et la bizarrerie survivent et ressurgissent aux yeux de ceux qui veulent bien les voir et ne désirent rien d’autre que de s’y plonger.

Concrètement, à quoi avons-nous affaire ? À 180 pages d’articles longs, denses, documentés, imprimés sur un papier à fort grammage (en plus d’être une expérience esthétique — car la mise en page est belle —, la découverte de l’objet s’accompagne d’un indéniable plaisir du toucher) et consacrés à des thèmes variés. Les sujets mobiliseront l’œil et les neurones des férus de science et d’astrophysique (la « matière noire » s’étale des pages 18 à 29), de science-fiction (on disserte sur les ovnis), d’arts plastiques (il y a aussi des portfolios — œuvres peintres, photographiques, des collages également). Et les cinéphiles s’immergent dans de longs développements consacrés à Nope de Jordan Peele ou à la « folk horror » (si The Wicker Man de Robin Hardy ou The Witch de Robert Eggers font partie de vos films de chevet, vous savez déjà de quoi il est question). Enfin, en embuscade en fin de numéro, nous attend le texte d’un très long entretien (car les interviews sont d’une longueur peu commune, on comprend que les journalistes passent des heures à s’entretenir avec les personnes qu’ils interrogent) avec Jean-Teddy Filippe, auteur en 1989 de la série Les Documents interdits, collection de courts métrages préfigurant à leur manière la vague des « found footage » qui a submergé les écrans de cinéma dans les années 2000-2010. Diffusés initialement sur La Sept/Arte, lesdits Documents étaient mis en scène à la manière de captations prises sur le vif, souvent en plans-séquences et pour la plupart en noir et blanc, et dans lesquelles une double voix off nous accompagne à la découverte d’un événement a priori fantastique venant perturber une situation au départ bien ancrée dans le réel. Des films aujourd’hui visibles en VOD sur Vimeo, nous signale Jean-Teddy Filippe, une précision fort utile pour attirer sur ces drôles d’objets les regards d’une nouvelle génération de spectateurs titillés, à l’instar de tout lecteur d’Estrange, à l’idée de pousser une nouvelle porte entrouverte sur la « twilight zone »…

Créé par François Theurel (par ailleurs fondateur de la web-émission Le Fossoyeur de fims sur YouTube), Estrange #1 est disponible depuis le 26 octobre 2023 et vous sera remis par votre libraire en échange de la somme de 20 euros. Prochain numéro au printemps…