Les millions de fans de Star Wars ont repris il y a quinze jours le chemin du culte grâce à la sortie de ce huitième épisode. Chacun y est allé de son commentaire élégiaque ou assassin, mais maintenant que la fièvre est un peu retombée (même si les salles ne désemplissent pas), et que nous avons évité de nous noyer dans la masse des réactions à chaud, on ne va pas se priver, tout de même, de livrer à notre tour quelques lignes critiques sur ce nouvel avatar de la saga.

Les Derniers Jedi reprend naturellement le récit là où s’est achevé l’épisode 7, Le Réveil de la force. Soit trois pistes narratives, qui convergeront dans le dernier acte du film : sur Ahch-To, Rey tente de convaincre Luke Skywalker de quitter son exil et de reprendre sa place au sein de la Rébellion, menacée de disparition imminente ; Finn, l’ancien stormtrooper, accompagné d’une nouvelle venue, Rose, parcourt la galaxie en quête d’un expert dans le décryptage de codes de sécurité ; Kylo Ren, alias Ben Solo, fils de Han et Leia, cherche à liquider ses problèmes de conscience et à s’imposer aux yeux de l’infâme Snoke comme le digne héritier de son grand-père Darth Vader.

Certains reprochent à cette ultime trilogie de tourner en rond et stagner dans le sillon tracé par les précédents films, et on ne peut pas leur donner tort : Rian Johnson, scénariste et réalisateur, peine à irriguer l’histoire d’enjeux nouveaux et de thèmes originaux. Les parcours de Rey et de Kylo Ren, dans leurs hésitations comme dans leurs élans, suivent des étapes semblables à celles de Luke et Anakin dans les volets 1 à 6, et on ne sort pas du traditionnel canevas de récit d’apprentissage naviguant entre les deux pôles d’attraction bien/mal, côté lumineux et côté obscur. Cela dit, en féminisant les rangs des sabres laser avec l’introduction du personnage de Rey, cette troisième série jette un rayon de lumière sur une facette des Jedi jusqu’ici peu mise en avant : les dépositaires de la Force, de Qui-Gon Jinn à Yoda, d’Obi-Wan à Luke Skywalker, mènent tous de chastes existences de moines-soldats (Obi-Wan sur Tatooine, dans l’épisode 4, et Luke sur Ahch-To vivent même en ermites). Or l’apprentie Jedi Rey, portée par de nobles aspirations, s’avère dans le même temps sensible aux appels du pied de Kylo Ren, personnage au fort potentiel érotique (dans le rôle, Adam Driver, excellent, ne manque pas de charisme animal, avec un look de Scarface à cheveux longs). En résumé, Rey doit soit assumer son destin de preux chevalier et sublimer la Force/ses pulsions naturelles pour « soulever des rochers », autrement dit accomplir des prodiges, soit perdre sa virginité dans les bras du bad boy (et devenir du coup une superbe « lady Sith » elle aussi toute de noir vêtue !). La franchise étant depuis des années dans le giron de Disney, on comprend vite quel sera son choix, le suspense à ce niveau n’est donc pas insoutenable, et on a le droit de le regretter. Mais on peut aussi sourire à l’arrivée de cette dimension discrètement sexuelle et l’éclairage qu’elle porte sur la condition quasi-médiévale de Jedi : dans la geste arthurienne, seuls les « vertueux » Perceval, Galaad et Bohort accomplissent la quête du Saint-Graal (ce qui fit beaucoup rire les Monty Python), et il en va de même des chevaliers imaginés par George Lucas.

Dans le même veine subrepticement piquante, Kylo Ren se livre à un numéro de duettistes crypto-gay très amusant avec le dénommé Général Hux, joué par l’Irlandais Domnhall Gleeson (entre Berlin années 30 pour la tenue et le swinging London pour les rouflaquettes). L’écriture, en revanche, n’est guère favorable aux Anciens de la saga, avec un Luke S. bourru champion de la larme à l’œil et une princesse Leia momifiée, dont on peut savourer toute la solennité crispée dans une scène fort embarrassante où elle s’essaie stricto sensu au « skywalking » en plein vide sidéral. Les Derniers Jedi est du reste déconcertant par sa manière de souffler le chaud et le froid, alternant trouvailles ridicules (ajoutons les boucles violettes de Laura Dern, ou encore l’introduction des « Porgs », inutiles peluches) et bouffées d’inspiration réellement stupéfiantes (mais que j’éviterai d’énumérer ici). Reste donc un ultime chapitre, qui nous apprendra comment Lucasfilm va réussir à composer avec la disparition il y a un an de Carrie Fisher/Leia, décédée d’un arrêt cardiaque juste après le tournage de cet épisode. Dans le même ordre d’idées, et si je puis me permettre un souhait personnel, il serait formidable que le Capitaine Phasma puisse réapparaître : tout d’abord car le personnage, étonnant, est sous-employé (dans cet épisode comme dans le volet précédent), ensuite parce que son retour permettrait peut-être à son interprète, la comédienne Gwendoline Christie, de jouer au moins une scène sans masque (au risque, c’est vrai, de nous croire d’un coup face à Brienne dans Game of Thrones, mais bon). Carrossée et chromée comme une créature biomécanique de Sorayama Hajime, Phasma s’impose comme une des meilleures idées de cette troisième trilogie, et je ne conçois pas que les imaginations aux manettes de l’ultime chapitre soient capables de faire une croix dessus sans remords ni scrupules.

Star Wars — Les Derniers Jedi est dans les salles depuis le 13 décembre 2017.