Figure emblématique de la métamorphose et de la part sauvage de l’homme, le loup-garou a vu deux séries franco-belges le mettre particulièrement à l’honneur. Mais si Garous et Nemrod retiennent de suite l’attention, d’autres albums l’abordent sous forme de clin d’œil ou de place plus ou moins prépondérante. Regards sur cet animal qui est en chacun de nous.
La peur du loup…
L’animal fascine l’homme. Il n’y a qu’à voir l’émerveillement des enfants dans un zoo, pour les dessins animés ou films avec des loups. Un émerveillement qui l’est tout autant pour nous, adultes, rappelons-nous le succès du Dernier Loup d’Oz et son souvenir si profondément ancré en nos esprits alors que l’unique tome date déjà de 1993 ! Mais la peur du loup est tout aussi profondément ancrée. Des contes du grand méchant loup jusqu’à la marionnette surgissant dans le petit théâtre et qui fait hurler les tout-petits, le loup est impressionnant, menaçant. La gueule ouverte sur ses crocs et ses grognements, les poils hérissés, ont de quoi faire frémir les plus courageux ! Il est bien le prédateur le plus symbolique de nos contrées européennes…
L’homme qui vivait il y a bien longtemps en meute tout comme les loups, a fait du parent du loup son plus fidèle ami : le chien. A partir de ce moment, le loup devient le prédateur, la part sauvage de l’homme. Parce qu’il lui ressemble beaucoup, qu’il accueille parfois l’homme en son sein, a une vie sociale, chasse comme l’homme tout en étant si différent, si sauvage, l’animal devient le monstre idéal. Dans Le Livre de Jack, le petit héros se transforme en monstre et on ne s’étonne nullement de voir en ce monstre un loup-garou. Dans Marie des Loups, c’est tout l’aspect instinctif, animal, du loup qui marque la jeune héroïne. Pas besoin de transformation pour ressentir la jeune louve en elle. Enfin, lorsque Luuna rencontre son totem, celui-ci apparaît sous la forme de deux loups, ajoutant au représentant de la nature sauvage, l’idée de dualité Bien/Mal ou plutôt nature sage et nature sauvage.
Le héros de Swolfs dans Légende sera, lui, élevé par un meneur de loups, un de ces hommes vivant parmi les loups et supposé garou par les autres qui le craignent et le rejettent. Lorsque son fils adoptif l’interroge sur les raisons qui poussent les hommes à chasser sans pitié les loups, le père lui répond : « Le loup leur échappe… Ils n’en feront jamais un chien rassurant, fidèle et servile… Mais plutôt un rival insaisissable, auquel les hommes attribuent tous les penchants qui assombrissent leur âme ! Ces penchants qui leur inspirent crainte et dégoût ! En tuant le loup, l’homme croit chasser ses propres démons ! Et il en sera de même pour toi mon fils, car tu garderas un peu du loup… et tes « semblables » le sentiront confusément… A défaut de pouvoir te soumettre et te garder en cage, ils oeuvreront à ta perte ! ».
On le voit, le loup fait peur. Alors lorsque l’homme possède cette faculté de se métamorphoser en loup-garou, il est normal de voir la Bête présente dans toute galerie de monstres qui se respecte. Les jeunes héros de la Confrérie du Crabe en croisent naturellement un sur leur route tout comme ce dernier fera partie des monstres de différentes séries comme Mélusine, X-Men, Swamp Thing, Hellboy, Alban, Outre Tombe, etc.
Vive les garous !
Si le portrait du loup-garou stéréotypé est bien connu, notamment par le biais de la littérature et du cinéma qui l’ont surexploité, attachons-nous à une image plus moderne, un peu plus différente comme l’ont travaillée certains auteurs.
Alain Henriet en dresse ainsi trois portraits bien différents dans Loup-Garou. Dans la première histoire une jolie guerrière réserve à ses amants une surprise de taille. La deuxième histoire nous sert un vieil homme, lycanthrope à ses heures. Quant à la troisième, elle nous entraîne dans les profondeurs de la forêt…
Vincent Fourneuf n’a malheureusement publié que le premier tome de sa série de loups-garous Razoredge. L’histoire est celle de Chris Slade, lycanthrope, qui fuit son monde pour atterrir dans le nôtre et vivre une vie paisible jusqu’au jour où ses frères de sang le rejoignent pour instaurer le chaos. Ce qui est intéressant comme élément ici est que la métamorphose est contrôlée, elle ne dépend pas de la pleine lune par exemple. Les stéréotypes sont abandonnés au profit d’un garou pensant, maître de ses choix, de faire le Bien ou le Mal.
Cette maîtrise de son état de garous est au cœur également des deux séries les plus représentatives de ce thème.
La première n’est autre que Garous de Gaudin et D’fali. Le scénariste précisait d’ailleurs dans le dossier Métamorphose du Khimaira n°11 (1ère série) qu’il avait voulu distinguer son garou du mythe du loup-garou connu comme au cinéma : « Dans la série, je ne parle jamais de loup-garou. Il est uniquement question de Garou et pour moi, il y a une grande différence. Là où le loup-garou supplante l’humain, je voulais conserver l’homme derrière la bête. Le loup réduisait le propos à un animal hurlant à la lune, ce que je ne voulais sous aucun prétexte. Le garou est un homme rongé par ce qu’il y a de plus animal en lui. Il peut penser, ressentir des émotions et finalement apprendre à dominer ses instincts. Il ne subit que sa propre influence et non pas celle d’un astre… »
Cette idée de dominer ses pulsions animales revient en force dans l’excellent Nemrod de Latil et Sempere. Dans cette série, un des personnages déclare aux hommes qui ont été mordu par un garou que « Le Lycaon a réveillé en vous ce qui a permis à notre espèce de survivre avant qu’elle ne taille la pierre ou ne crée le feu… ». En cela, l’hypothèse qu’en chacun de nous demeure une trace de cet esprit animal devient ici réalité. L’explication est alors scientifique puisqu’il ne s’agirait que d’une histoire d’adn et de virus. Un filon qui aurait pu être plus largement exploité qu’en ces deux tomes… Ceci nous permet de renouer clairement avec l’idée que la peur du garou, au fond, n’est que la peur de notre nature sauvage que nous repoussons sans cesse, que nous essayons tant bien que mal de maîtriser.
Nous terminerons par la version, plus humoristique, qu’en donne Hérenguel dans sa série Krän : « Un garou se différencie des autres bestioles par ces trois caractéristiques : En premier, ça pue terriblement un garou… en second lieu, c’est plein de poils et teigneux, et en troisième, un garou peut devenir gigantesque sous l’effet de la pleine lune. Un conseil, si une nuit vous en croisez un, évitez de le déranger, c’est susceptible ces bêtes-là ».
Bon d’accord, après une telle définition, vous vous dites que vous en connaissez quelques-uns de garous. Preuve s’il en est que le garou fait bel et bien partie de la nature profonde et si « mystérieuse » de l’Homme. Grrr !
A lire les soirs de pleine lune…
Garous, Gaudin et D’Fali, Soleil
Krän, Herenguel, Vents d’Ouest
Loup-Garou, Henriet, Khani
La confrérie du Crabe, Gallié et Andreae, Delcourt
Le Dernier loup d’Oz, Lidwine, Delcourt
Le Livre de Jack, Filippi et Boiscommun, Les Humanoïdes Associés
Légende, Swolfs, Soleil
Luuna, Crisse et Keramidas, Soleil
Marie des loups, L’Homme et Penet, Soleil
Nemrod, Latil et Sempere, Soleil
Razoredge, Fourneuf, Pointe Noire