Faire du neuf avec du zombie, c’est encore possible aujourd’hui, même avec un micro-budget de 6000 dollars et un Canon 5D pour filmer. Faisant sienne la devise giscardienne « on n’a pas de pétrole, mais on a des idées », le multitâches Jeremy Gardner (il assure la production, le scénario, la mise en scène, l’interprétation) nous propose The Battery, histoire post-apo. avec morts-vivants. Encore une, oui, mais ne partez pas tout de suite, car le film vaut vraiment qu’on s’y arrête.

Ben (Gardner) et Mickey (Adam Cronheim)  n’ont rien en commun, si ce n’est d’avoir fréquenté le même club de baseball et de compter désormais parmi les rares survivants de l’apocalypse. La fin du monde les a jetés ensemble sur la route, ou plus exactement dans la nature : fuyant les villes infestées de cadavres ambulants (et avides de chair fraîche, mais faut-il vous faire un dessin ?), les deux gars traversent les forêts et prairies du Connecticut. Où vont-ils ? Nulle part. Ils avancent, c’est tout, à pieds ou en voiture, et cela suffit au bonheur de Ben, grassouillet et barbu, ours mal léché qui prend plutôt bien son nouveau mode de vie errant. Ben n’hésite pas à jouer du calibre ou de la batte pour se débarrasser des nuisibles, il sympathise avec les vaches, s’adonne à la pêche… Mickey, c’est une autre histoire : le beau gosse en bermuda fait figure de grand gamin, il rejette toute violence et s’isole à la moindre occasion en écoutant son baladeur. La musique est son refuge, une connexion qu’il veut préserver avec le monde d’avant, et, au contraire de Ben, il n’aimerait rien tant que se poser et retrouver un mode de vie sédentaire.

Les dissonances entre les deux personnalités sont au premier plan, et plus qu’une banale histoire avec zombies, The Battery est avant tout un road-movie au cours duquel les deux héros apprennent à se supporter et à se connaître. Les irruptions de morts-vivants sont sporadiques, elles ne servent presque jamais à effrayer mais à révéler des traits de caractère. Le film prend ainsi le contre-pied de la plupart des productions récentes avec « living dead » : outre le fait de mettre en scène des zombies « à l’ancienne » (c’est-à-dire qui traînent la patte en râlant, au lieu de sprinter comme le firent les macchabées énervés de L’Armée des morts ou de World War Z), Jeremy Gardner fait une croix sur tout effet exubérant. Ici, pas de caméra secouée ni d’effets tremblés pour aboutir à un prétendu réalisme : le cinéaste ose capter l’action au moyen de nombreux plans-séquences, certains très longs, et avec une caméra souvent immobile. Le résultat n’est pourtant pas statique, les cadres magnifiques (c’est beau, le Connecticut !) étant animés par d’excellents dialogues et un très chouette numéro de duettistes. Gardner et son compère savent rendre leurs personnages attachants, ils nous embarquent dans leur odyssée en tant que témoins amusés ou émus d’une relation qui, au départ association motivée par la nécessité, évolue en une belle amitié. Signalons aussi une bande originale accrocheuse (une donnée importante dans un road-movie) toutes les fois où le baladeur de Mickey est enclenché sur « play ».

Dix pour cent du budget (rassemblé en empruntant de l’argent à droite, à gauche, à des proches de Jeremy Gardner, famille et amis…) est passé dans l’achat d’un véhicule d’occasion, un break Volvo qui va permettre aux héros d’économiser leurs semelles et, surtout, va prendre une importance cruciale dans les vingt dernières minutes. Je ne dirai rien, bien sûr, susceptible de dévoiler quoi que ce soit de la conclusion, si ce n’est qu’elle permet à l’équipe d’enfoncer le clou en tournant résolument le dos au sacro-saint climax spectaculaire des productions hollywoodiennes. The Battery est un succès sur toute la ligne, il est juste dommage qu’une proposition de cinéma aussi originale et sincère n’ait pas droit à une exploitation en salles, fût-elle estivale. Si vous vous moquez du déluge d’effets numériques et restez sourd au matraquage promotionnel de Transformers et autres blockbusters, tournez-vous sereinement vers l’œuvre de Gardner & friends. Le DVD sera disponible en France à compter du 5 août 2014.