Un auteur a une place particulière dans le panorama fantastique français. Plongeant au cœur des sources de l’imaginaire, explorant les superstitions, collectant les contes et légendes du terroir, Claude Seignolle en a retiré toute l’essence pour la transmettre à son tour au travers de ses nouvelles et romans. Dans le même temps, il n’a eu de cesse de récolter ces sources, effectuant par là un travail colossal et d’une richesse sans nom.

Lors de l’hiver 2001, nous avions eu l’occasion de recueillir les propos de maître Seignolle, propos publiés au sein d’un dossier consacré à ce dernier dans Khimaira (N°13, première série, janvier 2002). Dans le cadre des interviews des grands faiseurs de légendes (Pierre Dubois, Edouard Brasey…), il nous a paru important de revenir sur l’auteur de la Malvenue. Car cet homme, sympathique en diable, n’est pas seulement un merveilleux auteur aux récits empreints des légendes campagnardes et autres superstitions populaires. C’est également un acteur important du terreau où naissent les histoires fantastiques : le monde des contes et légendes.

L’histoire commence dans le Périgord en 1917. Le petit Claude est très vite atteint d’une maladie aussi rare que foudroyante pour l’esprit : le lithos. En clair, il se passionne pour les pierres et l’histoire, les histoires qu’elles racontent. Ceci le mènera à 13 ans à fréquenter les érudits de la Sorbonne. L’archéologie le passionnera autant que l’ennuiera l’école… « Il va de soi que toute l’histoire de la terre est dans les pierres, vous diront les géologues et j’ajouterai que, sans les pierres, je me demande ce qui aurait pu fixer en fossiles, à jamais, l’histoire des animaux et des hommes ! »

Pourtant, le grand choc, celui qui allait décider de l’avenir de Claude Seignolle, c’est une autre rencontre, celle d’un amoureux du folklore : « jeune curieux, chercheur de tout, collectionneur en herbe, il fallait que je fixe ma curiosité sur un objectif mystérieux. L’archéologie fit l’affaire avec le suspens des fouilles en terre et en cavernes préhistoriques. Mais une rencontre avec Arnold Van Gennep, savant ethnographe et voisin, me fit dévier vers le document vivant : l’humain, ses mœurs et ses légendes. « Au lieu, me dit-il, de ramasser des crânes vides dans des sarcophages antiques ou des cimetières médiévaux, vous feriez mieux de questionner les crânes pleins et encore vivants qui gardent le souvenir du passé sous la forme orale. Autour de nous dans les campagnes, il y a plein de vieux qui savent ce qui se disait dans leur jeune temps à la fin du siècle dernier (XIXème). Vite, allez recueillir leurs paroles pleines de superstitions et de légendes avant qu’il ne soit trop tard… ». C’est ainsi que le jeune Seignolle et son frère Jacques allaient durant deux ans moissonner les paroles des gens de campagne. En effectuant cette démarche, Claude Seignolle n’allait pas seulement contribuer à préserver un passé fuyant, empli de contes, de superstitions fabuleuses et d’anecdotes truculentes mais il allait également y trouver une source intarissable à ses futurs écrits fantastiques. Car c’est bien dans la campagne profonde, où la fée électricité commençait seulement à chasser les ombres effrayantes que les croyances disparaissaient peu à peu. Le fait que Claude Seignolle évoque le « cri de soulagement d’un fermier du Périgord quand il a tourné le premier commutateur de sa chambre… » témoigne à lui seul de toute cette culture de l’étrange et des peurs qui se sont aujourd’hui perdues et ne trouve plus que leur écho en nos romans. Voilà, d’ailleurs, un beau sujet de thèse que celle des transformations de notre imaginaire dues aux avancées technologiques… Fermons cette petite parenthèse pour revenir à l’œuvre colossale de Claude Seignolle en tant qu’ethnographe. De ses collectes de contes, légendes et traditions populaires, notre ami publiera plusieurs livres considérés comme des références en la matière. Dans cette lignée, les éditions Omnibus ont publié quatre tomes gigantesques de Contes, récits et légendes des pays de France rassemblés par Claude Seignolle. Paru chez le même éditeur, Une enfance sorcière, retrace avec brio la vie de l’auteur. Enfin, citons Les évangiles du diable, aux éditions Bouquins, riche en superstitions, légendes et histoires liés à la sorcellerie et autres diableries.

Le collecteur de légendes a très vite la plume qui le démange et à côté de ces recueils de contes, de ces témoignages d’un folklore s’évaporant, Claude Seignolle commence à publier ses propres histoires et rejoint rapidement les grands auteurs francophones contemporains comme Jean Ray, Thomas Owen… Dans ses romans, Seignolle placera deux figures fantastiques issues de nos campagnes : le loup et le diable. Les amateurs de loups croqueront, affamés, Marie la Louve et Le Gâloup tandis que les adorateurs du Cornu se tourneront vers Le diable en sabots. Le roman le plus touchant de Seignolle restera sans aucun doute La Malvenue. Tout en finesse et en légèreté, le fantastique se glisse dans l’histoire de cette jeune fille quelque peu sorcière. Une lecture qui concilie merveilleusement bien imaginaire et croyance populaire.

L’envie d’écrire des histoires à faire peur lui est venu très tôt comme il le précise lui-même : « la légende de la Mort d’Anatole le Braz, lue à 13 ans, m’a donné le goût de son fantastique morbide et de faire œuvre de collecteur d’histoires noires traditionnelles à frissons. ». Les idées, il les puise dans tout ce matériel premier qu’il a récolté pendant des années, renouant par là avec les premières histoires fantastiques issues du folklore. Et lorsqu’on qualifie son œuvre fictionnelle de fantastique, l’auteur rétorque immédiatement qu’il se considère plutôt comme « l’illustrateur d’une face de l’imaginaire : la superstition et son monde effrayant des frissons, jadis partagés par des populations entières, victimes d’un héritage collectif et primitif que l’homme porte en lui depuis sa caverne préhistorique, source et mère de tous ses effrois ».

En 1998, Claude Seignolle recevait la croix de chevalier de l’Ordre National du Mérite pour son immense travail de conteur et d’ethnographe. Une récompense justifiée au regard du nombre d’œuvres publiées et de cette chance que nous avons, nous lecteurs de fantastique et passionnés de légendes, de pouvoir prendre connaissance de tels témoignages…