Au centre de l’exposition consacrée à Claire Wendling, lors du festival d’Angoulême, des images défilent sur grand écran. Autour de nous, de grandes reproductions en couleurs décorent les murs. L’expo est sobre. Les dessins sont superbes. Quelle que soit la technique, quel que soit le support, Claire Wendling excelle ! BD, illustration, animation, peinture, communication ou publicité sont autant de disciplines abordées et maîtrisées par l’auteure. Si le public pouvait découvrir quelques planches de sa série BD phare, Les Lumières de l’Amalou, il pouvait aussi admirer ses travaux de recherches sur les animaux pour la Warner, ses croquis pour Iguana Bay, certains pastels réalisés pour Aphrodite, de magnifiques illustrations de science fiction ou encore de superbes dessins préparatoires pour Caillou Caillou… A l’aube de ce nouveau projet, l’occasion était trop grande de poser quelques questions à cette dessinatrice de talent ! En toute simplicité, Claire Wendling revient avec nous sur ses univers et ses projets en cours et à venir…
 

Khimaira : L’anatomie, qu’elle soit humaine ou animale, est un thème central de vos travaux. La représentation des attitudes et des mouvements constitue-t-elle le principal moteur de votre art ?

Claire Wendling : Je crois qu’en fait, si je dessine, c’est peut-être pour m’approprier un monde. Et un monde n’existe que s’il est vivant pour l’humain. Peut-être que la recherche de mouvements, à travers l’anatomie, me permet de mettre de la vie dans ce que je dessine. Si d’autres gens le remarquent, j’en suis ravie. Mais pour moi, ce n’est jamais assez vivant. Et c’est au-delà de l’exactitude d’une anatomie. C’est aussi pour cette raison que, pour moi, le contrôle des connaissances vient après. Si je prends par exemple une photo et que je la dessine servilement, et bien je n’aurais qu’un pâle reflet de ce qui était déjà en 2D pour passer encore en 2D. Ce sera juste redessiné mais finalement, tellement moins beau qu’en vrai. Ça ne sera pas vivant, ça sera quelque chose de mort.

K : Dans votre travail, on remarque aussi un goût prononcé pour le fantastique, le merveilleux, la science-fiction… Pour la nature aussi…
D’où viennent ces préférences ?

CW : De l’humain à la Nature, il n’y a pas de rupture pour moi. De l’humain à l’animal, non plus. C’est un peu l’esprit « fin 19ème ». La fiction, elle, m’intéresse plus car j’ai choisi de me créer des mondes et de dessiner ce que j’aime. Finalement, ce que j’aime, est-ce ce qui existe ou ce que j’aimerais qu’il existe ? Je ne sais pas trop… […] Le dessin est un peu comme un reflet… C’est comme dessiner dans un miroir le reflet de quelque chose qu’on aime un peu plus.
Je me vois mal dessiner quelque chose qui soit ancré dans la réalité, dans le contemporain… Pourquoi ?  Pour plein de raisons personnelles. Peut-être parce que des plaies sont beaucoup trop béantes pour me permettre de le faire. Prenez ça pour une thérapie ! (rires) C’est pour ça que, parfois c’est « kitsch », d’autres fois c’est « enfantin », d’autres fois encore c’est « crétin »… Mais c’est tellement bon. C’est comme lorsqu’on va mal et qu’on mange un nounours en guimauve. Il y a un côté salvateur à tout ça. Mais on reste conscient quand même d’être une grande personne. C’est un moment à soi, c’est tout.
 

K : Un autre thème que vous abordez, c’est la mythologie. A ce propos, vous dites : « Je n’y connais rien à l’heroic fantasy. Par contre la mythologie, c’est quand même bien fichu. Alors pourquoi essayer d’inventer des bestioles avec plus de dents et de griffes que ce qu’on fait les anciens ». Considérez-vous l’heroic fantasy comme une surenchère de la mythologie ?

CW : Non, je dis que c’est une re-visitation des peurs ancestrales qui ont déjà été écrites et qui ont déjà fondé des civilisations entières. J’ai lu L’Odyssée quand j’étais très jeune. Et ça m’a peut-être beaucoup marquée parce que justement c’était bien fichu et parce que ça tapait là où ça fait mal. Je ne dis pas que l’heroic fantasy n’est pas bien, loin de là. Je dis qu’il ne faut pas se laisser égarer par la surenchère et les faux vernis. Tout ne se vaut pas dans ce qui est moderne. […]  Et puis, qu’est-ce que l’heroic fantasy ? Il y a des choses qui sont plutôt rigolotes, donc là on peut se permettre de la liberté. Il y a un côté un peu gadget – j’aime les gadgets attention ! –, un côté fun.  Par contre, quand Tolkien fait de l’heroic fantasy, on sait très bien d’où ça vient, où il a pris telle ou telle référence. Il arrive à faire quelque chose qui a du sens, qui est cohérent et qui renoue justement avec cette tradition des peurs ancestrales et des grandes quêtes humaines… Et puis, je suis fan de SF, il faut absolument le dire ! Moi, je suis fan de Star Trek ! (rires)
 

K : Parlez-nous un peu de ce genre justement, qu’est-ce que vous aimez dans la science-fiction ?

CW : Alors là je ne sais pas. Depuis que je suis toute petite, dès qu’il y a deux étoiles, un vaisseau et un type en pyjama, je regarde et je n’y peux rien. C’est viscéral chez moi ! C’est peut-être aussi parce que je regardais toujours le ciel, que je montais sur le toit pour voir les constellations et que tout cela me fascine. Ce n’est pas parce que je trouve la planète trop petite. Mais c’est que, quelque part, tout ce qui est difficilement visible et difficilement appréhendable par l’œil, ce qu’on ne peut pas voir, est d’autant plus beau à voir !

K : Alors, peut-on s’attendre à un projet de science-fiction puisque vous adorez ça ?

CW : Ah, c’est fort possible. Oui, c’est vrai, j’en ai envie… (rires)

K : Sous quelle forme ?

CW :
Avec des cases, éventuellement des bulles… Enfin, on verra, je ne sais pas… Je ne pense pas le temps comme une ligne droite donc je ne peux pas vous dire quand, ni comment, ni pourquoi. Je sais que j’ai écrit et que j’ai dessiné certaines choses…

K : En parlant de SF, vous avez participé au coffret de Sky Doll. Quelques mots à ce sujet ?

CW : Déjà, j’adore ces deux-là (Barbucci et Canepa, ndlr). Parce que quand j’ai vu leur bouquin pour la première fois, je me suis dit :
« Ce boulot-là, il respire la joie de vivre ! « 
Ce n’est pas forcément très joyeux mais ça déborde d’empathie, de quelque chose de bon. On sent qu’ils ont profondément aimé faire ce bouquin. Ça m’a peut-être réconciliée avec pas mal de choses. C’est plein d’humilité, plein de bonheur, même quand c’est triste. Ça fait plaisir.

K : C’était un projet à l’initiative de qui ?

CW : Au départ, ils m’ont vaguement demandé de faire une pin up et puis, quand j’ai commencé à dessiner, j’étais tellement contente de dessiner leurs personnages que j’en ai fait davantage et j’y ai trouvé un réel plaisir. J’avais envie de partager leur plaisir, comme on partage une soirée entre amis. Je ne pouvais plus m’arrêter. J’en ai fait plein et puis ils m’ont dit: « Il faut absolument le publier ». Moi je disais :  « Mais non, moi j’ai fait ça pour vous, pour vous faire plaisir, pour vous dire que j’aime vraiment ce que vous m’avez apporté ». Et finalement voilà, je leur ai fait le portfolio, la maquette, etc.

K : A côté de ça il y a aussi « Caillou Caillou », un projet qui est depuis 5 ans dans les cartons… C’est le projet en cours ?

CW : Oui oui… C’est que pour moi le temps n’est pas linéaire, pour plein de raisons. Une bande dessinée, c’est un projet à long terme. Même si c’est peu de pages, je prends quand même un peu de temps. Je pense que ce sera pour cette année, sous forme d’un « one shot », chez Delcourt. J’ai dessiné énormément de choses sur Caillou Caillou. L’expo (Angoulême, ndlr) n’en a montré qu’un tout petit morceau. Je préfère ne pas trop montrer de choses lorsqu’un projet n’est pas fini.