Après des débuts chez Troma Films – il a signé le scénario de Terror Firmer, tourné en 1999 par Lloyd Kaufman –, Douglas Buck s’est distingué en tant que réalisateur avec son anthologie de courts métrages Family Portraits. Pour son passage au format long, le cinéaste américain a choisi de s’essayer à un remake de Sœurs de sang (1973) de Brian De Palma. Sisters a été présenté en juillet 2007 au NIFFF (Neuchâtel International Fantastic Film Festival).

Votre premier long métrage est donc un remake…
C’est vrai, et il suit même à la lettre la structure du film de De Palma. Cela dit, j’aime à penser qu’il raconte une histoire différente, celle de personnages perdus, détachés de la réalité, et qui doivent traverser une série d’épreuves violentes pour, à la fin, retrouver une certaine forme d’innocence et d’harmonie. C’est une approche de l’histoire qui était absente du film original.

Comment vous êtes-vous retrouvé sur ce projet ?
Il y a huit ans, j’ai eu une discussion avec Gaspar Noé (réalisateur de Seul contre tous et Irréversible – NdR). Il venait de rencontrer le producteur Ed Pressman et lui avait demandé dans quels nouveaux projets il avait envie de se lancer. Pressman a mentionné la possibilité d’un remake de Sœurs de sang. L’idée m’a tout de suite séduit. Il y avait dans le métrage de De Palma beaucoup d’idées et de thèmes très féministes, liés par exemple à la frustration ou à l’identité sexuelle, que j’avais envie d’explorer à ma manière.
J’ai ensuite mis quatre ans pour m’imposer auprès d’Ed Pressman et lui proposer mes services. Je lui ai montré mes courts métrages, il a apprécié et m’a engagé pour tourner ce remake. Il s’est ensuite passé encore quatre ans avant d’aboutir à un scénario satisfaisant.

L’atmosphère de Sisters me fait plus penser à Chromosome 3 (1979) de David Cronenberg qu’au film de De Palma…
Lorsque vous réfléchissez à la meilleure façon de filmer une histoire, vous pouvez être influencé par le travail des metteurs en scène que vous appréciez. À l’époque de Family Portraits, un journaliste m’a avoué que mes courts métrages évoquaient chez lui les films de Bergman, qui se trouve être un de mes cinéastes préférés ! J’admets donc cette parenté avec Cronenberg et, à vrai dire, vous n’êtes pas le premier à la souligner. Lorsque Ed Pressman a lu mon scénario, il m’a dit que j’avais le choix entre deux styles de mise en scène pour le tourner: à la manière d’Hitchcock ou à celle de Polanski. J’ai bien sûr plutôt penché pour une approche à la Polanski… Plus tard, alors que nous visionnions des rushes, Pressman m’a fait cette remarque: « Finalement, sais-tu à quoi ressemble ton film ? À du Cronenberg tout craché ! »

Votre approche de la psychologie d’Angélique, le personnage principal, est-elle réaliste ?
D’un point de vue clinique, Angélique est en effet un phénomène, et je ne pense pas qu’il soit très courant, dans la réalité, d’observer des cas aussi extrêmes de dédoublement de personnalité. Mais je n’ai jamais eu pour objectif de livrer une étude clinique, pas plus qu’un film moral définissant les notions de bien et de mal. J’ai voulu tourner un film fantastique, et c’est ainsi qu’il faut aborder Sisters. Plusieurs plans – par exemple le dernier, où l’on voit les sœurs s’éloigner dans les bras l’une de l’autre – sont même à considérer comme des métaphores, comme les illustrations d’un paysage mental plutôt que comme une vision objective de la réalité.

Comment avez-vous choisi Lou Doillon ?
Une autre comédienne devait tenir le rôle d’Angélique et elle s’est désistée peu avant le tournage. C’est le directeur du casting, à Los Angeles, qui a pensé à Lou et m’a convaincu de faire appel à elle. C’est une fille d’apparence très douce mais qui, selon la manière dont elle est photographiée, peut prendre un air inquiétant. Elle s’est impliquée à fond dans le rôle, s’est documentée sur l’univers médical, sur ce qui se rapporte aux jumeaux… Elle m’a impressionné ! Par ailleurs, il se trouve que sa mère, Jane Birkin, a autrefois tourné dans Blow Up (M. Antonioni, 1966), qui contient beaucoup d’éléments propres au giallo, et j’avais aussi envie de rendre hommage à ce genre avec Sisters.

Avez-vous un giallo préféré ?
Difficile à dire. Presque tous les gialli contiennent des moments inspirés. Si un titre m’a influencé au moment de faire Sisters, c’est sans doute L’Alliance invisible (S. Martino, 1972). Il y a dans ce film des scènes d’hallucinations impressionnantes, pleines de couleurs, vraiment bizarres. J’ai fait découvrir ce film à mon directeur de la photo pour qu’il s’imprègne de l’atmosphère et la garde à l’esprit durant le tournage.

Y a-t-il un remake que vous refuseriez de tourner ?
Il y en aurait même pas mal ! Jamais je n’aurais accepté de refaire Massacre à la tronçonneuse, par exemple. Ce n’est pas que je déteste le remake qui en a été fait, mais il n’est pas très différent du film original de Tobe Hooper, qui est un classique. Et puis je n’aimerais pas avoir à re-tourner un film de ce calibre. En revanche, je n’aurais rien contre une nouvelle version de La Dernière Maison sur la gauche (W. Craven, 1972), parce que les temps ont changé et qu’on serait obligé d’aborder l’histoire d’une autre façon. À l’époque, dans les années 1970, vous pouviez vous permettre de montrer à peu près n’importe quoi sur un écran. C’était l’âge d’or du film d’horreur. Aujourd’hui, on considère surtout le cinéma sous l’angle du divertissement, et même l’épouvante accouche le plus souvent de films conventionnels. La Dernière Maison… c’était autre chose: c’est une œuvre puissamment subversive, et la représentation de la violence qui y est faite est un affront aux normes morales imposées par la société.

S’agit-il pour vous de la mission première du cinéma d’horreur ?
Tout à fait. Un film d’horreur doit bousculer le public, l’amener à un questionnement. Dans cette optique, le premier film qui m’a marqué – et qui, pour moi, est un film d’horreur – est À travers le miroir (1961) d’Ingmar Bergman. C’est une œuvre riche qui aborde le thème de la souffrance humaine et conduit à s’interroger sur la possible absurdité de l’existence.