Très attendu à Cannes en compétition officielle pour le 62e Festival International du Film, Antichrist de Lars Von Trier aura déchainé les foules : des critiques aux cinéphiles. Les bruits les plus fous ont couru sur la Croisette et les avis aux sorties des projections n’auront peut-être jamais été aussi partagées ces dernières années, allant du chef d’œuvre au film gore le plus insoutenable. Il faut dire que le SAMU arrivé en fin de la projection officielle pour secourir certains spectateurs en transe aura suffisamment alimenté la chronique pour faire de ce long métrage de 1h31 une véritable curiosité pour des spectateurs et des journalistes toujours plus demandeurs de scandale.

Dans son dernier film en date, le réalisateur danois nous conte l’histoire chapitrée, cernée par un prologue et un épilogue, d’un couple – qu’interprètent Charlotte Gainsbourg et Willem Dafoe – qui fait la terrible expérience de perdre leur unique enfant accidentellement. La reconstruction familiale après ce drame semble difficile pour la mère qui se nourrit du souvenir de sa progéniture. Son mari, psychiatre de son état, décide alors de prendre la relève de la médecine et de s’occuper de sa femme afin de lui redonner goût à la vie et la libérer de ses démons. Pour cela, ils partent dans leur cabane au milieu de nulle part où l’épouse avait commencé la rédaction d’une thèse sur le diable…

Les premières minutes marquent un changement radical de style, le réalisateur instigateur du dogme nous donne à admirer une ouverture dont l’esthétique – de toute beauté – a rarement été aussi bien orchestrée au cinéma. Un ralenti d’images en noir et blanc sur fond d’un aria « classique » vient servir d’écrin au bonheur d’un couple faisant l’amour ignorant le drame tout proche qui verra leur enfant sauter par la fenêtre. A partir de ce point là, sous couvert d’une thérapie visant à faire retrouver au personnage incarné par Charlotte Gainsbourg l’équilibre psychologique, le spectateur assiste à une déconstruction identitaire d’une mère qui n’arrive pas à tourner la page et dont la personnalité se transforme au fur et à mesure de la déconstruction de la mise en scène et du scénario. On passe du magnifique au grand n’importe quoi. Sitôt le prologue terminé, la mise en scène habituelle de Von Trier reprend le dessus avec sa caméra filmant en plan rapprochés – voire très rapprochés – et bougeant dans tous les sens ce qui pourrait se justifier par l’instabilité du duo de personnages mais qui, au final, agace prodigieusement. Si les deux tiers du film sont relativement cohérents, le réalisateur fait ensuite des choix scénaristiques qui frisent le ridicule pour terminer son film sur un épilogue qui n’a ni queue ni tête au regard de ce qui précède. Même l’excellente interprétation des acteurs et en particulier Charlotte Gainsbourg – qui mériterait de décrocher ce soir lors de la lecture du palmarès un prix d’interprétation féminine pour un rôle qui n’est pas sans rappeler celui pour lequel Isabelle Huppert (la Présidente du Jury) avait remporté ce même prix avec La Pianiste – n’arrive pas à faire oublier les faiblesses trop nombreuses et à relancer l’intérêt d’un film qui synthétise tous les délires d’un réalisateur travaillant en pleine dépression nerveuse et qui au final donne une œuvre somme toute décevante. Quant à la polémique sur la dureté des images, chaque spectateur pourra se rendre compte par lui-même qu’il n’y a vraiment pas de quoi fouetter un chat. Certes, ce n’est dans les habitudes du maître danois de proposer des scènes « gores » dans ses films mais il n’y a aucun doute que ces moments « scandaleux » (pour certains) sont pour la plupart tout à fait cohérents dans la narration.

Sortie sur les écrans français le mercredi 3 juin 2009.