Pleins feux sur Algésiras qui nous revient en force avec deux actualités aux éditions Delcourt : Les Guerriers du Silence, adaptation de la célèbre trilogie de Pierre Bordage, et le tome 4 de Candélabres, avant-dernier volet de la série. Souffle épique d’un côté, souffle poétique de l’autre, Algésiras sait comment tenir ses lecteurs en haleine… Rencontre avec une auteure qui étincelle !
Khimaira : La trilogie de Pierre Bordage est une référence en science-fiction. Qu’est-ce qui vous a le plus séduite dans cette oeuvre ?
Algésiras : La richesse foisonnante des mondes et des cultures imaginés pour cette trilogie, et l’incroyable souffle épique qui fait qu’on n’arrive pas à lâcher le roman de la première à la dernière page ! Ces qualités se retrouvent dans la plupart des romans de Bordage que j’ai lus. J’avoue dans Les Guerriers du Silence avoir également un faible pour tous les passages où les « méchants » échafaudent leurs complots et font des luttes d’influences.
K : Avez-vous du faire des choix difficiles pour l’adapter en BD ?
A : Le côté vivant et riche de la saga vient de toutes les histoires secondaires et les disgressions que Bordage a mises en place. Dans la BD, il était impossible de les garder, on devait se concentrer sur l’action principale et la « colonne vertébrale » de l’histoire. C’est ensuite le rôle du dessin de donner l’ambiance et les détails qui viendront « habiter » l’œil du lecteur sans que celui-ci en ait forcément conscience. En clair, on essaie de compenser le manque des descriptions par le visuel mais c’est difficile et frustrant. Il y a aussi le côté « témoignage historique » (dans les en-têtes de chapitres dans le roman) que je ne voyais pas comment garder sans perdre complètement le lecteur.
K : Beaucoup d’ellipses ont été nécessaires… L’élément « débauche et déboires » du héros, Tixu, a été fortement réduit. De même, l’amour qu’il porte à Aphykit et l’épisode du Grand Lézard qui apporte le côté magie/croyances chez Bordage sont moins présents dans votre adaptation. Ne craignez-vous pas, par là, de perdre un peu de l’essence de Tixu ?
A : C’est difficile de répondre à cette question sans dévoiler la suite ! Oui, des coupures ont été nécessaires, pour moi les futures expériences mystiques de Tixu ont beaucoup plus d’incidences sur son destin que celle du Dieu-Lézard, c’est pourquoi j’ai choisi de sacrifier l’épisode Sadumba. Deux-Saisons est une planète où Tixu ne revient pas, je pense que le lecteur n’aurait pas compris qu’on passe trop de temps à lui présenter un lieu et des peuplades qui ne réapparaissent pas par la suite, au détriment par exemple de Syracusa qui est une planète récurrente. Quant aux sentiments de Tixu pour Aphykit, il s’agit plus de la fascination au début que de l’amour (il risque quand même sa vie pour elle, ce n’est pas rien), et ce n’est que le premier album !
K : Comment s’est effectué le choix du dessinateur ?
A : Philippe Ogaki est venu présenter son book de dessinateur de studio d’animation lors d’un festival. Il n’avait pas de projet et n’avait jamais fait de bande dessinée. Cela faisait plusieurs mois qu’avec l’équipe Delcourt nous recherchions un dessinateur, sans succès. Nous avons immédiatement été séduits par sa capacité à inventer des designs et créer des décors fantastiques. Nous lui avons proposé de lire les romans et dès qu’il a eu terminé, il a tout de suite accepté de nous suivre dans cette aventure.
K : La lecture des Guerriers du Silence au travers de notre culture occidentale nous fait penser à Dune ou Star Wars. Le dessin d’Ogaki lui donne une dimension plus manga… Un choix délibéré ?
A : Non, pas du tout. Nous n’avions pas d’idées préconçues sur le style (excepté qu’il fallait éviter un style semi-réaliste qui n’aurait pas collé à l’histoire). Philippe dessine comme ça parce que c’est sa culture, il baigne dans le manga depuis son enfance, mais ce n’est pas ce qui a motivé notre choix, ce sont ses capacités de design, son trait efficace et son imagination.
K : Travaillez-vous en collaboration avec Pierre Bordage ? Quel regard porte-t-il sur l’adaptation en BD de son roman ?
A : Nous avons rencontré Bordage après que Philippe ait commencé à faire les premières recherches graphiques, afin d’avoir son aval sur le style du dessin, mais il nous a laissé totalement libres. Nous n’avons pas vraiment travaillé ensemble, quand on l’a rencontré, on lui a juste posé des questions anecdotiques mais utiles pour le dessinateur (du style : « comment font les Syracusaines pour faire rentrer leur opulente chevelure sous les colancors ? »).
Une fois l’album terminé nous avons discuté par email de son avis général. Il avait quelques regrets (notamment sur l’épisode Sadumba justement) mais dans l’ensemble il était satisfait (difficile de savoir, par mail). Je pense de toute façon qu’il ne nous aurait pas offert cette généreuse préface s’il avait détesté l’album. Il est très conscient des différences et difficultés qu’implique le travail en BD et très conscient aussi que ce n’est pas son métier, donc il s’est montré ouvert et curieux de voir son univers mis en images.
K : La série est prévue en combien de tomes et à quel rythme ?
A : 4 albums sont prévus pour le tome 1 du roman, 3 pour le second, 3 pour le troisième, soit 10 albums en tout. Philippe prévoit de faire deux albums par an. Le tome 2 est déjà quasiment entièrement dessiné.
K : Y a-t-il un point commun entre l’univers intime de Candélabres et celui des Guerriers du Silence ?
A : Je ne sais pas si le point commun réside dans les univers (à part que ce sont deux histoires à thème fantastique), je pense qu’il est plutôt dans un thème que nous aimons aborder autant Bordage que moi : celui de l’apprivoisement qui s’opère entre deux personnages antagonistes. C’est un thème qui revient souvent.
K : Dans Candélabres, Paul raconte son histoire à Liam, un personnage amnésique. Dans Les Guerriers du Silence, ce qui prime, c’est la force intérieure. Vous-même tenez un journal (un blog) sur le net. La recherche intérieure, l’intimité, la spiritualité sont-ils des thèmes centraux pour vous ?
A : Il me semble difficile, lorsqu’on est auteur, de faire complètement abstraction du fait qu’on parle de soi dans ses oeuvres. L’intimité a forcément quelque chose à voir, même de manière détournée. Et nos personnages nous en apprennent parfois plus sur nous-mêmes qu’on ne s’y attendait. Ceci dit je ne tiens pas mon journal en ligne comme on tiendrait un journal intime. Je sais que j’écris pour des lecteurs réels, pas seulement pour moi, c’est plus un jeu qu’un moyen de se confier.
K : Les Candélabres sont des êtres de feu, des êtres intangibles. Qui sont-ils réellement et comment les avez-vous créés ?
A : Bien essayé, mais je ne vais certainement pas révéler ici ce que sont réellement les Candélabres. Il va falloir attendre la fin de la série !
Au départ je voulais raconter une histoire qui parle de relations entre un être humain normal et un être fantastique. J’ai été influencée par des écrivains anglais et américains : Anne Rice et ses vampires, Asimov et ses robots, Tolkien et ses elfes. Ils racontent tous le fait de définir un être humain par rapport à quelque chose qui y ressemble mais qui n’est pas (ou plus) humain. C’est véritablement la base de mon histoire. Tout le reste, notamment l’idée du feu, du tableau, etc., est venu beaucoup plus tard, quand j’ai réfléchi à l’aspect visuel de la bande dessinée.
K : Sur Candélabres, vous êtes à la fois scénariste et dessinatrice. Sur Les Guerriers du Silence,  vous êtes scénariste de la série sans en être la dessinatrice. Pourquoi ? Vous sentez-vous plus scénariste que dessinatrice ?
A : Oui, assurément, le dessin n’est pour moi qu’un moyen de raconter des histoires. Même si la spécificité de la bande dessinée fait qu’on ne peut jamais séparer complètement les deux, car je pense qu’une bande dessinée naît véritablement au moment de la création du story-board. C’est ce qui m’intéresse le plus dans le travail de scénariste : la particularité du langage de la BD qui fait qu’on raconte une histoire grâce à une suite d’images juxtaposées. J’éprouve également un grand plaisir à travailler les dialogues.
K : D’où vient le pseudonyme Algésiras ?
A : C’est le nom d’une ville sur la côte ouest de l’Espagne. Je n’y suis jamais allée.