Les fées ont une baguette magique, les sorcières en ont deux ! Batteuse au sein des Burning Witches, Lala Frischknecht s’est prêtée volontiers au supplice de la question dans les caves voutées de Khimaira. Elle nous a tout avoué au sujet du nouvel album du quintet féminin suisse, intitulé The Dark Tower. Sortie en mai chez Napalm Records.

Khimaira : En consultant les pages du grand livre du metal, j’ai appris que Burning Witches est le seul groupe dans lequel tu aies joué. Est-ce que tu peux confirmer cette info ?

Lala Frischknecht : Non, pas exactement. Au milieu des années 1990, j’ai commencé par jouer dans un groupe de hardcore, chez moi aux Philippines, et j’ai ensuite enchaîné avec une formation de thrash metal. Et puis je suis partie vivre au Japon et là, j’ai complètement laissé tomber la batterie ! Ce n’est qu’à mon arrivée en Suisse que je m’y suis remise en prenant des cours. J’ai ensuite eu vent de ces filles qui cherchaient quelqu’un pour jouer à ce poste dans le groupe qu’elles étaient en train de monter.

Et tu t’es précipitée pour auditionner ?

Pas du tout ! J’étais même nerveuse à l’idée de les contacter mais mon mari et mon prof de batterie m’ont poussée à tenter le coup : après tout, je n’avais rien à perdre à essayer. Et ils ont eu raison ! J’ai beaucoup de chance de jouer avec Burning Witches : contrairement aux groupes dans lesquels j’ai joué avant, ce n’est pas juste un passe-temps ou un amusement. Au début, à cause de cette longue période sans pratiquer l’instrument, je n’étais pas très à l’aise, je me suis même dit « Oh la la, ces nanas sont sympas comme tout, et moi je vais tout faire merder ! ». Mais non, elles ont été adorables, elles m’ont aidée à retrouver ma confiance en moi. On bosse vraiment comme une équipe, et ça va au-delà de la musique, on forme presque une famille car plein de gens autour de nous sont aussi impliqués. C’est mon mari qui s’occupe du merch, par exemple.

Tu parles de confiance en soi et le dossier de presse qui accompagne la sortie du nouvel album vous décrit toutes les cinq comme des femmes sûres d’elles. Est-ce que c’est l’image que vous avez à cœur de montrer ?

Non, on veut simplement jouer du heavy metal. On adore ce qu’on fait, et s’il y a quelque chose à communiquer, c’est la bonne énergie qui nous anime. Transmettre une partie de cette énergie, faire sourire les gens, c’est vraiment l’essentiel. C’est aussi pour ça qu’on adore faire de la scène.

The Dark Tower est votre nouvel album, et c’est le cinquième en huit ans d’existence du groupe…

Déjà le cinquième, oui. Quand j’y repense, je me dis qu’on ne remerciera jamais assez tous les gens qui nous suivent et qui nous ont soutenues dès le premier jour ! Nous avons commencé l’enregistrement de The Dark Tower en novembre dernier, en se disant que c’était peut-être un peu précipité car nous venions de rentrer d’une tournée en Amérique latine. Mais on pouvait travailler dans des conditions très différentes de celles de l’enregistrement de l’album précédent, The Witch of the North, qui a été composé pendant la pandémie, quand plein de gens étaient encore obligés de rester à la maison, quand les bars étaient fermés, etc. Alors on a foncé !

Comment se passe votre travail de composition ? Est-ce que vous vous réunissez lors de sessions d’impro pour voir ce qu’il en ressort ?

Non, on ne travaille comme ça car notre chanteuse, Laura, ne vit pas en Suisse mais aux Pays-Bas. C’est Romana qui se charge de l’écriture. Dès qu’elle a une idée, elle enregistre une démo et me l’envoie pour que je lui dise ce que j’en pense. Si je trouve l’idée géniale — et ça se produit souvent ! —, on se retrouve toutes les deux dans une salle de répétition et on travaille le morceau ensemble. Bien sûr, il s’agit alors uniquement de bosser avec deux instruments, guitare et batterie. Ensuite seulement, on transmet notre travail à Laura, qui nous renvoie après l’enregistrement avec sa voix. Je me rappelle quand on a écouté ensemble pour la première fois la chanson The Evil Witch avec la voix de Laura, j’en ai eu la chair de poule ! Arrivée à ce stade, il ne me tarde qu’une chose : qu’on se retrouve toutes les cinq en studio pour l’enregistrement.

The Evil Witch, c’est donc la chanson que tu préfères dans le nouvel album ?

J’adore aussi Tomorrow, je trouve que c’est une superbe ballade, ma préférée dans toute l’histoire de Burning Witches. C’est une chanson très positive qui parle de quelqu’un qui lutte pour trouver sa place dans la société. Et même si cela s’avère difficile, douloureux, eh bien il faut se dire que demain, ce sera un autre jour et que tout peut changer… La chanson débute avec des notes claires de guitares, le refrain est très beau avec une super mélodie, il y a des solos. C’est une chanson que je peux écouter toute la journée !

Dans The Dark Tower, plusieurs chansons ont pour thème commun la figure historique de la célèbre Comtesse Bathory. Un personnage controversé : certains la voient comme une femme réellement diabolique, d’autres comme la victime d’un coup monté qui l’aurait menée à sa perte. Dans vos paroles, il n’y a pas d’ambiguïté : elle était coupable…

Oui, mais ce n’est pas évident de se faire une opinion tranchée. Aujourd’hui il est impossible de mettre la main sur des documents d’époque, tous les papiers où ont pu être consignées les minutes de son procès ont disparu. D’après sa légende, Elizabeth Bathory prenait des bains de sang humain, ce qui ne me paraît guère crédible : il faut savoir que le sang à l’air libre ne met pas longtemps à coaguler, alors difficile d’imaginer qu’elle ait pu en remplir des baignoires pour s’y tremper.

Le clip que vous avez tourné pour accompagner la chanson-titre de l’album est de facture très cinématographique, et tu y apparais en victime de la comtesse, suspendue au-dessus de la table de salle à manger !

Oui, c’est notre toute première vidéo à avoir nécessité un travail d’actrice de notre part. Et je me suis en effet retrouvée accrochée au plafond. On a tourné le clip avec une super équipe, the Dream Film Factory. Ils tenaient à ce que chacune d’entre nous ait une scène du clip qui lui soit consacrée, alors nous avons joué les victimes de Bathory. Quand un de leurs gars sur le plateau a dit qu’il fallait qu’une parmi nous interprète le rôle de la fille suspendue au plafond, tout le monde s’est tourné vers moi (rires) ! J’ai accepté de bon cœur, bien sûr, ça ne me posait aucun problème.

Est-ce que ça vous dirait de renouveler l’expérience, par exemple dans un long métrage d’horreur et en tant qu’actrices principales ? C’est ce que les Foo Fighters ont fait il y a deux ans, dans le film Studio 666.

Pfff, je ne sais pas. J’aime bien les histoires d’horreur, c’est sûr, et si quelqu’un avait une proposition solide à nous faire, on pourrait l’envisager. Mais notre truc, c’est avant tout de faire de la musique, c’est là-dessus qu’on se concentre. Et c’est pour faire ça qu’on aime se retrouver.

En tout cas j’aime beaucoup votre approche franche et directe de l’épouvante et de toute l’imagerie que ce genre véhicule. L’artwork de l’album est superbe !

La pochette correspond à l’histoire d’Elizabeth Bathory. C’est son château qu’on voit sur l’image, et ce sont nos âmes à toutes les cinq qui ont l’air d’en sortir en s’élevant dans la nuit. Le sang qui s’écoule des ouvertures, c’est naturellement celui versé par la comtesse, et les tombes tout autour sont celles de ses victimes, puisqu’on raconte que les femmes qu’elle a tuées ont été enterrées autour du château. C’est une image qui en dit beaucoup sur le contenu du disque, on l’adore ! Elle a été dessinée par Gyula Havancsák, un grand artiste qui a conçu toutes nos pochettes d’album à l’exception de celle de The Witch of the North, qu’on doit à Claudio Bergamin.

Sinon, la batterie, est-ce le seul instrument dont tu joues ?

Non, j’ai commencé par la guitare quand j’étais ado. Aux Philippines, pour mes 18 ans, au lieu de réclamer qu’on organise une fête comme il est coutume de faire, j’ai demandé à mes parents de m’offrir une guitare. Les grosses fêtes, ce n’est pas vraiment mon truc. C’est comme ça que j’ai attaqué la pratique de l’instrument, en apprenant toute seule. C’est comme ça aussi que j’ai rejoint le groupe de hardcore dont je parlais tout à l’heure. J’ai joué de la gratte à droite à gauche, pendant quelque temps. Parmi mes amis, il y avait quelqu’un qui disposait d’une salle de répète avec tous les instruments nécessaires, et un jour, à la fin d’une session de répétition, je lui ai demandé si je pouvais essayer la batterie. Et là, waouh, j’ai été fascinée par le son qu’elle avait ! La puissance de la grosse caisse, le son des cymbales… Il y avait tellement d’énergie à tirer de cet instrument que j’ai illico laissé tomber la guitare pour m’installer derrière les fûts ! J’ai suivi un parcours d’apprentissage identique à celui de la guitare, en travaillant toute seule pour commencer, pendant un an. Et c’est en tant que batteuse que j’ai intégré mon deuxième groupe, celui de thrash metal.

Et c’est un instrument qui requiert beaucoup d’énergie. Avant de monter sur scène, est-ce que tu as une petite routine pour te mettre en condition ?

Il est très important pour moi de faire une séance d’étirements et de m’échauffer les mains. Et après le concert, il est aussi très utile de faire une deuxième séance d’étirements, sinon gare au réveil le lendemain matin, où ce sera compliqué de marcher pour sortir du lit !

J’ai observé que tu ne portais pas de gants pour jouer. Dans le milieu du metal, beaucoup de batteurs en portent…

Il y en a qui en portent, c’est vrai, et c’est justifié. À mes débuts, je me suis parfois retrouvée avec des doigts en peu sanguinolents, mais il n’a jamais été question pour moi de porter des gants. J’ai besoin de sentir la vibration de la baguette avec les mains nues. C’est pourquoi je me sers de grip pour raquette de tennis pour entourer le manche de mes baguettes.

Les autres filles et toi, avez-vous d’autres activités dans le domaine de la musique, à côté de ce que vous faites dans le groupe ?

Oui, forcément. Vivre de sa musique, c’est difficile, à moins de faire partie d’un très gros groupe. Je suis prof de batterie, j’enseigne à des enfants, d’ailleurs dans la même école de musique que Romana, qui est prof de guitare. Larissa enseigne également, le piano et le synthé. Cela va de soi, c’est une activité que nous mettons entre parenthèses quand nous partons en tournée.

Et à quoi est-ce que ça ressemble, une tournée des Burning Witches ?

Si un jour tu viens nous voir en concert, tu peux t’attendre à un show bourré d’énergie ! On adore chaque minute passée sur scène, même si on joue en pleine canicule ou si ça caille… aucune importance ! Un jour, on a même donné un concert sur le paquebot du festival Full Metal Cruise. Laura avait le mal de mer, elle a vomi tout son repas juste avant qu’on monte sur scène ! C’est totalement rock’n’roll comme vie (rires) !

Propos recueillis en avril 2023. Remerciements à Magali Besson et Anaïs Montigny de Sounds Like Hell Productions et à Juliane Baier (Napalm Records).

Site officiel du groupe