Direction le pays des caribous, et plus exactement la Colombie britannique où les quatre membres du groupe Unleash The Archers sont à la fête : Abyss, le nouvel et cinquième album de la formation de heavy metal canadienne est sorti il y a huit jours, accueilli par d’excellentes critiques de part et d’autre de l’Atlantique. Et c’est un autre plaisir que d’entendre la chanteuse Brittney Slayes user de son timbre puissant pour répondre à nos questions. Au programme de cette interview, beaucoup de musique, cela va de soi, mais aussi des films, des comics, de la science-fiction, de l’horreur et même de l’amour…

Khimaira : Bonjour Brittney, bienvenue sur Khimaira. Si je ne m’abuse, Scott Buchanan, le batteur de ton groupe, est aussi ton compagnon. Alors dis-moi : à quoi ressemble au quotidien la vie d’un couple dans le heavy metal ? Mener un groupe de musique avec son amoureux, est-ce la formule idéale ?

Brittney Slayes : Tu ne te trompes pas, Scott et moi sommes bien ensemble ! C’est comme toute chose : il y a du positif et du négatif. Parfois Unleash The Archers a tendance à envahir notre vie commune et le groupe devient notre seul sujet de conversation. Alors on fait des efforts pour dissocier UTA et notre couple, on se ménage des loisirs à deux, histoire de faire la coupure et s’aérer l’esprit. D’un autre côté, c’est vraiment agréable de pouvoir confronter au jour le jour nos idées respectives sur notre musique et d’obtenir aussitôt de l’autre un avis critique constructif.

Tu as une voix impressionnante et je suis curieux de savoir comment tu as appris à chanter. À quel âge as-tu commencé ?

J’étais très jeune. Je ne pourrais pas te donner un âge précis, mais il y a une photo de moi à la maison, à l’âge de six ou sept ans, où je suis debout sur une table basse en train de chanter avec à la main un vieux micro de mon père, comme si j’étais sur scène ! Quand j’avais huit ans, j’ai intégré la chorale municipale et c’est comme ça que je me suis formée au chant. J’ai continué ainsi jusqu’à 23 ans, et puis je me suis lancée dans la création d’Unleash The Archers. J’ai aussi pris des cours par-ci, par-là, j’ai suivi une formation en comédie musicale. J’ai fait un peu de chanson pop, aussi. Tout cela s’est avéré très utile et, en même temps, d’une approche très classique du point de vue de l’enseignement. J’ai eu du mal ensuite à trouver ma voix de chanteuse de metal.

Te souviens-tu de la première fois où tu es tombée sur un morceau de heavy metal ?

Je garde un souvenir très précis de ce moment… Je devais avoir 8 ou 9 ans, mon père avait commandé chez Columbia Records un lot de CD à prix cassé, du genre dix albums pour un dollar. Et dans la pile je tombe sur Countdown To Extinction de Megadeth, dont l’écoute m’a laissée sidérée. J’ai passé des heures assise par terre dans ma chambre à écouter l’album sur ma petite chaîne portative violette, à lire les paroles et tous les autres textes du livret, à admirer les illustrations de la jaquette. Une expérience mémorable et un album qui encore aujourd’hui me tient particulièrement à cœur !

Les paroles du nouvel album Abyss et le scénario qui sert de fil conducteur aux chansons me font deviner que dans le groupe, vous aimez beaucoup les histoires. Les chansons sont-elles pour vous la meilleure façon de raconter des histoires ?

(Rires) La musique n’est peut-être pas la façon la plus facile de raconter des histoires, mais c’est vrai que c’est plus marrant d’écrire les paroles sous cet angle ! En ce moment je travaille sur deux romans graphiques pour illustrer l’histoire racontée dans l’album, afin que les gens qui l’écoutent puissent se faire une bonne idée de l’univers que nous avons en tête. Chercher l’inspiration dans le monde réel, chanter sur des sujets politiques… ce n’est vraiment pas mon truc. En écrivant des paroles, j’ai toujours dans l’idée d’emmener l’auditeur sur une autre planète.

L’idée générale de l’album, comment l’as-tu trouvée ?

Le point de départ, c’était les personnages : l’Immortel (notre héros) et la Matriarche (la méchante de l’histoire). J’ai toujours voulu que le héros soit masculin et que son ennemi soit une femme. Je tenais aussi à ce qu’ils soient aussi forts l’un que l’autre, tout en ayant chacun des points faibles dont l’autre pourrait tirer parti. D’où la malédiction qui pèse sur l’Immortel : il aurait pu aisément venir à bout de son ennemie, mais il est obligé d’entrer au service de quiconque le réveille, et donc la Matriarche devient son maître. C’est une histoire que nous avons lancée dans notre album précédent, et dans Abyss on retrouve de nouveau ces personnages face à face, prêts à se livrer une bataille qui va rester longtemps dans toutes les mémoires (sourire) !

Ce qui me conforte dans l’idée que le fantastique et la science-fiction, c’est vraiment ton truc. En amateur du genre, qu’est-ce que tu préfères ? Les films, les romans, les comics ?

L’horreur, la SF, le fantastique, c’est vraiment tout ce que j’aime ! J’adore les films autant que les BD, les jeux vidéo, les romans… Montre-moi un nouveau titre et je me jette dessus ! Parmi mes titres préférés, je cite volontiers Willow, Aliens, The Thing (le film original), Le Cinquième Élément et Terminator 2. Côté bouquins, j’aime beaucoup les romans de la série La Compagnie noire de Glen Cook, Le Cycle des Inhibiteurs d’Alastair Reynolds et Dune de Frank Herbert (surtout les six premiers romans).

Quelques titres de comics et de jeux vidéo à nous suggérer ?

Yes ! Mes comics préférés : East of West, Saga, Monstress, Black Science, Rat Queens et Descender. Et pour les jeux vidéo… Dead Space, The Witcher, Zelda et Bioshock !

Le clip que vous avez tourné pour la chanson Soulbound déploie tout une imagerie horrifique. Penses-tu que la musique metal et l’horreur sont naturellement et étroitement liées ?

Pas nécessairement car il y a beaucoup de groupes de metal dont la musique paraîtrait complètement déplacée associée à un cadre horrifique. Cela dit, oui, je pense que le metal aborde parfois des thématiques sombres, ce qui autorise des ponts avec les univers de l’horreur. Je suis moi-même une grande fan du genre, et du coup ça peut se ressentir dans les paroles que j’écris (et je précise que je ne suis pas effarouchée par les images violentes) ainsi que dans nos vidéos. Le personnage de la Matriarche est dévorée par les ténèbres, ce qui transparaît nettement dans les paroles écrites de son point de vue. Forcément, dans le clip, il fallait qu’on la montre dans cet aspect-là, un peu perturbant, de sa personnalité.

En même temps, on comprend en regardant les clips d’Unleash The Archers que vous êtes aussi très attachés à l’humour. On relève même un poil d’auto-dérision, dans la vidéo Abyss par exemple…

Absolument ! On n’est pas du genre à se prendre super au sérieux, on joue de la musique pour s’amuser et faire ce qu’on aime en côtoyant d’autres gens qui apprécient le metal autant que nous. On met beaucoup de nous-mêmes dans les clips, on y consacre du temps et de l’énergie même si parfois on se met simplement en scène comme une bande d’idiots aspirés dans un vortex !

En effet, dans ce clip, le groupe joue en studio et, ce faisant, vous ouvrez un passage sur une autre dimension. Est-ce que ça correspond à l’effet que te procure la musique, quand tu en joues ou quand tu en écoutes ?

On a pensé que ce serait un petit pied de nez amusant à faire aux vidéos qui ne montrent rien d’autre qu’un groupe en train de jouer. Tout commence de façon très normale, et on s’imagine qu’on ne verra que nous avec nos instruments dans le studio. Et puis les choses commencent tout doucement à dérailler et, à la fin, nous voilà tous les quatre aspirés dans le monde de la Matriarche et de l’Immortel — exactement ce qui arrive à l’auditeur qui lance la lecture de l’album ! Sinon oui, il m’arrive d’écouter de la musique pour m’évader complètement. Pour moi, il n’y rien de tel que d’écouter un album qui réussit à faire s’emballer mon imagination.

La production de l’album est fantastique, à la fois puissante et complexe. Quand le groupe est en studio, est-ce qu’il vous arrive de vous demander si vous n’aurez pas trop de difficultés à interpréter certains morceaux à l’identique sur scène ?

Il y a en effet des passages dont je sais qu’ils vont me donner du fil à retordre, qu’il va falloir que je m’entraîne et que je sois en parfaite condition quand il s’agira de monter sur scène et de les chanter. Mais je m’assure que je pourrai tout reproduire en live. Il m’est déjà arrivé de voir en concert un groupe que j’aime et de m’apercevoir qu’ils éludent certaines parties d’albums car elles ont été enregistrées avec des lignes d’accompagnement que les musiciens ne peuvent pas exécuter en direct sur scène. J’ai horreur de ça !

Dans Unleash The Archers, j’ai l’impression que le bassiste a un statut très précaire. Ai-je raison ou bien est-ce juste mon imagination qui me fait dire des choses ?

(Rires) Pour le moment, le bassiste d’Unleash The Archers est inexistant ! On a un pote qui nous rejoint sur scène et, sur l’album, c’est un autre ami, qui vit dans notre ville d’origine, qui est venu nous prêter main forte en studio en composant et jouant les lignes de basse. Donc nous n’avons pas de bassiste attitré mais ce n’est pas bien grave. On a juste besoin de faire la connaissance d’un musicien prêt à s’impliquer dans le groupe autant que nous le sommes, ce qui n’est pas évident : partir en tournée, ça peut s’avérer compliqué, il faut s’éloigner longtemps de sa famille, accepter de ne pas avoir de revenu fixe… Tout le monde n’est pas taillé pour la vie sur la route.

Encore une question, que j’aime bien poser aux groupes que je rencontre en interview : quel est le dernier album que tu as découvert ? Et quel est le dernier que tu as apprécié de la première à la dernière note ?

Le dernier album que j’ai découvert : Gods And Machines de Bury Tomorrow. Et le dernier album que j’ai kiffé à 100% : Veleno de Fleshgod Apocalypse ! Un disque fantastique, parfait du début à la fin. La crise du coronavirus a anéanti mes projets de voir le groupe sur scène au printemps dernier, alors j’espère qu’ils reprogrammeront leur tournée à des dates qui me permettront d’assister à un de leurs concerts !

Merci beaucoup pour cet entretien, Brittney.

Mille mercis à toi, Julien. Be safe, and be metal!

Propos recueillis en août 2020. Remerciements power-metalliques à Magali Besson de Sounds Like Hell Productions.