Le cinéma hollywoodien s’auto-cannibalise encore et toujours avec un énième remake, celui de Poltergeist, dans les salles françaises dès demain, 24 juin. Amateurs de nouveauté, passez votre chemin ! Heureusement, on peut toujours choisir de boycotter le produit et, pourquoi pas, de redécouvrir le Poltergeist initial, classique incontournable du film de fantômes des années 1980.

Qu’on regarde attentivement l’affiche, et on s’aperçoit que nulle part il n’est fait mention que ce Poltergeist est un remake. Le slogan donne même dans l’info à demi mensongère en annonçant un film original, soit une « nouvelle vision » de son producteur, à savoir Sam Raimi, présenté comme le créateur de The Grudge (ah ? ce n’est pas plutôt Takashi Shimizu ?) et d’Evil Dead (là, c’est juste). Un paquet d’imprécisions histoire d’enfumer le public visé, soit les cohortes d’ados qui ne connaissent pas le film original de Tobe Hooper et qui vont sécher leur dernière semaine de cours pour se rendre à l’imminente Fête du Cinéma (de dimanche à mercredi prochains, profitons-en pour le signaler).

La famille Freeling dans Poltergeist (1982) de Tobe Hooper

Pourtant, et peu importe qu’on soit jeune ou moins jeune, il y a beaucoup de choses à voir dans la version initiale de Poltergeist. Beaucoup de choses à voir et autant à dire : les héros du film de Tobe Hooper se prénomment Diane et Steve, ils vivent avec leurs trois enfants dans un pavillon de quartier résidentiel. La télé est dans toutes les pièces, la piscine en construction, la casquette de base-ball est vissée sur la tête du petit Robbie et le bon chien crapahute dans la maison. Bref, un tableau idéal de la middle-class triomphante emblématique de l’Amérique des années 1980. Or, voilà qu’une scène nocturne montre les parents dans leur chambre en train de se rouler un joint… Plus tard, un dialogue révèle que le couple a eu son premier enfant à l’âge de 16 ans en pleines sixties. Conclusion ? Ces Américains modèles furent à coup sûr des hippies, digérés, depuis, par le système (leur fille aînée a d’ailleurs un comportement hérité de ses géniteurs car on comprend qu’elle a secrètement ses habitudes à l’Holiday Inn du coin, et quelques indices laissent même penser qu’elle est enceinte), et les esprits qui viennent soudain les persécuter dans leur home sweet home ne sont autres que les fantômes de leur vie passée, qui ne supportent pas de voir ces ex-idéalistes changés en petits-bourgeois conservateurs et matérialistes (juste avant de griller le fameux joint, Steve feuillette même un chef-d’œuvre littéraire intitulé Reagan — The Man, The President).

Sous des dehors d’histoire de revenants somme toute banale, Poltergeist version 1982 s’avère donc un petit régal consommé au second degré, grâce à un scénario aux connotations gauchistes surprenantes venant du puritain Spielberg. Elles durent en tout cas faire la joie de Tobe Hooper, auteur immortel du terrible Massacre à la tronçonneuse. Pourra-t-on en dire autant de cette mouture 2015 signée du méconnu Gil Kenan (réal britannique auteur de Monster House, film d’animation de 2005, et de La Cité des ombres, 2008, avec Bill Murray) ? Le scénario part d’une piste intéressante : les protagonistes de ce nouveau film ne sont plus des citoyens bien dans leurs Nike et leur living-room. Les Bowen, aux prises avec le chômage, symbolisent la paupérisation de la classe moyenne, éprouvée par les récentes crises financières. Les esprits mauvais qui viennent les tourmenter relèvent de la hantise du déclassement social, et la scène la plus inconfortable du film n’a rien à voir avec l’intrigue surnaturelle, il s’agit d’une séquence toute bête à une caisse de magasin où le père de famille, Eric (Sam Rockwell), n’arrive pas à payer un malheureux article car ses cartes de crédit sont une à une annulées !

Poltergeist 2015 : finies les télés à tube, place aux écrans plats !

Un angle intéressant, donc, puisque en contrepoint du film de Spielberg/Hooper. Mais il y a tout de même un problème : cette histoire existe déjà, elle a été tournée par le dénommé Scott Stewart dans son film de S.F. Dark Skies, sorti en 2013 ! Un titre très réussi, sans revenant mais avec des envahisseurs venus de l’espace, et dont la narration sur la corde raide s’avère particulièrement anxiogène (lire ici notre chronique publiée à l’époque). Impossible d’être aussi positif à l’égard de ce nouveau Poltergeist : oubliant la gravité du portrait familial, le scénario, passée la demi-heure de métrage, s’embringue dans une foire aux fantômes carnavalesque qui, en plus d’être affreusement démonstrative (attendez-vous à des légions de cadavres grimaçants animés en CGI), a la fâcheuse méthode de compiler, condenser les péripéties du Poltergeist d’origine (la disparition de la fillette, l’entrée en scène des parapsychologues, etc.). Le montage hâtif n’installe jamais de réelle tension, comme si la production craignait de s’aliéner le public en l’effrayant vraiment ou en l’ennuyant par un rythme jugé trop lent (Hooper, lui, prenait le temps de raconter son histoire, son film atteignant les deux heures de projection). Gil Kenan signe ainsi un spectacle inoffensif et vain, où, au final, rien ne sonne juste, où personne ne s’avère réellement en danger (chaque problème qu’affrontent les héros trouve vite sa solution). Quant au dénouement, cerise pourrie sur le gâteau, il réserve une touche humoristique appuyée qui en dit long sur la réticence de la production à proposer un vrai film de frousse.

Sortie dans les salles françaises le 24 juin 2015.