Quelle place laisse-t-on aujourd’hui aux diables et aux lutins, aux fées et aux gobelins ? Pour Darken, démon cornu de fort gabarit, la question se pose d’un coup alors qu’il apparaît, une belle nuit, pour tourmenter une famille bien installée dans le confort de son pavillon. Les ténèbres sont propices, pourtant le regard rougeoyant de l’intrus ne fait ni chaud ni froid à la petite assemblée. Eh oui, dure époque que la nôtre pour les ressortissants des contrées imaginaires : voués au culte de l’apparence, de la performance, pétris de haines xénophobes, nos cyniques et prosaïques semblables (enfants y compris !) sont hostiles aux étranges beautés des contes et légendes. Qu’un diable ricanant s’avise — oserait-on dire innocemment — de pointer le bout de son nez, on le reçoit batte en main comme un vulgaire cambrioleur…

Le troisième film de Spook & Gloom (après Stress-Killer et Silence) est doté d’un fond métaphorique appréciable auquel seront sensibles les amoureux de fantastique parfois visés de travers par leurs congénères les plus obtus ou cartésiens (sans oublier les spécimens de narcissiques phalliques comme l’athlète Bobby, joué par le bodybuildé David Zella). Spooked peut cependant mettre tout le monde d’accord sur le terrain de la comédie : dignes de l’esprit cartoonesque des Looney Tunes de Chuck Jones (bien que le pauvre Darken, malmené par ses « victimes », n’ait pas les ressources inventives de Bip-Bip face aux pièges du Coyote !), les auteurs pastichent avec entrain les codes et silhouettes du cinoche US, et relèvent le tout d’un humour slapstick débridé à base de course-poursuite nonsensique. Les onze minutes — tournées en Gironde mais jouées en « améwicain » — sont émaillées de trouvailles rigolotes qui surprennent sans cesse, le show est vif et il a aussi de la gueule avec, notamment, un visage démoniaque qui n’a pas à rougir (ha ha !) de la comparaison avec son illustre modèle, le fameux Darkness conçu par Rob Bottin pour Legend (1985) de Ridley Scott. Un maquillage fignolé pour le comédien David Mora par l’équipe de Jean-Christophe Spadaccini, réputé, entre autres, pour ses travaux sur les films de Caro & Jeunet (en duo comme en solo) ou encore sur plusieurs adaptations filmées d’Astérix. Avec Spooked, le cinéma de genre gaulois s’affirme joyeux, futé, tonique, et dans nos rêves les plus fous, on n’attend qu’une chose, que Spook & Gloom nous régalent un jour dans un long métrage de rasades encore plus généreuses de potion magique !

Où voir Spooked ? Tout comme Silence, le précédent titre de Spook & Gloom, les mésaventures de Darken sont contées aux publics des festivals qui sélectionnent le film dans leur programmation. Spooked a remporté dimanche dernier le Grand Prix 2017 de la compétition des courts métrages du prestigieux BIFFF, à Bruxelles. Le film sera également projeté cette semaine en Écosse au festival Dead By Dawn d’Édimbourg, à Dublin au Sci-Fi Film Festival (du 5 au 7 mai), en Espagne au Fanter Film Festival, dans la bonne ville de Cáceres (également du 5 au 7/05). En France, rendez-vous à Audincourt (25) au Bloody Weekend, du 26 au 28 mai prochains, ainsi qu’au festival Mauvais Genres, à Tours, du 30 juin au 2 juillet. Bref, habitués des rassemblements cinéphiles : ouvrez l’œil ! Gil, Emma et le « Darken Tour » pourraient bientôt faire halte à deux pas de chez vous…