Il est des  romans dont on éprouve le besoin de prolonger la découverte, tant le ressenti éprouvé est inattendu et le traitement qui est fait de son sujet nous interpelle (cf notre chronique), « Les blessures du silence » (Albin Michel) est de ceux là

Et pourquoi pas à l’occasion de quelques questions à son auteur, Natacha Calestrémé, pour parler de ce dernier de son dernier roman, de son oeuvre et de ses projets.

 

©Stéphane Allix

Pouvez-vous nous présenter vos personnages récurrents et plus particulièrement celui qui fait figure de personnage principal Yoann Clivel ? A quels autres êtes-vous attachés ? Lequel vous incarne le plus ?

Yoann Clivel est major à la police judiciaire de Paris. Son père est décédé alors qu’il n’avait que 10 ans et il est entré à la police en espérant résoudre ce crime. Il lui a fallu « Le testament des abeilles », « Le voile des apparences » et enfin « Les racines du sang » pour mettre un point final à cette affaire secondaire (chaque roman présente une enquête principale qui se résout à la fin). A cause de cette blessure d’abandon qu’il a vécu très jeune, il quitte les femmes dont il est amoureux avant qu’elles ne le quittent… Il a pourtant une passion pour les femmes qu’il sait faire vibrer comme nul autre. Il est donc célibataire au début des « Blessures du silence »… peut-être pas pour longtemps. Lorsqu’il est sous stress, il lui faut du sucré. Il a des Rochers Suchard au chocolat dans sa boîte à pharmacie. J’aime aussi Filipo, le commissaire qui est déçu de l’humanité et refuse d’avoir des enfants mais qui a deux chiens qu’il a appelé Jean-Luc et Xavier. Nathan, cet enfant de 7 ans qui a des capacités particulières est aussi un de mes chouchous. Physiquement, je me projette assez en Alisha avec ses très longs cheveux et ses yeux en amande. J’ai le tempérament jusqu’auboutiste de mon héros, son franc-parler et son côté tranchant, ses origines Basques et sa passion pour la nature. J’espère avoir la générosité et l’humour de Christian son binôme, les intuitions de Nathan. Je porte en moi, à différents degrés, toutes les blessures psychologiques de mes personnages et un bon nombre de leurs épreuves. Mes romans me servent à partager ce qui m’a fait évoluer.

 

« Les blessures du silence » est, si je ne me trompe pas, le quatrième roman où vous faite apparaitre Yoann Clivel, vous aviez encore envie de le faire intervenir, pourquoi ?

J’aime ce personnage. Je le connais très bien, nous sommes si complices qu’il « parle » souvent à mon oreille pour m’aider à construire les histoires. Comme bon nombre d’auteurs, il y a longtemps que mes personnages prennent vie à mes côté lorsque j’écris. Parfois, au début, je suis tentée d’écrire sans lui mais il finit par s’imposer légitimement. En fait, est-ce bien moi qui décide ? (rire).

 

Ce nouveau roman est à la fois dans la continuité de vos précédents dans sa construction (qui associe enquête policière classique et des éléments paranormaux), en revanche, on le rapproche plus facilement du voile des apparences sans doute parce qu’il n’y a pas de véritable « meurtre », pas de corps ? Comment vous est venue l’idée de ce sujet très actuel, le harcèlement ?

Votre analyse me touche, elle est extrêmement juste. Je vais vous faire une confidence que je n’ai jusque là, jamais faite : Dans Le voile des apparence, Yoann Clivel perd quelqu’un au moment précis où je perds une personne très proche à cause du harcèlement d’un pervers narcissique. A l’époque, le drame me frappe et je suis KO de n’avoir pas su l’aider. Alors, Yoann expérimente la mort et la culpabilité. Comme moi. Je vais mener près de 2 ans de recherche écrire Les racines du sang puis (une fois prête) Les blessures du silence. Et c’est ainsi qu’après moi, Yoann trouve enfin la vérité autour de cette disparition et se répare lui-même.

 

 Est-ce que sa construction ingénieuse s’est imposée de suite à vous ? La fin en particulier dont les rebondissements sont d’une habileté démoniaque?

Ça vient par blocs. Une idée en amène une autre. C’est sans fin. Parfois j’entends un mot, une anecdote et cela agit comme un déclencheur. Mes contacts avec la police judiciaire, la PTS et la Crim’ aident beaucoup. Les armes du crime inattendues de mes deux précédents romans sont empruntées à la vie réelle et à des affaires en cours de jugement.

 

Vous êtes journaliste, quelles ont été vos recherches par rapport à la personnalité des pervers narcissiques ? On comprend très bien dans votre roman la difficulté à « faire tomber » juridiquement ce genre de prédateurs ? Sont-ils aussi nombreux, à votre connaissance, que veut le laisser penser la rumeur?

Ce sont presque deux ans de recherche sur la question. J’ai lu des livres de psychiatrie, de psychologie, j’ai rencontré des victimes mais aussi des thérapeutes en médecine alternative en vue de proposer dans ce roman, des moyens d’avancer et des solutions. Le harcèlement moral au sein d’un couple a du mal à être puni par la loi parce que notre justice se base sur la rigueur de la preuve. Or là, il s’agit d’une violence des mots, c’est donc la parole de l’un contre celle de l’autre. Une femme sur 5 subit des violences physiques et d’après les associations, il y a deux fois plus de femmes qui subissent des violences psychologiques. Le problème est que, bien souvent, cela se passe sans témoin et que l’on remet en question la victime. Quant aux pervers narcissique que beaucoup appellent les « pn », c’est un terme utilisé à tout va. Dès que quelqu’un n’est pas sympa, c’en est un. Alors, nous sommes tous pervers ! Ce n’est pas exact. Ce fléau invisible reste néanmoins bien présent dans notre société et génère bien plus de douleur qu’on ne l’imagine.

 

Quels ont été les premiers retours que vous avez eu rapport aux blessures du silence ? Avez-vous déjà une idée en ce qui concerne votre prochain livre ? Un autre roman avec le 3ème DPJ ?

Le plus important, lorsque je l’ai écrit, était d’aider ceux qui vivent ça, à s’en sortir. La forme du roman était évidente parce qu’il est plus facile de ramener chez soi un roman qu’un guide intitulé « comment sortir de l’emprise ». Et puis, bien souvent, les victimes ne savent pas qu’elles le sont. Dans Les blessures du silence, j’émets une hypothèse qui permet de comprendre les mécanismes à l’œuvre et visiblement, ça fait sens. On me propose des conférences sur le sujet. Les témoignages que je reçois tous les jours sont extraordinairement encourageants et cela me remplit de joie. Je suis étonnée que tant de lecteurs prennent le temps de m’envoyer un petit mot à ce sujet. Des victimes qui cessent de culpabiliser, qui avancent, mais aussi l’entourage qui comprend enfin.

Oui, je connais la suite des aventures de Yoann Clivel. Toute l’histoire est déjà dans ma tête. Lorsque je serai un peu moins prise par la promotion, je commencerai le plan, puis l’écriture viendra.

 

 

Nos vifs remerciements à Natacha Calestrémé

ainsi qu’à Laure Pelletier et Gilles Paris pour l’organisation de cet entretien.