Quand le magicien du crayon (alias Alberto Varanda) s’allie au maître du scénario fantasy (alias Christophe Arleston), cela donne des « Elixirs » qui fonctionnent plutôt bien ! La recette : un récit dynamique et bien divertissant, des personnages charismatiques et expressifs, un brin d’humour et un zeste d’originalité avec l’apparition d’une créature qui fait tout disparaître sur son chemin…
A l’occasion de la sortie du deuxième tome d’Elixirs, Khimaira n’a pu s’empêcher de questionner celui qui se cache derrière le graphisme de cette série à la formule bien délassante !
Khimaira : En début de carrière vous touchiez à plusieurs genres (par ex. avec Bloodline, Reflets d’Ecume ou encore La 22 millième dimension). Aujourd’hui, vous êtes principalement reconnu comme un dessinateur fantasy. Mais vous, êtes-vous fan du genre ?
Alberto Varanda :
En ce qui concerne la littérature fantasy, clairement non… Je ne suis pas lecteur. Je lis plutôt de la série noire, du polar.
Concernant la BD, j’ai lu essentiellement Thorgal, Le Grand Pouvoir du Chninkel, Jugurtha,… Il n’y a pas de genre particulier dont je sois fan. D’ailleurs, je lis très peu de BD, voire pratiquement pas…

K : Qu’aimez-vous le plus dessiner dans ce genre de séries fantasy ?
AV :
Il y a tout d’abord les décors, l’architecture et puis les différentes créatures imaginaires peuplant la série…

K : Elixirs présente un héros, Tolriq, qui vous emprunte quelques traits, non ?
AV :
La barbichette et deux boucles d’oreilles, oui. La couleur des cheveux aussi. J’ai beaucoup de mal à imaginer un héros « blond »… Depuis Paradis Perdu où Gabriel me ressemblait inconsciemment un peu, j’ai décidé de m’amuser à forcer le trait.

K : De manière générale pour dessiner vos personnages, partez-vous de personnes existantes ?
AV :
Non, cela ne m’est encore jamais arrivé. Ces croquis sortent de ma tête et je les modèle ensuite en fonction d’un scénario. Cela reste très technique en fait.

K : Vous optez pour un trait semi-realiste pour les personnages. Lanfeust de Troy use aussi de ce trait. Pensez-vous que ce trait soit le plus adapté pour la fantasy ?
AV :
C’est essentiellement parce que j’ai pensé que le semi-réalisme correspondrait mieux à l’univers que voulait développer Christophe (Arleston, ndlr.). Il me semblait que l’histoire avait besoin de ce graphisme. Il fallait en effet pousser assez loin les expressions des personnages ainsi que leurs attitudes. Ce fut une réelle bonne expérience ! Même si j’ai eu du mal à m’y mettre au début du premier tome. Cela m’obligea à quitter mon style de base, peut-être un peu trop figé.

K : Elixirs nous livre un large bestiaire. Où trouvez-vous l’inspiration dans la création de créatures qui peuplent cette série ?

AV : Dans ma tête, de manière générale, mais le point de départ reste quand même très souvent un animal existant. Les premières espèces apparaissant dans le second tome d’Elixirs par exemple, sont des « paresseux et des félins » à la base… J’en ai fait une créature hybride. C’est plutôt rigolo à faire.
K : Concernant l’Hydre, le fait que cette créature crée le vide autour d’elle, était-ce facile à mettre en place ?
AV :
Il n’y a pas eu de réelle difficulté. Il suffisait en fait de dessiner la totalité d’un décor ou d’un personnage et d’effacer ensuite… Il n’y a donc pas eu de difficulté, si ce n’est pour la création même de la créature…
K : Pour le Palais ubiquiste, vous vous êtes vraisemblablement inspiré des dessins d’Escher. Ces perspectives multiples, un joli défi ?
AV : En fait, j’ai voulu relever le défi de mettre en pratique chaque figure imaginée par Escher… Les escaliers, bien sûr, mais aussi les colonnades partant de devant pour arriver derrière, le mouvement perpétuel etc. Je ne crois pas que le lecteur ait tout disséqué. Mais j’ai vraiment beaucoup travaillé sur ce visuel. Un vrai moment de plaisir!
 
K : Votre dessin est parsemé d’arabesques, d’entrelacs. Est-ce là un effet de style que vous appréciez particulièrement ?
AV : Oui, tout à fait. Tout ce qui est ouvragé me plait, que ce soit en architecture ou en décoration. J’aime quand le décor est chargé. Je ne sais pas pourquoi… Mais je fais quand même en sorte que la lecture de l’album reste la plus claire possible.

K : Graphiquement, dans la construction des pages, vous traitez très différemment Elixirs de La Geste des Chevaliers Dragon ou encore de Reflets d’Ecume. Quelles différences graphiques faites-vous ? Volonté de gagner en lisibilité, de servir le scénario ?
AV :
A la base, je suis très influencé par la BD américaine et par un certain éclatement de la page (comme on peut s’en apercevoir dans La geste des Chevaliers Dragon par endroit). Mais au fil du temps, je me suis rendu compte que l’important était la lisibilité d’une histoire et que si je voulais me faire plaisir graphiquement, il fallait que je fasse de l’illustration… La BD tout en lisibilité est d’ailleurs une méthode que j’ai appliquée avec Elixirs. Et je fais de l’illustration quand je veux me faire plaisir d’un point de vue purement graphique.

K : Le résultat est un découpage des planches très régulier. Il n’y a pas de tableau présenté sur une pleine page par exemple. Les vues d’Amporche, de l’Hydre ou du palais ubiquiste auraient pu donner des doubles pages…
AV :
Oui, mais, avec le temps et peut-être l’expérience, j’ai appris que l’important était l’histoire et que le nombre de pages était limité. J’ai donc opté pour une sobriété absolue. La double page du dragon dans La Geste des Chevaliers Dragon nous a fait perdre une page de combat au final.

 
K : Sur votre blog, vous parliez de laisser tomber l’encrage au profit d’un crayonné encore plus poussé. Où en est cette idée ?
AV :
Je vais la tester dès le début du troisième tome. Je demande à être convaincu.
K : Que pensez-vous des albums en noir et banc ?
AV : Ce fut le cas pour Bloodline. Succès critique mais public absent à l’arrivée. J’aime le noir et blanc et j’essaie de faire en sorte que mes albums n’aient pas besoin de la couleur. Si ce n’est que pour le lectorat le plus large… Il faut bien vendre quelques albums.

K : La moyenne de parution des albums d’une série est d’environ un an. Pour Elixirs, les lecteurs ont attendu 3 ans entre la sortie du 1er et 2 tome. Pourquoi ce délais ?
AV :
Mea Culpa… Je suis tout d’abord perfectionniste dans l’âme et très peu sûr de moi et de mon travail. Il me faut parfois recommencer plusieurs visuels, c’est comme ça. Et puis, j’ai eu également besoin de travailler dans l’illustration et la peinture. Besoin d’un certain équilibre. J’en suis revenu aujourd’hui et je me consacre enfin à 100% à la BD et surtout à Elixirs que j’ai envie d’explorer réellement. Il y a vraiment matière pour me faire réellement plaisir ! J’ai enfin adopté les personnages que j’aime particulièrement.

K : Elixirs comptera combien d’albums ?
AV :
Je ne sais pas… Beaucoup, j’espère !
 
K : Avez-vous une autre activité professionnelle à côté de la BD ?
AV :
La BD est ma principale activité, mais je travaille beaucoup dans l’illustration et expose de temps à autre quelques toiles dans une galerie parisienne.

K : Depuis janvier, vous être très présent sur internet. Quel est le but de votre blog ?
AV :
Me faire plaisir avant tout ! Et puis également montrer tout ce que le lecteur de mes albums ne verrait jamais. Je voulais qu’il se rende compte de tout le travail qu’un album peut nécessiter et aussi qu’il sache que j’ai plusieurs cordes à mon arc.

K : Les avis des lecteurs/internautes vous permettent-ils d’avancer ?
AV :
Je compte d’abord sur moi-même pour corriger telle ou telle chose… Je suis très critique sur mon travail.
 

K : Le 1er tome de La Geste des Chevaliers Dragon vient d’être réédité, à l’occasion des 10 ans de la série. Au bout d’une décennie, que retenez-vous de cette expérience ?
AV :
Ce fut ma première rencontre avec le grand public et une certaine reconnaissance.