Inutile de vous présenter Ayerdhal, un des Grands de la SF française depuis déjà de nombreuses années, salué par le prix Ozone, par le prix Tour Eiffel et deux fois par le Grand prix de l’Imaginaire dont en 2004 pour Transparences. Avec son franc parler habituel, il revient ici avec nous sur ses écrits passés, sur ses projets et nous dévoile un peu de l’homme (simple, généreux et sympathique au demeurant) qui se cache derrière le pseudo.
 
 
Khimaira: Dans Chroniques d’un rêve enclavé, on pourrait facilement vous rapprocher de Karel puisque comme lui vous écrivez avec un grand franc-parler ; qu’en pensez-vous ?

Ayerdhal: Tous les personnages des Chroniques sont des archétypes. Karel est celui des artistes qui se dressent par leur art contre l’iniquité et le totalitarisme. Ils titillent les consciences, ils soulèvent les foules et ils meurent jeunes. Les livres d’histoire en sont plein, les cimetières et les fosses communes aussi. De nos jours, on en trouve encore beaucoup dans les prisons, dans les charniers et dans les journaux (l’équivalent au contemporain des livres d’histoire)… malgré le peu d’éthique de la plupart des journalistes. Je ne suis ni Karel, même si je crois aux vertus citoyennes de mon métier d’écrivain, ni Parleur, même si j’ai pris un malin plaisir à l’habiller de certains de mes défauts.
 
 
K : L’Enclave conçue par Parleur est détruite, doit-on y voir un certain pessimisme de votre part, l’idée que la chose ne peut être étendue à grande échelle ?

A: Je ne crois pas qu’on puisse « changer le monde » sans se salir les mains de ce beau vermillon qui coule dans les veines de ceux qui n’ont aucun intérêt à ce que le monde change et qui n’hésitent jamais, eux, à user de la violence. C’est pour ça que le fils de Meo revient trouver Vini, parce que, en matière d’héritage, les phrases de Karel et de Parleur lui semblent aussi importantes que les sabres de Qatam et d’Halween.
 
 
K : Dans vos romans, vous faites la part belle aux personnages féminins. Pourquoi ce choix ? Qu’est-ce qui vous permet de si bien vous mettre dans la peau d’un personnage féminin, exercice souvent difficile pour les auteurs masculins ?

A: Les bonnes questions seraient plutôt: « Pourquoi la plupart des écrivains, même si la proportion va diminuant, font la part belle au sexisme ? Et pourquoi la phallocratie prend-elle encore autant de place dans des sociétés qui se prétendent sexuellement égalitaires ? ». Si je ne peux nier avoir voulu secouer le landernau machiste de la SF française dès mon premier bouquin (à une époque où seules Elisabeth Vonarburg et Joëlle Wintrebert se préoccupaient de leurs personnages féminins autrement que comme faire valoir de leurs alter ego masculins), je me suis surtout contenté d’écrire les gens tels que je les voyais ou les espérais parce que j’ai grandi dans un milieu dépourvu de sexisme. Je ne suis vraiment pas certain de savoir « si bien » me mettre dans la peau des personnages féminins, mais je fais de mon mieux en m’appuyant sur ce que je connais de mes amies.
 
 
K : Le problème de l’identité est récurrent dans vos romans. Pourquoi ce souci ?

A: Peut-être parce que le problème de l’identité est récurrent pour l’humanité toute entière ?
 
 
K : Vous avez multiplié les space-operas, pourquoi ce genre a-t-il retenu votre attention ?

A: Parce que je suis tombé dedans quand j’étais petit et que, quel que soit mon goût pour les space-op, j’ai toujours été… euh… embarrassé que le genre s’entache d’idéologies pas franchement sympas, voire franchement pas sympas (j’ai d’ailleurs le même souci avec la fantasy, ce qui devrait m’amener un de ces quatre à y mettre mon grain de sel).
 
 
K : Les nouvelles sont-elles pour vous l’occasion d’une récréation lors de l’écriture de romans ou plutôt un laboratoire d’études ?

A: La plupart de mes nouvelles sont des travaux de commande. Ce n’est pas une distance sur laquelle je me sens très à l’aise. Mais, parfois, je tiens un sujet que je ne peux pas mettre en scène autrement, alors je me livre à l’exercice (le plus dur que je connaisse) et je compte sur l’acuité de Jean-Claude Dunyach pour me relire et me faire travailler le texte.
 
 
K : La préservation de la nature et l’égalité entre les individus sont vos thèmes fétiches, vous engagez-vous autrement que par vos écrits ? D’où vous viennent vos convictions ?

A: Mes convictions ? Du milieu militant dans lequel j’ai grandi, de mes lectures, de mes rencontres, de ce que j’entends, je vois, je sens, de… de quoi peuvent donc venir les convictions sinon de la vie elle-même, des gens qu’on y croise et de ceux qui la dépeignent, l’analysent ou la critiquent ? Quant à mes engagements extraprofessionnels, qui passent essentiellement par l’exemple, l’échange et d’autres formes d’écriture, ils n’ont finalement d’importance que pour ceux qui leur en accordent. Perso, j’ai plutôt tendance à penser que je ne m’engage pas assez.
 
 
K : Vous avez dit que la plupart des auteurs de SF américains étaient de droite alors que les auteurs français vivants sont majoritairement de gauche, comment expliquez-vous qu’on puisse à la fois se délecter d’un Herbert et d’un Ayerdhal ? Comment l’un a-t-il nourri l’autre ?

A: Comment peut-on se délecter à la fois d’un Céline et d’un Camus ? D’un Coluche et d’un Desproges ? D’un Ferrat et d’un Dutronc ? La culture est un patchwork d’idées qui s’entrecroisent, s’entrechoquent, s’entremettent parfois. Herbert et Spinrad m’ont autant nourri l’un que l’autre (comme d’ailleurs beaucoup d’autres). J’ai bien peur, hélas, de n’avoir jamais rien eu à leur mettre sous la dent.
 
 
K : Transparences est un thriller contemporain ; vous aviez auparavant écrit dans ce genre L’homme aux semelles de foudre ; y a-t-il chez vous une lassitude de la SF ?

A: Il y a surtout l’envie d’écrire dans d’autres domaines. J’ai commencé par la SF parce qu’elle constituait la petite majorité de ma culture, mais j’ai d’autres choses à dire autrement, des choses qui ne peuvent être dites qu’autrement, et encore beaucoup de sujets de SF à traiter.
 
 
K : Quel est pour vous l’intérêt d’une aventure telle que celle de Macno à laquelle vous avez participé ?

A: Au départ, l’intérêt était d’initier une série de SF à n mains. A l’arrivée, l’intérêt ne concerne plus que les joies de la déception.
K :  Qu’avez-vous retiré de l’expérience de l’écriture à quatre mains avec J.-C. Dunyach d’Etoiles mourantes ? Est-ce une expérience que vous souhaiteriez renouveler ?

A: La recette du cassoulet… non, sans dec, Jean-Claude et moi avons écrit ensemble dans le souci d’apprendre l’un de l’autre et, fais-moi confiance, nous avons beaucoup appris, autant que nous avons pris du plaisir à discutailler, imaginer, composer, travailler, retravailler, mixer, remixer, etc. Alors, oui, forcément, c’est une expérience que je vais renouveler (ce que j’ai d’ailleurs déjà fait pour deux nouvelles avec deux coauteurs différents), en premier lieu avec Pierre Bordage dès que nos agendas coïncideront.
 
 
K :  Quel espoir pour la SF française ? Comment remonter la pente selon vous ?

A: Tiens. Je vais encore me faire des copains. La SF française n’a pas à remonter de pente. Outre la génération des années 90, des auteurs récemment apparus, comme Alain Damasio ou Colin Marchika (et ce ne sont pas les seuls), prouvent que le genre est toujours aussi vivace et novateur. Le hic se situe plutôt du côté de l’édition et, particulièrement, des groupes qui sabrent la SF sous prétexte qu’elle ne dégage pas assez de bénéfices. C’est une réalité: très peu, sinon aucune, de publications de SF peuvent dégager la marge qu’attendent aujourd’hui les actionnaires des groupes qui tiennent l’essentiel de l’édition en France. Et, malheureusement, les éditeurs « indépendants » ne peuvent pas absorber tout ce qui s’écrit dans le genre. Par ailleurs, faute de laboratoire d’écriture (tel qu’a pu l’être Anticipation, par exemple), beaucoup de jeunes auteurs restent sur le carreau avant de pouvoir s’étoffer.
 
 
K : Vous dites ne pas craindre la technologie pour l’avenir. Selon vous, le réel enjeu c’est l’humain ? ça se joue au niveau de l’éducation ?

A: Difficile de nier que tout commence par l’éducation et se poursuit par l’information.
 
 
K : Vous avez dit que votre fille, par ses commentaires, avait modifié votre façon d’aborder les personnages féminins ; le regard de vos proches sur vos textes joue-t-il beaucoup sur votre façon d’écrire ?

A: Je ne pense pas. S’il est vrai que le regard de mes proches, comme d’ailleurs les moins proches, participe à ma vision du monde, de l’humanité et de toute cette sorte de choses, je doute qu’il ait une incidence sur ma façon d’écrire. Une exception notable (plusieurs même): les proches qui sont du métier, pour d’évidentes raisons techniques.
 
 
K : Quel a été votre parcours avant de vous lancer dans l’écriture ? en quoi joue-t-il (ou a-t-il joué) sur celle-ci ?
A: De l’animation socioculturelle au marketing, en passant par la Lorraine avec mes sabots, on doit pouvoir parler d’un parcours chaotique dont l’influence ressortit à la physique du chaos.
 
 
K: Vous avez écrit un document sur la dignité des personnes handicapées mentales ; pouvez-vous nous en dire plus ?

A: Il s’agit de l’histoire résumée de la première association française qui s’est souciée du handicap mental.
 
 
K : Vous êtes lyonnais, mais on vous imagine plus campagnard que citadin ; fausse impression ?

A: J’ai grandi dans les cités (celles qu’on a qualifié de rouges avant de les nommer zones). J’ai plus tard vécu dans un centre-ville, que j’ai quitté depuis quinze ans avec l’espoir de n’avoir jamais à y revivre. Je ne suis sûrement pas un citadin, ni un vrai campagnard. J’aime seulement le vert, l’espace et la sérénité, toutes choses qu’on rencontre plus facilement dans une ancienne ferme isolée que dans les univers surpeuplés de bitume et de béton.
 
 
K : Enfin, question subsidiaire, vous avez dit que votre pseudo était votre surnom avant même que vous n’écriviez, quelle en est l’origine ?
A:
Un jour, je me suis lassé de porter le même nom que beaucoup d’autres et je m’en suis créé un à mon seul usage. Il devait déjà s’agir d’un problème d’identité.