Lorsqu’une nouvelle série pointe le bout de ses planches, Khimaira se précipite pour vous en parler. Et lorsque cette série a pour dessinateur un compagnon de route de votre magazine depuis ses débuts, on n’hésite pas une seule seconde à vous en montrer quelques morceaux bien choisis. Rencontre avec Kan-J et Nicolas Jarry pour Blackwood
 

L’histoire…
Angleterre, XVIIième siècle. Londres est déserte, dévorée par le lierre, hantées par des créatures sans âme. Désormais les Hommes vivent dans la terreur car la nuit, leurs morts reviennent à la vie… 
Blackwood passe ses nuits à pourchasser les revenants, jusqu’au jour où un puissant seigneur enlève sa femme pour le contraindre à retrouver son bien le plus précieux : La moitié de son âme. Blackwood n’aura d’autre choix que de se rendre dans l’antre du Dieu Accroupi, à Londres…
 
 
Nicolas Jarry, le scénariste
 
Khimaira : Cette nouvelle oeuvre renoue une fois de plus avec la formule Jarry: prendre des choses connues qui permettront aux lecteurs de vite s’immiscer dans l’univers et offrir sa propre interprétation spectaculaire. Partir de choses connues est-il pour vous essentiel dans votre écriture ? 
Nicolas Jarry : Effectivement, je fonctionne de cette manière, j’ai besoin de m’appuyer sur quelque chose de connu (que ce soit une fiction, de l’historique…) pour amorcer un projet.
Ça me permet d’avoir un point d’appui pour lancer mon histoire et étoffer mes personnages. Quand j’ai un peu avancé, que j’ai posé les bases, je peux m’appuyer sur ma propre histoire pour m’éloigner de mon point de départ et y mettre mon propre grain de sel… 
 
K : Le héros est un chasseur. On l’imagine solitaire et vous le doter d’une épouse. C’est plutôt rare pour un tel profil ?
NJ : D’une épouse morte… lui-même pourchassant les morts-vivants. J’aimais cette contradiction. Comme on le comprendra à travers cette histoire, cette quête forcée, pour sauver le fantôme de son épouse, l’obligera à affronter ses propres démons.
 
K : Blackwood, Redstone… pourquoi ces noms qui associent matière et couleur ?
NJ : Pour deux raisons, la première, parce que ça « sonne » bien.  Mais également, et c’est la seconde raison, parce qu’ils évoquent une vérité par rapport à la personnalité du personnage.
J’aimais également la similitude entre ces deux noms qui plaçaient les deux personnages sur un pied d’égalité tout en suggérant une véritable histoire qui aurait façonné leur patronyme.
 
K : Comment avez-vous rencontré le dessinateur ?
NJ : Jean luc Istin  l’avait repéré… C’était à une époque où j’avais envie d’écrire, il nous a tout simplement présentés…
 
K : Blackwood est un récit très lovecraftien. Un auteur que vous admirez particulièrement ? Quelles forces trouvez-vous dans ces romans et quels aspects avez-vous retenu pour l’album ?
NJ : Lovecraft a été un de ces auteurs qui m’ont mis une claque… Mais pour tout dire, je suis retombé sur un des poèmes de Lovecraft (le premier qui figure sur l’album), par hasard, après avoir commencé le synopsis de Blackwood. C’est seulement à ce moment-là que je me suis décidé à l’intégrer au récit. J’ai modifié en conséquence le scénario, mais Lovecraft n’a pas été à l’origine de cette histoire.
 
K : Le fait d’avoir programmé deux albums, c’est une manière de tester le concept pour une série ? Question de prudence ?
NJ : Il ne s’agit pas de prudence, mais de réalisme. Le contexte actuel ne permet pas d’être certain de pouvoir avoir un succès suffisant pour aligner 4 ou 5 albums, et comme il est essentiel de pouvoir finir une histoire, j’essaie désormais de me limiter à des séries de 2 ou 3 albums (les chemins d’Avalon, Tokyo Ghost, Ether…) . De plus ça permet au dessinateur une certaine liberté sans être enchaîné 5 ou 6 ans sur la même série !
 
 
Kan-J, le dessinateur
 
K : Blackwood est ta première bande dessinée. Quel a été ton parcours auparavant ?
Kan-J : Menuisier, tout est une histoire de planches du coup.
Non, sans rire, un parcours classique je suppose, quelques refus, puis suite à une mauvaise expérience avec un scénariste, me retrouvant sans histoire et un peu dégoûté, j’ai envoyé le lien de mon blog à Jean-Luc (ndlr : Istin), en lui demandant simplement s’il avait une histoire pour moi, espérant me retrouver sur un collectif des contes du korrigan. Une petite semaine plus tard, la rencontre avec Nicolas, son histoire et un contrat était conclu. Je n’ai même pas fait une planche d’ essai, juste quelques recherches sur le personnage principal, je n’ en reviens pas encore…
 
K : Quelle a été la chose la plus facile et la plus difficile à dessiner ?
Kan-J : La chose la plus facile fut sans aucun doute la planche une. Pour les choses difficiles, les 45 planches suivantes… Faire un dossier bd dans son coin et réaliser 46 planches sous le regard de professionnels, cela n’a rien à voir. Faire 46 planches est déjà un gros challenge pour moi. Pour les choses difficiles niveau dessin, l’anatomie, encore et toujours, puis les chevaux. Cela doit être la chose la plus difficile à dessiner. La phase du storyboard fut réellement éprouvante aussi, je n’ai pas encore ce déclic narratif, je pense trop souvent en termes d’ «illustration», du coup, y a plein de choses que j’ ai hâte de travailler pour le tome 2.
 
K : Comment avez-vous choisi le coloriste et pourquoi lui ?
Kan-J : Je crois qu’au début, Stambecco était dans les choix de Jean-Luc Istin, j’en faisais des bons partout. Mais trop de taff pour lui, par la suite, ce n’était plus possible, j’ai donc demandé si je pouvais en chercher un moi-même. Jim (ndlr : Charalampidis), qui est pour moi un coloriste de ouf, même si il colorise pour des comics et que son style n’allait peut-être pas coller avec la collection celtique, je crois que c’est ce style de colo qui colle le mieux à mon dessin un peu trop comic justement. Jim apporte beaucoup à mes planches, vraiment que du bon à tel point que je n’envisage même plus d’apprendre à mettre en colo moi-même.
 
K : Quels sont les dessinateurs dont vous vous sentez le plus proche ?
Kan-J : Les dessinateurs américains vu que j’habite maintenant l’Amérique du nord. Ha, pardon, pas en termes de distance le côté  « proche » ? En gros, Mignola et tous ceux qu’il a inspiré. Y en a des tonnes en fait, mais Mike Mignola reste au dessus pour moi. Tous les matins, j’ouvre un de ses albums et découvre des choses à chaque fois. Puis, pour donner un autre nom, je suis hyper fan d’Alary, trop beau ce qu’il fait. J’apprécie également Mucha, Klimt, Egon Schiele…
 
K : Vous vous êtes installé depuis peu au Canada. De plus en plus de dessinateurs semblent faire ce choix… Une manière de se rapprocher des comics ?
Kan-J : Je ne suis pas venu ici pour me rapprocher des comics, juste que j’aime le Canada, 347 jours de pluie par année en Belgique, on commençait un peu à en avoir marre. Etre au Canada ne rapproche pas des comics. Ici, d’une ville à l’autre, y a trois heures de route. En Belgique, en trois heures, tu traverses le pays de part en part. Mais c’est vrai que si je pouvais un jour survivre au rythme de dessin du comic, oui, faire du super hero…
 
K : Avez-vous d’autres projets après Blackwood ?
Kan-J : Le tome 2 déjà. Pour la suite, j’espère continuer tout simplement à dessiner…