Lisa, Kim et Tammi ont quitté la grisaille de Leeds pour quelques jours de vacances au soleil. À Palma de Mallorca, les jeunes anglaises font la connaissance de quatre compatriotes, membres d’équipage d’un yacht laissé à quai par son propriétaire. Les gars invitent les filles à bord puis leur proposent de poursuivre la journée en mer. Au large, ambiance et météo sont au beau fixe, pourtant les choses vont très mal tourner…

Le huis clos maritime à suspense est un (sous-)genre en soi. Vous prenez une poignée de personnages, vous les isolez sur un bateau à des milles de la côte et vous voyez ce qui se passe une fois survenu un élément perturbateur qui gâte le farniente en haute mer. Dans le célèbre Calme blanc (1989) de Philip Noyce, Sam Neil et Nicole Kidman font face à l’irruption sur leur voilier d’un naufragé pas très net (joué par Billy Zane) ; dans Dream Cruise (2006, Norio Tsuruta), mari, femme et amant, embarqués pour une escapade d’un week-end sur la grande bleue, se retrouvent aux prises avec un fantôme… Sans oublier les quelques métrages (contrairement à ce qu’on peut penser, il n’y en a pas tant que ça) consacrés au fameux triangle des Bermudes, comme Le Bateau des ténèbres (2001, d’un certain Christian McIntire, avec Lance Henricksen) ou, tout récemment, Triangle (2008), le bon suspense à la Twilight Zone de Christopher Smith avec Melissa George. Personnellement, j’aime aussi beaucoup Virus (1998, John Bruno), où Jamie Lee Curtis et cette vieille canaille de Donald Sutherland affrontent une entité extraterrestre sur un rafiot abandonné.

Le Mal, dans Donkey Punch, n’œuvre pas sous la forme d’un psychopathe, d’un monstre ou d’un spectre. Son visage est celui de Bluey, l’un des quatre garçons (le comédien choisi, Tom Burke, est le seul de la bande à ne pas être « beau gosse », avec son regard bas et son demi-sourire à bec-de-lièvre). Alors que tout le monde rigole sur le yacht, il vient distiller une première dose de venin en faisant circuler des pilules d’ecstasy. Peu après, il fait mention du fameux « donkey punch » du titre, pratique sexuelle brutale qui implique que le mec frappe sa (ou son) partenaire. Pour finir, il sort de sa poche le nécessaire pour fumer du crack…

Cette première partie du film est de loin la plus intéressante, tant par son aspect formel que du point de vue de la narration. Durant cette première demi-heure, l’ambiance est solaire, le cadre noyé de lumière. Le montage fluide donne la sensation d’un rêve éveillé, celui que vivent les trois copines, qui, habituées à la pluie anglaise, partagent soudain des moments de luxe insouciant à bord d’un yacht. La bande son est occupée par des morceaux de pop guillerette. Puis vient le glissement progressif qui va entraîner les personnages vers le cauchemar. Une atmosphère nocturne s’installe, des nappes de synthé inquiétantes occupent peu à peu l’espace sonore (la bande originale est signée par François-Eudes Chanfrault, expérimentateur musical également auteur du score de Vinyan de Fabrice du Welz et d’À l’intérieur de Maury et Bustillo) et les personnages quittent le pont du navire et l’air du large pour l’éclairage artificiel et l’atmosphère plus confinée des cabines. Alors que Sean, l’un des boys, reste sur le pont pour conter chastement fleurette à Tammi (la plus sage des filles, celle qui n’a pas fumé de crack et n’a consenti à prendre qu’un demi-ecsta), les cinq autres, les sens chauffés autant par le soleil que par les drogues, entament une partouze dans la plus grande cabine. La séquence est longue et, pour tout dire, assez chaude, mais cet érotisme qui flirte avec le porno n’est pas gratuit : lorsque, dans un craquement de vertèbres, survient le drame (Lisa la blonde trouve accidentellement la mort suite à un « donkey punch »), la descente n’en est que plus brutale, pour les personnages comme pour les spectateurs. Les minutes qui suivent sont glaçantes. À l’extérieur, la nuit est tombée, et le temps semble figé. Tous se retrouvent les yeux écarquillés, le bras ballants, autour de la morte.

Malheureusement, la suite du film (il reste encore une bonne heure de métrage) n’est pas aussi réussie. Car le réalisateur Oliver « Olly » Blackburn ne veut pas se contenter d’un seul cadavre, et il entend donner à son récit des allures de tragédie. Le décès de Lisa provoque des dissensions à l’intérieur du groupe (que faire de la victime ? Les mecs songent à maquiller l’homicide en accident, puis envisagent carrément de jeter le corps à l’eau, ce que les copines survivantes n’apprécient guère), dissensions qui vont aller crescendo jusqu’à isoler les personnages un par un, les rapports cordiaux du début évoluant en purs rapports de force qui vont provoquer de nouvelles morts (dont une, très spectaculaire, causée par les flammes d’une fusée de détresse). Sur le papier, le tour horrible que prend l’intrigue peut sembler séduisant, mais les événements s’enchaînent avec une régularité de métronome. Cette progression mécanique, qui vise à accumuler les morts au mépris de la vraisemblance, porte un coup fatal à l’intérêt qu’on portait au film, d’autant que le sort des héros, superficiels, pas très sympathiques, nous importe au final assez peu (le personnage de Tammi, point d’ancrage pour les spectateurs, est assez fadasse et trop en retrait). Et l’ennui finit par s’installer jusqu’au générique de fin.

Tourné il y a deux ans, Donkey Punch a été projeté dans de nombreux festivals (dont celui de Sundance) avant d’être finalement distribué en France (il est sorti en Belgique l’été dernier). Après une journée à lézarder au soleil et quelques mojitos sifflés sur le front de mer, si l’envie vous prend d’un peu de fraîcheur et d’une heure trente dans l’obscurité, vous pouvez vous laisser tenter…

Sortie dans les salles le 4 août 2010.