Quelque part du côté de Lyon (un des trois sommets du triangle de la magie blanche, faut-il le rappeler, avec Prague et Turin) travaille un compositeur sorcier : Pierre-Alexandre Monin, c’est son nom, élabore en solitaire ou presque un univers musical singulier dans la production musicale française. Les fenêtres vidéo qui parsèment l’article vous donneront un très bon aperçu de ses compositions, toutes écoutables sur YouTube et aussi à découvrir sur Apple Music, Deezer et Spotify. Avant de retrouver peut-être un jour prochain le nom de Pierre-Alexandre au générique d’un film, d’une série ou d’un jeu vidéo, nous avons interrogé l’artiste sur sa déjà passionnante œuvre en cours d’accomplissement…
Pierre-Alexandre, tu es compositeur et qualifies une part de ton travail de « fantasy orchestrale », ce qui n’est pas banal du tout dans la production française. Pourrais-tu en définir les caractéristiques musicales ?
Je construis ce projet comme la bande son d’une histoire que j’ai envie de raconter. L’univers est médiéval-fantastique et la quête qui anime le personnage principal est à la fois épique avec ce qu’il faut d’aventures et de voyages, et intime et personnelle avec tout ce qui touche à la construction de soi. La musique ne rend évidemment pas compte de cette double quête, même si les titres peuvent donner quelques brèves infos, mais elle en est la substance émotionnelle.
Mes intentions croisent la musique épique, la musique de film ou de jeux vidéo de Fantasy et le classique qui m’inspire ici comme une recherche d’élégance. D’un point de vue musical, étant donné que je me place dans une ambiance médiévale-fantastique, je veux que mon instrumentation soit compatible avec un tel univers. Ce qui veux dire, pas de synthèse, pas d’artefact ou très peu, juste pour souligner une intention, mais non identifiable en tant que tel. L’idée n’est pas d’être historiquement juste, j’utilise l’orchestre tel qu’il s’est constitué au 19ème et que l’on connait maintenant dans les musiques de films, mais je veux que l’esthétique première appelle un imaginaire médiéval-fantastique, ou tout du moins soit compatible avec. Donc, par exemple, j’exclus le piano, je mets en avant quand je peux les cuivres, les flûtes et hautbois.
Quels sont tes rapports personnels avec les univers de la fantasy ? Es-tu un fervent lecteur de ce genre littéraire ?
C’est un univers qui m’a marqué très tôt, dès mon adolescence. Avec mes amis, on jouait beaucoup à Donjons et Dragons. Pour dire vrai, on était complètement dingue de ce jeu de rôle. Et au-delà du jeu, on aimait écrire des histoires, dessiner des cartes, imaginer les personnages qui pouvaient vivre là, leurs caractéristiques, leur histoires personnelles, etc. Quand je revois tous ce qu’on a pu écrire, j’en suis encore surpris et épaté. C’était une vraie passion.
Côté littérature, la Fantasy comptait beaucoup. J’aimais Jack Vance, Moorcock et son Elric le cynique, Robert Howard et son Conan, et bien sûr Tolkien, les BD Les chroniques de la lune noire de Froideval, et Les légendes des contrées oubliées de Chevalier et Segur et j’en passe… Tout cet univers de Fantasy s’est imprégné en moi et il a toujours été une grande source d’inspiration. Maintenant, même si parfois des romans trop ciblés ado me tombent des mains, je continue d’apprécier l’immense richesse de ce genre. Il n’y a qu’à lire l’œuvre gigantesque de G. Martin, les fameux Game Of Thrones, c’est un sacré plaisir de lecture. Idem pour Même Pas Mort de Jaworski et la suite celtique qui sont un véritable délice. Il y a chez ces deux auteurs de véritables fulgurances, ils manient le pouvoir d’évocation comme des maîtres.
Ta chaîne YouTube permet au visiteur d’écouter de nombreux morceaux, et on dirait que certains ont été enregistrés avec le concours d’un véritable orchestre symphonique, avec des chœurs… Avec quels musiciens travailles-tu ?
Pour le moment, je travaille seul. Tout ce que tu as entendu, toutes les musiques que j’ai pu produire jusqu’à présent sont faites avec des banques de sons. C’est très important d’avoir des banques de sons pro, que les instruments soient enregistrés dans les meilleures conditions avec toutes les dynamiques, et que pour chaque instrument il y ait toutes les articulations de jeu disponibles : legato, staccato, marcato, etc. C’est la base pour recréer quelque chose qui soit vraiment crédible, sans ça, on a beau créer la meilleure musique qui soit, ça ne marchera pas. Personnellement, j’utilise les Orchestral tools. C’était un investissement important, mais toutefois moindre que les services d’un vrai orchestre.
Bien sûr l’idée que ma musique soit jouée, enregistrée par un vrai orchestre est fortement séduisante, mais je débute et j’ai conscience des enjeux économiques. J’ai encore beaucoup de musique à écrire, à produire de cette façon, et on verra ça plus tard. Cela dit, j’ai l’envie d’inclure dans ce projet de Fantasy orchestrale une ou deux chansons. Je ferai appel à un chanteur à ce moment-là. Normalement c’est prévu début 2020.
Quels instruments pratiques-tu toi-même ? Et quelle est ta formation musicale ?
Je joue du piano et un peu de guitare. Disons que je gratte ce qu’il faut gratter pour chanter au coin du feu, mais c’est le piano qui est mon instrument premier, et qui est à la base de mes compositions. Etant autodidacte, j’ai toujours senti le besoin d’enrichir mes connaissances, notamment pour l’orchestration qui est quelque chose de vraiment complexe. Ce désir est maintenant comblé depuis trois ans. Je prends des cours d’écriture classique à l’ENM (conservatoire national de Villeurbanne). J’y apprends énormément de choses, les principes d’écriture à quatre voix qui découle de l’harmonie, le contre-point. Tout ça nourrit mon écriture et me tire vers le haut.
Chaque morceau est accompagné d’un court descriptif. Certains sont qualifiés de « soundtrack » : la composition de musiques de films est-elle un de tes objectifs ? Celle de jeux vidéo aussi, peut-être ?
Tout à fait. D’ailleurs, j’ai travaillé sur trois courts métrages dont deux d’inspiration Fantasy et cette expérience était vraiment sympa. Il en est sorti les titres Dream Under The Moon (qui n’entre pas dans mon projet de Fantasy orchestrale), Awakening Of The brave, Just Before The Freedom et The Two Rivers’ Battle qui sont des développements du travail que j’avais présenté à l’époque.
Quelles images as-tu à l’esprit lorsque tu composes ?
Pour la composition de chaque titre, j’ai en tête la scène que la musique doit illustrer ou raconter. J’ai une vision relativement cinématographique d’une action ou d’une scène. Il y a donc des passages tragiques, des moments emplis d’espoir, des élans épiques. En ce moment je travaille sur un titre qui s’appelle The Age Of Innocence et concerne le souvenir d’une période agréable qu’a un personnage, disons avant que les emmerdes ne commencent. Et je sais que bientôt je devrais m’attaquer au douloureux sujet de la perte d’un être cher.
En dehors de cette démarche en solo, participes-tu à d’autres projets musicaux, fais-tu partie d’un groupe ou d’un orchestre ?
Non, plus maintenant. Il y a quelques années avec un ami saxophoniste on avait fait un groupe de jazz. On bossait les standards, on prenait beaucoup de plaisir. C’était amateur, on n’est jamais sorti de notre cave. C’est vrai que ça me manque un peu mais je sais que c’est quelque chose qui se refera. Dans une esthétique plus personnelle je pense. Mais pour l’instant je suis centré sur ce projet de compositions Fantasy Orchestrale et ce travail est solitaire.
Parlons aussi de tes goûts et influences : y a-t-il des compositeurs que tu admires particulièrement, dans le style de musique que tu explores ou dans d’autres genres musicaux ?
Tout commence avec les BO, et notamment celle de Conan de Basil Poledouris. Cette musique accompagnait déjà nos parties de jeux de rôle à l’époque, elle est et restera un classique du genre que j’affectionne particulièrement. Et puis il y a aussi la BO gothique de Bram Stoker’s Dracula de Kilar, Braveheart de James Horner, Gladiator de Hans Zimmer, 1492 de Vangelis, Mission d’Ennio Morricone, et tant d’autres… mais celles-là m’ont particulièrement marquées. Et il y a bien sûr les BO les plus emblématiques pour la Fantasy, c’est le travail prodigieux d’Howard Shore pour Le Seigneur des anneaux et celui de Ramin Djawadi pour Game Of Thrones. Côté jeux vidéo il y a God Of War de Bear McCreary, Divinity de Boris Slavov et le travail de Jeremy Soule que j’apprécie particulièrement.
Parmi les compositeurs, orchestrateurs qui m’impressionnent le plus, il y a évidemment John Williams, Danny Elfman, Klaus Badelt, Alexandre Desplat, Ennio Morricone, Thomas Bergersen. Mais il y a aussi Max Richter, Craig Armstrong, Steven Price, Angelo Badalamenti, Dead Can Dance, Decoryah, les Pink Floyd, les Doors (j’aime beaucoup les années 70), etc.
Et bien sûr il y a aussi les compositeurs classiques. C’est ma grand-mère qui très tôt m’a fait découvrir le classique. On prenait le temps, ensemble, d’écouter des œuvres très longues et j’aimais cette suspension du temps, il y avait comme une magie qui opérait. Je crois que c’est elle qui m’a fait découvrir le premier concerto de Tchaïkovski et ça a marqué le début d’une grande histoire d’amour. Si je devais citer mes dernières rencontres, il y a le Dies Irae et le Tuba Mirum de Verdi, il y a Edvard Grieg avec sa Peer Gynt Suite, signature d’une élégance remarquable. Et la 8ème Symphonie de Schubert, l’inachevée, le premier mouvement est à tomber par terre. C’est beau, virtuose de subtilité, et c’est aussi intense, narratif, et explosif. Bref, jubilatoire !