Alberto Varanda nous avait habitué à ses planches chargées de détails, ses héroïnes sexy et ses guerriers de fantasy. Il nous revient avec un projet qui affiche tout le contraire pour le plus grand bonheur des rêveurs… Interview !

Comme c’est indiqué sur le blog consacré à Petit Pierrot, c’est tout vous, ça ?
Sans que je sois lui, il y a quand même de moi dans Petit Pierrot. Souvent dans la lune, pensif et observant ce qui m’entoure. Me posant des questions auxquelles je ne trouve pas de réponses.

D’où est partie l’idée d’un album qui, graphiquement et thématiquement, se détache de votre univers habituel, peuplé de guerriers et de jolies nanas ?
C’était justement pour explorer autre chose… Et graphiquement et dans le thème.
J’ai toujours une multitude d’idées dans la tête, mais je ne voulais pas créer quelque chose que j’avais déjà fait ou exploré. J’aime dessiner des guerriers, des héroïnes, des dragons, etc. mais dans ce domaine, je me concentre essentiellement sur le graphisme et me repose sur le talent du scénariste. Je réalise aussi beaucoup d’illustrations, de fantasy notamment. Ce que je voulais, finalement, c’est développer un personnage, un univers qui me ressemblerait… Et jusqu’à aujourd’hui, je ne porte ni armure ni épée dans la vraie vie. L’enfance, les souvenirs, les joies se sont imposés à moi sous les traits d’un petit garçon qui me ressemble un peu.
Certaines des situations qu’il peut vivre, je les aie vécues, pour d’autres, je les observe, parce qu’il y a des enfants autour de moi.
C’est ainsi qu’est né le blog dédié à Petit Pierrot…. la première fois du moins, parce que rapidement, je me suis mis à douter et j’ai tout jeté à la poubelle. C’est ma compagne qui les a récupérés et m’a encouragé à continuer. Petit Pierrot revenait à la vie.

Pierrot a pour compagnon de rêverie un escargot. Un choix singulier ! D’habitude les enfants les mangent crus ces bestioles-là… C’est son côté "collé à la terre", à la réalité qui vous l’a fait choisir, pour contrebalancer les aspirations du jeune héros qui, lui, a toujours les yeux levés vers le ciel et la tête dans les nuages ?
Monsieur l’Escargot n’est arrivé qu’un peu plus tard.
C’est parce que Pierrot traînait des pieds pour aller à l’école (je traînais aussi des pieds pour aller à l’école) que m’est venue l’idée de dessiner un escargot qui le doublerait.
Par la suite, je souhaitais créer quelqu’un qui donnerait la réplique à mon petit bonhomme. J’ai éloigné l’idée d’un ami attitré parce que je voulais que Petit Pierrot soit souvent seul (je suis plutôt solitaire et tout petit, je l’étais beaucoup plus encore, passant mon temps à m’imaginer des univers improbables). Par contre, je souhaitais avoir un animal de compagnie à « moi ».
L’idée était là, l’escargot faisait partie de son univers, l’animal accompagnant et pas forcément de compagnie, ce qui le rend autonome.
Par son indolence, sont attachement à la terre et à la réalité, il était parfait dans le contre-poids à l’imaginaire extrême de Petit Pierrot.
L’escargot peut le reprendre, lui apprendre des choses, lui expliquer des choses, le mettre en garde… ce qui peut amener du conflit. L’empêcheur de rêver en rond.
Comme tous les enfants, Petit Pierrot a besoin de limites et c’est Monsieur l’escargot qui se charge de les fixer.
Heureusement, et comme c’est un livre, libre à Pierrot de ne pas toujours respecter ces limites.


 

Petit Pierrot nous fait partager un beau moment de douceur, une certaine quiétude s’installe au fil des pages. C’était une envie de proposer un univers très calme mais aussi de nous faire revivre un regard d’enfant sur les choses ?
Le calme, dans l’univers de Petit Pierrot, s’est imposé naturellement à moi. Je dessine suffisamment de batailles en tout genre pour respirer de temps en temps.
Je voulais que son univers soit comme une petite maison baignée de soleil dans laquelle nous serions… Il n’y aurait pas de bruit, des enfants feraient la sieste et nous regarderions le ciel par la fenêtre.

On pense aussi à Calvin & Hobbes, dans cette façon de voir le monde, de s’en étonner, de le comprendre avec sa propre vision des choses d’une part mais aussi dans ce jeu entre un jeune garçon et une créature insolite…
Le rapprochement peut se faire, dans le sens où le compagnon de jeu du petit garçon dans « Calvin et Hobbes », ne parle et ne joue que quand les adultes ne sont pas présents.
Notre logique d’adultes veut que nous comprenions que l’animal n’est vivant ou réel que dans l’imaginaire de l’enfant, mais on peut (pourrait) également se dire que c’est parce que les adultes ne voient rien qu’ils ne se rendent pas compte que la peluche est vivante.
Pour l’escargot, il devrait sembler évident que c’est aussi Petit Pierrot qui imagine que le gastéropode lui répond, qu’il rêve éveillé. Mais laisser planer le doute me plait bien… Et si l’escargot parlait vraiment ?

Graphiquement, Petit Pierrot se décline dans des tons très doux, un peu vieille photo sépia. Vous invitez là aussi à une sorte de souvenir…

Oui, la dominante sépia me semble bien coller à ce que je souhaite exprimer, à savoir le souvenir et l’enfance. La douceur aussi.
Néanmoins, j’y apporte de la couleur… Parce que l’enfance est aussi faite de couleurs et de bonbons acidulés.

Côté composition, ça respire beaucoup, on a pas mal de moment de pause… Là aussi, une volonté de proposer un moment de calme, une certaine plénitude ?
Je voulais de la simplicité.
Autant, dans mes bandes dessinées, j’adore la surenchère graphique, ajouter des détails et faire en sorte que le lecteur se promène longtemps dans les décors, autant dans le cas de Petit Pierrot, je ne voulais pas en rajouter parce que cela me semblait inutile et superflu et irait à l’encontre de ce que je souhaitais exprimer. Je voulais plonger dans l’univers de Petit Pierrot et non pas l’inverse.
C’est peut-être parce que dans son blog, il y a pas mal d’interactivité avec les internautes, qu’il m’arrive d’avoir l’impression que le petit bonhomme est réel et autonome.

Quel place à ce projet dans votre carrière ?

Une place importante. C’est une sorte de sas de décompression qui me permet ensuite de replonger avec gourmandise et de dessiner « Elixirs » avec envie. Et cela m’aura finalement pris beaucoup de temps pour oser et réussir à publier un dessin simplifié… C’est un vrai progrès. J’ai réussi à dessiner tout un livre sans en rajouter et sans en éprouver le manque.

Trouvez-vous qu’il n’y a pas assez de place accordée à l’imaginaire sur les bancs de l’école, dans la vie ?
Pour certains, rêver est assimilé à de l’inaction et de la perte de temps. Notre société étant ultra compétitive, le temps étant de l’argent, l’imaginaire pourrait ressembler à une anomalie.
Mais je pense qu’il doit toujours avoir une petite place à l’école pour le rêve, surtout sur les bancs de l’école, parce que l’imaginaire me semble important, voire salutaire aujourd’hui.
A quand le cercle des rêveurs disparus ?

Pour terminer, avez-vous décroché la lune ou cherchez-vous toujours à l’atteindre ?

Je vis avec l’idée qu’il y a plusieurs lunes… J’en ai déjà décroché certaines mais il m’en reste, heureusement, encore beaucoup d’autres à décrocher.