Voici un album au graphisme plus qu’intéressant. Amaury Bouillez, issu des Beaux-Arts de Tournai fait très fort. Un style personnel et qui fourmille de détails attire l’attention et c’est un merveilleux petit dessert qu’il nous offre. Corbeyran avait déjà travaillé avec Bouillez pour « Le Phalanstère du bout du Monde ».
L’histoire nous mène à Spleen City, une ville condamnée à son enfermement entourée d’une nature invivable constituée principalement de marécages. Abelard Tournemine est un modeste employé à la station d’épuration des eaux. Car, voyez-vous, l’eau n’est plus potable depuis la catastrophe naturelle qui a ravagé Spleen City et qui a amené la Pest, maladie contagieuse qui condamne les malades à un isolement éprouvant. Abelard en souffre beaucoup puisqu’il est le seul membre de sa famille à ne pas être enfermé. Le pauvre Abélard apporte ses analyses au professeur Kalygary qui s’empresse de les transmettre au professeur Kilojoule. Car les analyses du jeune Abélard démontrent que l’eau est normale… Et là, les choses s’enchaînent, Abélard devient la cible des autorités manipulatrices. Car derrière la Pest, se trouve en réalité une machination abominable…

En se promenant dans les couloirs des Utopiales, notre équipe est tombée sur Amaury Bouillez, jeune et talentueux dessinateur de Pest. L’occasion était trop belle pour ne pas la saisir… Petit échange autour d’un univers passionnant.

Khimaira: Comment s’est faite la rencontre avec Eric Corbeyran ?
Amaury Bouillez: Elle s’est faite quand j’étais encore étudiant aux Beaux Arts de Tournai. Grégory Charlet est un de mes amis et avait dessiné quelque temps avant moi le Maître du Jeu. Corbeyran passait de temps à autre dans l’appartement que je partageais avec Gérgory. Eric a vu mes croquis, cela lui a plu et cela a abouti au Phalanstère du bout du Monde (Delcourt)

Et l’entente avec Corbeyran ?
AB: Cela s’est fait de suite… une symbiose assez forte en fait.

Pest, c’est une idée à qui ? Une envie de travailler à nouveau ensemble ?
AB: En réalité, Pest était là avant le Phalanstère. Pest a été écrit avant mais Delcourt voulait que je passe par la collection Encrages en noir et blanc pour voir… J’étais jeune auteur, donc…

D’où vient l’histoire de Pest ? D’une rencontre avec ton graphisme ?
AB: Oui, c’est ça. Disons que quand j’envoyais mes croquis à Eric, je faisais beaucoup de médecins, de choses comme ça. Progressivement, le concept de Pest s’est mis en place…

On remarque que l’histoire est parfaitement illustrée par ton style…
AB : Oui, c’est comme tout… Comme dans un couple… Une fois ça colle, une fois pas…

Pour toi, Pest s’inscrit-il dans le courant Steampunk ?
AB: Alors là, pas du tout ! je n’aime ni ce mot, ni ce courant. J’avais lu une critique qui plaçait plutôt Pest début vingtième et le décalage est bien à rechercher à partir de cette époque là. Je ne suis pas un fan de steampunk. J’apprécie le travail de Marc Moreno (Le Régulateur, ndlr) mais c’est à peu près tout. Je trouve les œuvres steampunk trop chargée. Moi, k’aime quelque chose de plus épuré…

Pest est un monde très fermé…
AB: Oui, un monde claustrophobique. Tout le récit se passe dans la ville. Les gens sont entourés de marécages. Et puis, il y a la maladie qui rôde à l’extérieur. Ils ne peuvent donc pas sortir…

N’y a-t-il pas une envie de passer un certain message en rapport avec la politique ? En phase avec l’actualité ?
AB: Disons que cette histoire est décalée sans l’être. C’est assez proche de notre réalité.

On pense aux USA, au traitement de l’information…
AB: Même plus proche de nous, l’affaire du sang contaminé…

Nous étions à Lille dernièrement et avons eu l’occasion de voir une expo de tes planches. Cette expo était enrichie de maquettes…
AB: Ah ! ça, c’est mon papa qui fait ça !

C’était vraiment impressionnant par le détail, le rendu des personnages…
AB : C’est vrai. On me demande souvent quelles sont mes références dans la BD. J’ai du mal à répondre… Je crois qu’au niveau artistique, la première personne qui m’a influencé n’est autre que mon père. Il fait des maquettes depuis que je suis tout gamin.
Folle Image a justement sorti un album de luxe avec les photos de ces maquettes…

Au niveau de tes influences justement, on pense de suite à Tim Burton et l’Etrange Noël de Mister Jack…
AB : C’est un compliment. J’aime bien ce que fait Burton mais disons que si influence il y a, il faut les chercher du côté des sources de Burton. Quand Mister Jack est sorti, j’ai été pas mal impressionné. Je me suis alors demandé : « Mais qu’est-ce qu’il a vu pour faire ça ? ». Il faut donc chercher du côté des impressionnistes allemands, de Murnau, Fritz Lang. Les illustrateurs anglais aussi…

Et ces sources, tu les appréciais déjà auparavant où c’est à ce moment là que ton propre univers s’est mis en place ?
AB : J’ai toujours aimé les univers décalés. J’essaye de faire quelque chose qui n’a jamais été vu. Ceci dit, sans prétention… Je ne me prends pas pour Schuiten, que j’admire énormément. J’en suis un grand fan…

Vous avez d’ailleurs un point commun: la minutie. Ton dessin est rempli de détails… Les laboratoires de Pest sont dessinés jusqu’à la moindre éprouvette…
AB : Oui, c’est ma façon de voir les choses. C’est aussi une question d’expérience. Avec le Phalanstère, j’avais l’impression de ne pas avoir tout mis. Pour la prochaine série, je pense qu’il y aura toujours autant de détails mais plus de détails suggérés…

Je rebondis immédiatement là-dessus, une prochaine série ?
AB : Oui, je suis un jeune auteur. J’ai envie d’apprendre plein de choses. Je fais un album ou deux et puis je passe à autre chose.

Mais avec Pest, tu fais découvrir un univers au lecteur. Pourquoi ne pas l’explorer un peu plus qu’en deux tomes ? Pourquoi pas, à l’instar de Schuiten, faire des one-shots mais au sein d’un même univers ?
AB : C’est ce que nous désirons faire, avec Eric, sur la prochaine série. On va inventer un univers. Et dedans, piocher des histoires…

Une série à paraître bientôt ?
AB : Pour l’instant, je travaille dessus… Je ne sais pas encore quand cela sortira… Le titre sera « Terre froide ». Oups ! Je l’ai dit… (ndlr : scoop !).

Au vu du titre, un univers plutôt sombre, non ? Pourtant tes personnages sont plutôt plaisants, rigolos…
AB : Oui, c’est pour marquer un certain contraste entre l’univers et les personnages.