Dans un futur proche. Les États-Unis ont sacrifié un gros morceau désertique de Texas pour y cantonner ad vitam, derrière une enceinte grillagée, tous les citoyens jugés nuisibles, ou tout simplement inutiles, à la société. Dans les premières secondes du film, un portail s’ouvre le temps de faire entrer Arlen (Suki Waterhouse), dont on n’apprendra rien des motifs de la réclusion. Le sort s’acharne sur la jeune femme : après deux ou trois kilomètres d’errance sous le cagnard, la pauvre est capturée par une des tribus qui occupent l’endroit. Ce sont des cannibales, ils lui mangent fissa un bras et une jambe. L’héroïne amputée arrivera néanmoins à s’enfuir et gagner une autre communauté, plus loin, baptisée Comfort, où la populace hétéroclite bouffe surtout des nouilles et des spaghetti…

Suivant une logique scénaristique de série B, le personnage, passé un laps où il prend ses repères, se constituerait un groupe d’alliés pour s’employer ensuite à se faire la malle. Or la scénariste et réalisatrice Ana Lily Amirpour (A Girl Walks Home Alone at Night) n’a pas pour ambition de ranger The Bad Batch dans cette catégorie de films, même si tous les codes du genre sont là (le désert, contrée hostile, rappelle constamment Mad Max 2, la bourgade de Comfort, de bric et de broc, menée par un leader charismatique, évoque une pléthore de titres — en vrac New York 1997, Cherry 2000, le récent Turbo Kid, etc.). En fait, la mutilation initiale d’Arlen revient à lui couper les ailes. Pour l’héroïne, il n’est pas question de partir mais, au contraire, de trouver sa place et surtout un but à cette existence nouvelle dans la dèche.

« C’est une immense joie pour moi de constituer un monde devant la caméra », a confié à la presse US Ana Lily Amirpour, qui renchérit : « C’est là que réside toute l’essence de mon cinéma, je souhaite transporter le spectateur, le plonger dans un autre univers. » Avec The Bad Batch (« la mauvaise graine »), on s’immerge donc dans une zone peuplée de marginaux qui, le soir, s’enivrent et prennent des ecstas en écoutant de la techno. Le tableau n’est pas sans rappeler le fameux rassemblement du « Burning Man », rencontre artistique à ciel ouvert dans le désert du Nevada où des milliers de festivaliers créent chaque été une ville-communauté éphémère, tribale et autogérée, qui tourne le dos aux codes de la société de consommation. Il y a du coup un peu de cette philosophie dans The Bad Batch : en refusant de nouer une tension dramatique à suspense, efficace, Amirpour, qui se pose dans les interviews en tant qu’artiste, s’inscrit dans une démarche semblable de rejet du spectaculaire et des émotions factices.

Les intentions sont par conséquent louables, intègres tant d’un point de vue moral qu’esthétique, mais, cela dit, ne donnent pas un film très palpitant à suivre (il est du reste beaucoup trop long — pas loin de deux heures). Heureusement, la direction artistique, chiadée, stimule souvent l’œil, et l’oreille est charmée par une multitude de morceaux de styles divers (extra- ou intra-diégétiques) qui surgissent souvent en contrepoint de ce qu’on voit à l’écran (le tube pop All That She Wants d’Ace Of Base alors que les anthropophages attaquent les membres de l’héroïne à la scie à métaux). Et puis la sécheresse du désert n’interdit pas les sentiments, en l’occurrence ceux d’un cannibale musclé pour sa petite fille et ceux, naissants, de l’héroïne pour le même « big guy » carnassier (joué par Jason Momoa) qui a pourtant goûté à sa chair délicate. Le point de départ de la romance est assez osé, il faut l’avouer. Présences également dans le casting de Keanu Reeves (en gourou du village) et de Jim Carrey, méconnaissable sous un camouflage d’ermite-clochard barbu en guenilles.

The Bad Batch a fait impression à la dernière Mostra de Venise, en septembre 2016, d’où Ana Lily Amirpour est repartie avec le Prix spécial du Jury (présidé par Sam Mendes et où figuraient aussi, entre autres, Gemma Arterton, Chiara Mastroianni et la musicienne Laurie Anderson). Le film est sorti vendredi dernier, 23 juin, dans les salles américaines, et on attend des nouvelles d’un éventuel distributeur en France…